Affaires
Tamesna : 5 ans après, les habitants n’ont presque rien
Toujours pas de poste de gendarmerie alors que l’insécurité va crescendo, coupures d’électricité, peu de bus et pas du tout de taxis, aucune infrastructure de santé… La qualité des logements sociaux laisse beaucoup à désirer : entre 40 000 et 70 000 DH dépensés en travaux par la majorité des occupants dès leur installation.

Quiconque suit de près ou de loin l’actualité des villes nouvelles sait que ces dernières sont critiquées en premier pour leur enclavement. De fait, chemin faisant vers Tamesna, qui est en train de prendre forme aux environs de Rabat (8 km à l’est de Témara), on est d’abord attentif à l’infrastructure routière. Et force est de reconnaître que celle-ci est très correcte. Tamesna est accessible via une 2×2 voies presqu’en ligne droite parfaitement bitumée. Cette route fait quelques bons kilomètres, ce qui n’a visiblement pas dissuadé une dizaine de personnes rencontrées sur le chemin de l’emprunter à pied.
Etonnamment, aucun bus et seulement quelques voitures se retrouvent sur la voie en ce milieu de matinée de vendredi. En revanche, les camions bennes transportant divers matériaux de construction pullulent. Autant d’indices du centre urbain en développement qui finit par se révéler tout entier du haut d’une colline. Une mosaïque de constructions éparpillées sur des centaines d’hectares s’offre à la vue. Le tout tranche avec le paysage rural environnant. Car oui, Tamesna est bien une ville en pleine campagne.
Cette dernière fait même encore de la résistance au sein du périmètre urbain dans les premiers quartiers par lesquels on aborde la ville : des vaches paissent paisiblement, sur un terrain vague cerné de logements sociaux, sous le regard indifférent de groupes d’habitants disparates. A 10h30, l’on ne peut pas vraiment dire qu’il y ait grande animation, ce qui s’explique par le fait que les habitats sociaux environnants sont en majorité encore en attente d’être occupés, sans compter qu’à cette heure les chefs de famille sont au travail en dehors de la ville, et les enfants à l’école.
Le calme plat qui règne pour l’heure est pour conforter la seule pharmacienne du périmètre dans son impression d’être une «pionnière». Installée depuis 7 mois, on pourrait croire que celle-ci se frotte les mains loin des quartiers de Rabat saturés d’officines. Mais investir une ville nouvelle ça a aussi ses inconvénients : «J’ai dû attendre 2 mois pour être raccordée au réseau d’eau. Juste après il a fallu régler les problèmes d’infiltration en raison de l’isolation défaillante du local», témoigne-t-elle. L’électricité lui donne en revanche moins de fil à retordre sauf à l’occasion des coupures de courant, fréquentes selon les habitants, qui l’obligent parfois à fermer tôt. D’autres imprévues se rajoutent encore à la liste : «J’ai dû engager récemment un vigile», raconte la tenancière. Le gardiennage privé est en effet le seul recours contre l’insécurité croissante rapportée par nombre d’habitants, sachant que 4 ans après l’arrivée des premiers occupants, Tamesna ne dispose toujours pas d’un poste de gendarmerie. Toutefois, les gendarmes font des rondes occasionnellement et nous les retrouvons ce matin même calmant les esprits lors d’une grève d’ouvriers du bâtiment. Les promoteurs immobiliers recourent eux aussi massivement à la sécurité privée pour garder leurs chantiers sur Tamesna. «Les vols d’accessoires, sanitaires notamment, ou encore de matériaux de construction sont fréquents», témoigne un vigile. Excédé, l’employé y va également de sa plainte sur les défaillances du transport public. Lui-même assure parcourir chaque jour 5 km à pied pour se rendre à son lieu de travail. Officiellement, Tamesna est desservie par les seuls bus (il n’y a pas pour l’heure de grands taxis) avec 5 navettes quotidiennes et plus d’une quarantaine de passages entre 7 heures et 20 heures. Les habitants, eux, concèdent bien qu’un bus arrive toutes les heures mais seulement durant les pics horaires. En dehors de ces plages, les délais d’attente passent du simple au double, voire plus.
L’ampleur des réparations fait le bonheur du droguiste du coin
Après les transports en commun, c’est la qualité de construction des bâtiments qui suscite le plus le mécontentement de la population. En progressant entre les quartiers périphériques de la ville où l’on retrouve exclusivement des logements sociaux, il est déjà possible d’observer des revêtements de façade défraîchis par endroits, ce qui ne manque pas d’étonner pour des constructions qui ont tout au plus 4 ans. Au sein des habitations, la liste des avaries est bien plus importante, touchant presque toutes les composantes (carrelage, menuiserie, plomberie, installation électrique…). La palme de la plus mauvaise qualité revient aux volets roulants des fenêtres qui ont tenu pour certains habitants moins d’une semaine ! Cela chiffre, bien sûr, côté réparations et tous les propriétaires disent opérer entre 40 000 DH et 70 000 DH de travaux dès leur installation. Un budget non négligeable quand on le rapporte aux prix des habitations d’en moyenne 200 000 DH (30 000 DH de plus si l’on compte le noir dans le cas où l’habitat n’est pas directement acheté auprès des promoteurs). Cela fait au moins les affaires du droguiste du coin. Encore simple assistant, il y a quelques mois, dans un autre commerce de la ville, celui-ci s’est mis à son propre compte (entre 7 500 DH et 8 500 DH le m2 pour acquérir un local commercial à Tamesna) à même pas 25 ans, encouragé par la demande. A n’en pas douter, pour bricoler, les habitants ne manquent de rien mais l’on ne peut pas en dire autant de leurs autres besoins.
En termes de scolarisation des enfants d’abord, la ville nouvelle de Tamesna a accueilli peu après son démarrage un établissement primaire et un collège. Deux autres structures similaires devaient voir le jour durant la rentrée 2011, mais seule une école primaire supplémentaire a ouvert avec un an de retard en septembre dernier. «Le nouveau bâtiment est toujours en cours de finition et accueille pourtant des élèves», tient à préciser un habitant de Tamesna. Les maternelles se font également rares, à savoir qu’il n’y en a qu’une seule, privée, qui n’assure pas la garde des enfants, qui plus est.
Avec ça, la ville nouvelle manque encore cruellement d’espaces de jeux pour les enfants, d’infrastructures de santé ou de médecins spécialistes, ou même encore de choses plus basiques tels que les hammams.
La zone industrielle, incontournable pour donner une vocation à la ville
Mais peut-être que ces déficits restent l’apanage des quartiers périphériques. En progressant vers le centre-ville, les bâtiments condensés du social (218 appartements par bloc et 20 appartements par immeuble) cèdent progressivement le pas à des constructions plus aérées de standing intermédiaire et supérieur, l’occasion de constater que le béton continue de gagner du terrain de tous les côtés de Tamesna. Après tout, 55% des 840 hectares de la ville sont destinés au logement. Toujours pas d’équipement notable en revanche, jusqu’à arriver quelques kilomètres plus loin à un centre administratif et de services. L’imposant bâtiment, de construction moderne, abrite, outre la seule autre pharmacie de Tamesna, les agences des principales banques commerciales que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la ville. Le centre abrite encore une supérette, un café, un restaurant… Du moins c’est ce que promet un présentoir à proximité. Mais à y voir de plus près, le local de la supérette n’a toujours pas été exploité et nulle trace d’espaces de restauration à part une laiterie pour casser la croûte. Le doute n’est plus permis : on est encore très loin des 147 équipements promis pour Tamesna.
Les acheteurs de logements ne désertent pas pour autant. Dans les bureaux voisins d’Al Omrane Tamesna, gestionnaire de la ville nouvelle, une représentante insiste sur les taux de commercialisation honorables de récents programmes lancés dans l’habitat intermédiaire. Avec des prix démarrant autour de 350 000 DH pour le moyen standing, le nouveau centre a certainement une carte à jouer par rapport à l’offre de la capitale. Les acheteurs ne foncent pas pour autant tête baissée. Les ristournes négociées auprès des promoteurs privés (une dizaine opère à Tamesna) approchent les 20%. Et même avec ça la ville ne parvient pas à retenir ses clients puisque les désistements restent fréquents. La commerciale d’Al Omrane reste pour sa part confiante, promettant que le nouveau centre atteindra sa vitesse de croisière d’ici trois ans, notamment avec l’arrivée d’enseignes de la grande distribution, Asswak Salam et Label Vie pour les nommer. Si décollage il doit y avoir, beaucoup pensent qu’il ne se fera vraiment qu’avec le lancement effectif de la zone industrielle de Tamesna, incontournable pour donner une vocation à la ville. C’est dire que les 250 MDH promis par l’Habitat pour relancer la ville tombent à point nommé.
