Société
Najat Ikhich : «Dans le monde rural, on demande aux femmes élues de signer les documents sans les lire»
Najat Ikhich, Présidente de la Fondation Ytto.

La Vie éco : Pourquoi un programme qui cible les conseillères communales ?
C’est un programme issu d’un travail de terrain. Quand on a sillonné les régions rurales du pays, nous avons constaté qu’il y avait peu de contacts entre femmes élues et le reste de la population du douar. La femme rurale vit en marge des programmes de développement humain du pays. La pauvreté est toujours la même et les femmes en sont victimes, comme elles sont victimes de marginalisation et de violence. Pour nous, il fallait répondre à la question suivante : est-ce que l’accès des femmes aux postes de décision a-t-il changé cette donne ou pas ? Notre conviction, c’est que le changement doit venir d’en bas et ne pas être imposé par le haut. C’est pour cette raison que l’on a pensé aux conseillères du monde rural.
Quels sont les critères pour le choix des régions ?
Nous avons choisi l’Oriental avec Taounate, Azilal et Midelt parce que c’est là où il y a plus de violence à l’égard des femmes et les politiques ne font rien pour changer cette situation. Par exemple, dans la région de Taounate, il y a une exploitation des femmes dans le mariage des mineurs et dans l’agriculture avec une absence de l’infrastructure adéquate au niveau de la santé et de l’enseignement. A Berkane, il y a la problématique des mères célibataires, l’exploitation des femmes dans le domaine de l’agriculture. A Jerada, en plus de la pauvreté et l’enclavement, les femmes travaillent de façon informelle dans les mines de charbon et sont par conséquent livrées au danger de façon permanente. Quant aux deux provinces d’Azilal et de Midelt, ce sont les deux régions les plus pauvres du pays.
Est-ce que les élues ont une prise de conscience de la politique et de ses enjeux ?
La majorité écrasante des élues ne sait rien de la politique ni des partis politiques. Parfois, elles ne connaissent même pas les partis qu’elles représentent aux élections. D’après les témoignages des conseillères communales recueillies sur place, il y a celles qui croient que leur présence n’est justifiée que par la signature des rapports et des décisions prises par le président de la commune. D’autres croient que si elles ne signaient pas, elles «seraient virées» ! Comme si elles travaillaient chez le président. Nous avons rencontré certes des femmes qui se battent pour s’imposer, mais juste pour être admises en tant qu’élues.
Quelles sont les difficultés que rencontrent les élues rurales ?
Elles sont déjà stigmatisées par le fait qu’elles font partie de la liste complémentaire. On leur dit qu’elles ne sont là que pour dire «Amen». Dans le monde rural, on demande aux élues de signer les documents sans les lire, arguant que les autres hommes ont déjà signé. D’autres ont été victimes de violence physique parce qu’elles ont refusé d’avaliser des rapports.
Nous avons même eu un témoignage d’une élue qui a été agressée par le président de la commune en plein conseil parce qu’elle avait osé le contredire !
Que faut-il faire pour remédier à cette situation ?
Il faut imaginer une suite de cette formation et d’autres projets d’encadrement afin que l’accès des femmes aux postes de décision politique ne reste pas un simple slogan pour embellir la vitrine de l’égalité des sexes au Maroc. Il faut faire prendre conscience à ces femmes de leurs droits et de leurs devoirs envers la communauté. Il faut également les sensibiliser sur les droits des femmes, les conventions internationales… Les mettre en contact avec des élues d’autres pays du Sud qui ont su s’imposer et organiser des actions de solidarité avec l’élue rurale, surtout celle qui vit dans les zones enclavées.
