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Culture

The e-Artists : ils espèrent percer sur la toile

Les nouveaux dénicheurs de talents s’appellent Youtube, Facebook, MyMajor Company… Les plateformes de production communautaire explose à  l’étranger, mais ce modèle présente des limites.

Publié le

The e Artists 2012 03 15

Au détour d’une page Facebook, je rencontre celui dont on taira le nom et qu’on appellera «SunWise », mais que vous reconnaitrez surement si votre anglais vous permet de trouver le contraire du pseudo ! Mais que ça reste entre nous ! SunWise est  légèrement susceptible quant à son profil, qui à l’instar de toute sa personne, est méticuleusement examiné. Pas un commentaire de trop ni un cheveu de travers. Le beau brun (oui c’est un homme, un vrai) est « fashion », t-shirt moulant, jean slim, et accessoires ultra mode. Si vous ne connaissez pas celui la, vous en connaissez au moins un autour de vous ! Néanmoins la particularité de SunWise, c’est que c’est un artiste ! Si, si, pas de mauvaise foi. C’est le muscle saillant dopé aux protéines qu’il réalise des créations musicales merveilleusement… Formatées ! Du calibré à un accord près ! On veut bien « put our hands up » sur sa musique, mais elle est difficilement écoutable. Si ce cas n’est pas unique, il a le mérite d’être le plus « professionnalisé » vu qu’il utilise un processus de création répondant aux normes : enregistrement studio, arrangements, tout ça et le sourire au coin en bonus ! 

Ils sont des millions à rêver d’une gloire absolue et se jettent éperdument sur la toile, maitrisant les commandements du buzz musical, pourtant rares sont ceux qui dépassent le stade de jeunot amateur. Et la musique s’en meurt ! A l’exemple d’une brunette de seulement 17 ans se cachant sous le pseudo « SoYelli ». Sur sa chaîne Youtube, la TRES (trop) jeune inconnue reprend les succès du moment, de Justin Bieber à Chris Brown, devant sa webcam, en arrangeant sa frange rebelle entre deux refrains. On découvre l’univers d’une jeune adolescente « comme les autres » qui permet généreusement aux internautes d’avoir un avis sur le papier peint du salon familial qui fait office de super studio d’enregistrement ! Pour le coup, la demoiselle ne lésine pas sur les moyens. Malgré les centaines de « Dislike » qui plombent l’ambiance de sa page et les très solitaires DEUX « like »,  elle prend le temps de contacter les Musiciens du Maroc à la recherche d’un manager. « C’est incroyable ce qu’on peut faire à partir de chez soi pour s’exprimer, et ça c’est important et merveilleux ! Sauf qu’avec cette technologie, tout le monde s’est mit en tête qu’il est une star et qu’il a de la valeur. Dans 99% des cas, c’est faux ! C’est « hard », mais c’est vrai ! », raconte Stephan Lukacic, alias Steeve, grand mélomane de la scène et producteur international. Alors oui, la discrétion n’est pas la vertu de la génération XY qui pour un semblant de célébrité, même éphémère, n’hésite pas à s’afficher sur internet sans aucune retenue, mais l’essentiel est ailleurs. Dans ce pullulement musical tonitruant des musiciens amateurs, il ne faut voir que leur volonté à braver les contraintes de la production musicale. Les questions existentielles qu’un musicien se pose au début (et tout au long) de sa carrière sont un tourment en soi : suis-je à la hauteur ? Va-t-on m’aimer ? … Et s’ajoutent évidemment les questions plus concrètes de la production. Un vrai casse-tête chinois dont le cœur n’est nullement artistique, mais purement financier, car tous sont à la recherche d’un « moul chekkara » qui va financer amoureusement et rentablement leur album. Steeve nous éclaire sur la véritable fonction d’un producteur : « Dans la langue française « producteur » ne veut pas dire la même chose qu’aux USA. Le terme, né du théâtre, désigne le gars qui a le pognon ! Alors que dans le reste du monde, un « record producer», un producteur donc, est la personne qui s’occupe du processus et de la musique, à savoir les arrangements, le son, l’image de l’artiste, … C’est complètement le contraire de la définition française! Moi, par exemple, je m’occupe du côté artistique, je ne finance que très peu de projet !». Du même avis, Tarik Lahjaily, producteur et arrangeur marocain qui accompagne les plus grands de la scène marocaine et internationale (Red One, Oum, Darga,…), affirme que l’aspect financier est quasi inexistant dans sa fonction : «La démarche est 100% artistique, il s’agit de « faire » de la musique à travers les arrangements, les enregistrements au studio … Je ne finance moi-même aucun projet, mais il y a des producteurs qui le font, c’est des « executive producer » »

Au cœur de ce tumulte non-financier donc, est né il y a quelques années un concept novateur : la production communautaire. En mécènes virtuels, les fans ont la possibilité de produire les artistes qu’ils apprécient grâce à des sites « intermédiaires » dans lesquels ces derniers publient leurs réalisations musicales. La profusion de ses plateformes sous-entend qu’il existe un véritable modèle économique viable qui intègre tous les ingrédients pour une pérennité et artistique et financière. Mais la réalité est contraire, expliquée par Stephan Lukacic, alias Steeve : « J’aime bien l’idée, mais je n’y crois pas beaucoup. Il y a toujours une limite : il faut atteindre un certain montant pour pouvoir produire un album. Alors que fait-on des 99% des artistes qui n’atteignent pas ce seuil ? Et où va l’argent que les fans ont investi pour eux ?»

 Par ailleurs, ce pouvoir donné aux fans est aussi, dans sa globalité, un pouvoir donné à la « masse », au grand public. La musique qui sort de ce modèle est par conséquent une musique qui plait à un grand nombre de personne, de la musique « à emporter », du « commercial », et comme ajoute Tarik Lahjaily « de la musique à trois accords, et tout le reste est fait sur ordinateur ! ». Sans oublier que ce magma de fan éphémère est attiré par l’aspect spéculatif et ludique du site. Une sorte de loto musical !  Merci Tocqueville et sa théorie de la tyrannie de la majorité, jusqu’à dans nos oreilles pourtant si sensibles aux guitares grinçantes, aux basses rythmiques, aux pianos classiques… ! Le côté artistique est littéralement subalterne à une rentabilité financière, alors sortez vos « Marketing Management » et retrouvons les délicieuses étymologies du Marketing avec des « produits » musicaux, de la distribution exclusive et une communication massive. D’autant plus que si la production communautaire offre l’opportunité de se faire connaitre, en flattant dans son sillage l’égo du musicien (amateur ou non) par ce plébiscite populaire (au-delà même de l’exposition médiatique !), elle est loin d’être un gage de diversité. On se retrouve généralement face à la MEME musique, car ces ambitieux bonhommes du net développent un pathologique syndrôme de Guitar Hero : battre des records, manettes à la main, veut dire que nous sommes les nouveaux Satriani, Vai ou autre légende ! Imparable logique  ! Tarik se révolte : « Les musiciens, même professionnels, ne travaillent pas. Ils considèrent comme acquis les instruments, alors qu’à la base, la majorité est autodidacte ! » Et Steeve ajoute : « Avec l’explosion du haut débit et des nouvelles technologies, l’internaute est inondé par de la « merde », et excusez mon expression ! Il y a des années, il y  avait un entourage autour de l’artiste, qui guidait, qui faisait les choses dans les normes. Aujourd’hui, sans ça, la qualité a forcément baissé ! Ce n’est pas qu’il n’y a pas de vrai talent, mais c’est tellement enterré sous cette énorme vague de très basse qualité, de pas « pro » et de pas écoutable, qu’il est difficile de creuser dedans pour trouver du bon ! », se révolte Steeve, croate aux milles nationalités et marocain amoureux depuis une dizaine d’années. Un brin de nostalgie, une pincée de paternalisme et une bonne dose d’accent américo-canadien après : « Il y a des années de ça, la musique était une expérience. On attendait la date de la sortie d’un album, on l’achetait et on prenait le temps de l’écouter. C’était un autre monde et on était transporté dans un autre univers ! Aujourd’hui, on n’écoute de la musique qu’en faisant autre chose ! »

Ah, Internet ! Ce formidable espace d’expression est un tremplin pour quelques rarissimes perles qui parviennent tant bien que mal à se démarquer et qui étaient discriminées du fait d’un capital social ou financier dérisoire par rapport à des concurrents parfois moins talentueux. Une méritocratie usée (et abusée) par ces boutonneux rêvant de gloire. Ô Musique ! Toi qui a révolutionné nos visions du monde, toi qui a fait Hendrix et la douceur des mœurs, te voilà à terre, agonisante dans un dernier riff de guitare, par notre faute !

Steeve, à toi le dernier mot peut être ? : « Il ne faut tout de même pas croire qu’il n’y a plus de talent. Il faut garder espoir, croire en la musique et tenter de changer les choses». C’est vrai, l’espoir fait vivre.