SUIVEZ-NOUS

Idées

Une image fabuleuse

Ses lendemains ont beau ne pas être enchanteurs, le printemps arabe a mis fin à  l’atonie dans laquelle était plongé le monde arabe au cours des décennies post-indépendance. Il signe le début de quelque chose même si ce quelque chose n’est pas le temps rêvé de la démocratie. Mais, que l’on sache, Rome ne s’est pas construite en un jour. Quant à  la France, il lui aura fallu près de deux cents ans après sa révolution pour asseoir un système démocratique.

Publié le


Mis à jour le

Hinde TAARJI 2012 01 24

L’histoire est à la fois savoureuse et riche d’enseignement. Elle se déroule en Egypte, deuxième pays après la Tunisie à avoir fait tomber le pouvoir en place. Au lendemain de cette révolution, comme chez nos voisins maghrébins -et chez nous, dans une moindre mesure-,le courant islamiste a raflé la mise. Entre les Frères musulmans et les Salafistes, un véritable raz-de-marée vert a eu lieu, avec plus de 60% des suffrages remportés. Les plus radicaux s’en sont vu pousser des ailes. Certains se sont donc mis en tête d’imposer, sans plus attendre, leur loi sur le terrain. C’est ainsi que, prenant exemple sur l’Arabie Saoudite, des «milices de la vertu» se sont constituées et ont commencé à s’en prendre aux citoyens. Alors qu’elles se faisaient belles dans un centre de soins, les clientes de celui-ci ont eu la surprise de voir débarquer un groupe vociférant de salafistes qui leur ont ordonné de cesser leur «mounkar».

Or le premier choc passé, savez-vous ce que ces femmes ont fait ? Avec ce qui leur tombait sous la main, elles s’en sont prises physiquement à leurs agresseurs. Et les ont chassés ! Décontenancés par cette défense à laquelle ils ne s’attendaient guère, ces derniers se sont enfuis sans demander leur reste.

Instructive, cette histoire l’est à bien des égards. Elle témoigne tout d’abord des menaces, réelles, que les victoires remportées par les partisans de la loi de Dieu font peser sur les libertés individuelles. Même si ce ne sont pas les plus extrémistes qui s’installent au pouvoir, l’idéologie portée par le mouvement, boostée, est appelée à se faire dominante et à vouloir se présenter comme la norme. D’où le champ libre ouvert à la régression. Et à l’agression. Or, face à celles-ci, deux attitudes sont possibles. C’est soit, dictée par la peur, la soumission. Soit, au contraire, la riposte et la lutte. L’image de ces Egyptiennes, que l’on imagine avec leurs bigoudis sur la tête et leur masque sur leur visage, en train de taper sur les barbus, est tout simplement fabuleuse. Digne par sa cocasserie d’un vrai film égyptien. Sauf que là, on n’est ni dans la fiction ni dans la comédie mais dans un moment important de l’histoire de nos sociétés. Ses lendemains ont beau ne pas être enchanteurs, le printemps arabe a mis fin à l’atonie dans laquelle était plongé le monde arabe au cours des décennies post-indépendance. Il signe le début de quelque chose même si ce quelque chose n’est pas le temps rêvé de la démocratie. Mais, que l’on sache, Rome ne s’est pas construite en un jour. Quant à la France, il lui aura fallu près de deux cents ans après sa révolution pour asseoir un système démocratique. C’est dire qu’il y a de la marge ! Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille, pour les démocrates, baisser les bras. Bien au contraire, il leur faut mettre le turbot ! L’histoire ci-dessus nous rappelle que les premières à pâtir de la mainmise islamiste sur la société , ce sont les femmes. Mais les hommes qui aspirent à vivre en démocratie auraient tort de croire leurs libertés à l’abri. L’atteinte aux droits des femmes prélude le recul des autres. Voilà pourquoi la quasi-disparition des femmes du nouveau gouvernement marocain n’est pas de l’ordre de l’épiphénomène que l’on classe après lui avoir dédié quelques lignes. On les entend d’ici ceux qui balaient le sujet en arguant du fait que l’essentiel est ailleurs, que les priorités sont la lutte contre la corruption, le chômage, les inégalités sociales, etc. Certes, ces dernières sont fondamentales mais elles ne sont pas les seules à l’être. Pouvoir être l’égal de l’autre, indépendamment de son sexe, de son appartenance, de sa couleur, de sa confession ou ses convictions, l’est tout autant.

La démocratie occidentale s’est construite sur la base de la Déclaration des droits de l’homme. Née de la Révolution française, celle-ci a depuis acquis un caractère universel. Dans le monde musulman, les islamistes entendent lui opposer «les Droits de l’homme islamiques». Or, la nature humaine est la même qu’on soit noir ou blanc, rouge ou jaune, qu’on croit en Mohammed, en Jésus ou en Bouddha. La spécificité culturelle ne peut donc être revendiquée pour ce qui relève des droits intrinsèques de la personne humaine. Comme respirer, manger ou boire, la liberté et l’égalité sont des besoins essentiels de l’être humain. L’oublier serait une erreur majeure pour quiconque veut œuvrer pour le bien-être de sa société.