Affaires
Les architectes en justice contre l’Education nationale
Les plaignants, qui avaient initialement des ordres de services, veulent des indemnisations suite à la reprise en main du projet de construction de 1 101 écoles par les académies régionales de l’éducation et de la formation.

Enième rebondissement dans le Programme d’urgence 2009-2012 du ministère de l’éducation nationale (MEN). En effet, après avoir fait le deuil de son respect des délais, notamment ceux de la livraison avant fin 2012 de 1 101 écoles (239 écoles, 565 collèges et 297 lycées) à travers le Royaume (voir La Vie éco du 23 septembre 2011), le donneur d’ordre, qui avait déjà à gérer la fronde venue en interne des académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF) qui voulaient gérer elles-mêmes, chacune à son niveau, le chantier de construction de leur quote-part d’écoles, se trouve maintenant maintenant face à deux autres fronts externes.
Le premier est d’ordre judiciaire et il vient de la part des architectes qui avaient été sélectionnés initialement dans le cadre de la formule désormais abandonnée des marchés groupés et gérés par l’administration centrale. Aussi, un collège d’architectes qui avaient reçu des ordres de services, en bonne et due forme, ont perdu patience et espoir à se voir «reconduits» à l’échelle régionale par les AREF qui ont arraché, in fine, la maîtrise d’ouvrage de ce marché pharaonique d’un budget de 20 milliards de DH, dont près de la moitié dédiée à la construction. D’où une plainte au tribunal pour obtenir des indemnisations de rupture non justifiée de marchés.
Les cabinets d’ingénierie contestent la légalité des appels d’offres lancés par les AREF
L’autre front a été ouvert par la Fédération marocaine du conseil et de l’ingénierie (FMCI) qui a menacé à son tour de traîner le MEN devant la justice tout en sollicitant l’arbitrage du Premier ministre, espérant éviter d’emboîter le pas aux architectes. Il faut dire que les enjeux sont aussi de taille pour les principaux cabinets d’ingénierie du Royaume. D’une part, le contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage d’un montant de près de 400 MDH qui fut contracté par le ministère en 2009 auprès des cabinets marocains d’ingénierie menés par le CID (conseil, ingénierie et développement) est aujourd’hui des plus compromis dans la nouvelle formule d’une maîtrise d’ouvrage éclatée sur une douzaine d’académies régionales. Ce qui présente un sérieux préjudice pour les cabinets ayant contracté initialement avec la secrétaire d’Etat chargée de l’enseignement scolaire Latifa El Abida et qui ont déjà livré des premiers lots de prestations. D’autre part, il semblerait que les premiers appels d’offres lancés l’été dernier par certaines AREF sont purement et simplement contraires à la loi sur l’urbanisme ! Celles-ci «se seraient amusées à confier à des architectes, à la fois les études architecturales et d’ingénierie….soit, pour ces dernières, des prestations qui ne relèvent pas de leurs compétences». Ce qui serait non seulement contraire à la réglementation mais également dangereux selon Moncef Ziani, président de la FMCI, qui n’a pas mâché ses mots lors d’une récente sortie médiatique. Selon nos informations, les AREF incriminées se seraient empressées de rectifier le tir pour annuler leurs premières consultations et séparer les lots d’ingénierie de ceux d’architecture, mais avec le mauvais pli de privilégier, sous le strict prisme du moins-disant, de petits prestataires régionaux aux capacités «insuffisantes et discutables», selon la FMCI, pour mener à bon port des projets de taille importante et parfois compliqués.
C’est dire que le futur titulaire du portefeuille de l’enseignement aura non seulement un projet épineux sur les bras, mais aussi des procès et conflits en cascade à gérer. Selon les observateurs les plus avisés, il apparaît sans l’ombre d’un doute que le programme d’urgence accusera au bas mot deux à trois ans de retard par rapport à son calendrier initial et là n’est point le risque majeur au vu des autres dérives potentielles (exécution approximative, dilapidation de deniers publics…).
Un cas d’école en matière de gouvernance publique
Dans ce dossier des 1 100 écoles qui fera désormais école en matière de gouvernance publique, Latifa El Abida, principale instigatrice de l’approche initiale d’une centralisation de la maîtrise d’ouvrage avec une assistance à maîtrise d’ouvrage de haute facture, aura fait les frais d’une vieille leçon en politique : si la cohérence est nécessaire dans la conception, le courage et la persévérance le sont d’autant plus dans l’exécution. En effet, si le choix retenu fut des plus cohérents avec l’impératif de l’urgence (étayée par une volonté royale) malgré les grincements de dents du ministère des finances qui récusa le choix de la formule clés en main consacrée par une dérogation exceptionnelle du Premier ministre dans l’attente de l’adoption du nouveau décret sur le marché public, qui, lui, formalise cette procédure, la secrétaire d’Etat a sans doute surestimé sa capacité à faire taire les cris d’orfraie (assez attendus d’ailleurs) venant des académies régionales qui y ont vu un camouflet pour leur autonomie financière âprement arrachée et consacrée depuis plus d’une décennie par la loi n° 07-00.
Quand on y rajoute le climat particulier de l’année 2011 et les élections anticipées qui s’ensuivirent, on comprend aisément que, dans un système partisan où l’instant de réélection prime à l’approche de la sanction des urnes, le bon sens économique est souvent sacrifié sur l’autel du calcul politique. Les académies régionales ont-elle les moyens humains et l’expertise pour conduire des chantiers de la sorte ?
