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Société

Harcèlement : Psst, psst ! Women Shoufoush ?

Un nombre important de groupes a été créé sur Facebook et des pétitions circulent sur le net avec le même mot d’ordre : en finir avec ce fléau qui mine la vie de la gent féminine au Maroc.

Publié le

Women Shoufoush 2011 09 21

Un mouvement particulier a fait le buzz ces dernières semaines. «Slutwalk», littéralement «marche des salopes», est une initiative qui a vu le jour sur Facebook et la page qui lui est dédiée compte aujourd’hui près de 3 400 membres. Même si le nom du mouvement peut prêter à confusion, Slutwalk Morocco est en fait le prolongement d’un mouvement féministe qui a pris forme au Canada. Lors d’un forum sur la sécurité organisé à l’université canadienne de York en janvier 2011, Michael Sanguinetti, agent de police exerçant dans la ville de Toronto, déclarait à l’assistance que les femmes devaient éviter de «s’habiller comme des salopes» pour ne pas se faire agresser sexuellement. Ces propos allaient provoquer un véritable tollé et des étudiantes décident alors d’organiser une marche de protestation devant le département de police de Toronto en avril dernier. Grâce aux réseaux sociaux, Twitter et Facebook en particulier, des «marches de salopes» vont se multiplier dans le monde entier. Certaines des manifestantes tiennent même à défiler en tenues légères afin de marquer le coup et surtout d’insister sur le fait qu’une femme a droit au respect, légèrement vêtue ou pas. C’est en s’inspirant de cette histoire que Majdouline Lyazidi, 20 ans, a créé ce groupe il y a un mois. Les fondateurs de ce mouvement précisaient d’ores et déjà leur objectif : «Nous n’avons pas choisi de créer cette page pour “faire comme” ou pour imiter, mais parce que le problème du harcèlement se pose réellement chez nous au Maroc, et aucune femme, jeune ou moins jeune, voilée ou non, seule ou accompagnée, n’est à l’abri de commentaires offensants dans la rue, d’une main baladeuse, voire pire, bien pire…». Majdouline et son groupe précisaient déjà que l’appellation «Slutwalk Morocco» était temporaire, «l’affiliation aux causes Slutwalk Monde ne se fait qu’au niveau de la dénonciation des agressions verbales et physiques que subissent les femmes au quotidien, nous n’aspirons pas à endosser leurs pratiques ni à reproduire au Maroc une Slutwalk comme il a été vu à Toronto ou ailleurs. Non, il ne s’agit pas de défiler à moitié nues». Début septembre, «Women-Shoufoush» voit ainsi le jour, histoire de marocaniser cette initiative.
Slutwalk Morocco n’est pas le seul mouvement qui a choisi le net comme terrain de bataille. «Criminaliser le harcèlement sexuel des femmes au Maroc»â€ˆet ses 400 membres ont opté pour le volet juridique avec comme objectif annoncé la promulgation d’une loi qui protège les femmes de toutes les formes de harcèlement sexuel.

La rue n’appartient pas qu’aux hommes…

Bien avant la naissance du mouvement Slutwalk, en mai 2010, une pétition contre le harcèlement circule sur le net. «Parce que vous êtes une femme ou une jeune fille et que vous ne supportez plus les agressions verbales et le harcèlement sexuel auxquels vous êtes exposée dans la rue comme au travail… Unissons-nous tous et signons cette pétition pour demander au Parlement de débattre et d’entériner un projet de loi afin d’offrir aux Marocaines le droit de marcher dans la rue sans être inquiétées par les harceleurs», peut-on lire sur gopetition.com. 
Regroupés dans le groupe Facebook «Tous pour préserver la dignité et les droits de la femme marocaine», des centaines de jeunes marocains et marocaines œuvrent pour que le projet de loi contre le harcèlement sexuel, qui prévoit amendes et peines de prison, puisse enfin voir le jour. Les initiateurs de cette pétition ne manquent pas de préciser d’ailleurs que «la nouvelle Constitution marocaine reconnaît la pétition comme outil à la disposition de la société civile pour interpeller les pouvoirs publics (art. 15, 139)». Par ailleurs, ils comptent, après avoir atteint un nombre suffisant de signataires, présenter cette pétition au ministère du développement social et de la famille et aux parlementaires, «appuyée par les associations féministes qui défendent le droit des femmes. Cette pétition sera un outil pour presser les politiques à agir en faveur de ce projet de loi. Elle sera également un test de réalité de la nouvelle Constitution».
Le combat contre le harcèlement sexuel, au travail comme dans la rue, n’est pas nouveau. L’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a mené plusieurs actions pour que le harcèlement sexuel soit puni et a appelé à plusieurs reprises pour la réforme du code pénal, du code de procédure pénale, du code du travail et de la loi sur l’état civil. Si des résistances persistent sur le volet du code pénal, la révision du code du travail, promulguée en septembre 2003, a fait du harcèlement sexuel sur les lieux du travail une faute grave. Une première dans le contexte de l’époque !
L’ADFM a également réalisé un guide des jeunes filles contre le harcèlement sexuel et a organisé des actions de sensibilisation à la culture de l’égalité et les valeurs des droits humains dans les établissements scolaires, facultés et maisons de jeunes. Mais à côté des lois, c’est toute une mentalité machiste qui pose problème. Et les témoignages des jeunes femmes qui font face à cette difficile expérience au quotidien sont là pour l’attester.
Mes parents m’avaient toujours dit que je n’avais qu’à fuir en cas de harcèlement et d’ignorer mon harceleur mais même quand je le fais je sens toujours que c’est mal de réagir ainsi. Parfois cela me pousse à me poser des questions autour des raisons qui poussent cette personne à me harceler ou encore qu’est-ce qui a pu l’attirer. Est-ce ma tenue ? Est-ce que je porte quelque chose d’aussi aguichant ou affriolant qui le provoque ? Et je commence involontairement à me blâmer moi-même au lieu de le blâmer de m’avoir manqué de respect», raconte Hasnaa, étudiante et membre de Women Shoufoush.
«Ce que je ressens lorsque quelqu’un me harcèle dans la rue est horrible, parce que je trouve cela comme un manque énorme de respect à toute fille, surtout avec les “jolis” mots que ces mecs utilisent, ce n’est vraiment pas le bonheur! Je voudrais dire à toute personne qui m’a harcelée un matin, m’a fait peur un soir ou m’a gâché ma journée: les filles, avec des rondeurs comme les miennes, ignorent l’existence des mecs avec des pensées tordues et désirs pervers comme les tiens», ajoute Wafae, elle aussi militante au sein de Women-Shoufoush.
Souvent, le harcèlement peut devenir traumatisant. Meriem, 23 ans, étudiante en économie, raconte ce qui lui est arrivé alors qu’elle se baladait avec ses parents dans la médina de Rabat : «Je suivais ma mère en la tenant par la main lorsque j’ai senti une main m’agripper les fesses. Sous le choc, je ne comprenais pas. Je me suis retournée, mais la foule ne me permettait pas de distinguer d’où provenait la main. Aujourd’hui encore je ne comprends pas ce qui avait pu motiver cette personne là, d’autant plus que j’avais encore un corps d’enfant. Le harcèlement n’est pas provoqué par «des sorcières séductrices», et aujourd’hui je soutiens Women Shoufouch car demain je voudrais épargner cette honte à ma fille».
Chez la gente masculine, si une minorité trouve anormal qu’une femme soit harcelée quelle que soit sa tenue vestimentaire, la majorité est du même avis que le policier canadien, qui a été, malgré lui, l’initiateur du mouvement Slutwalk. «Ces femmes qui s’habillent légèrement encouragent le viol. Les agressions sexuelles sont causées par ces nouvelles modes et ces femmes qui se baladent à moitié nues. Elles s’habillent vulgairement afin d’exciter les hommes», pense Ali, la trentaine et cadre bancaire. Cet avis est même partagé par des célébrités. Un rappeur, membre de la très sympathique formation de rap H-Kayne, avait déclaré à une journaliste du quotidien français Le Monde en 2007, commentant la tenue d’une fille passant devant lui, en jean moulant et dos nu : «Elle se trimballe comme une p…, et après, elle s’étonne qu’on ne la respecte pas. Les filles, au Maroc, ça part en vrille. Elles prennent la modernité du mauvais côté». Si la promulgation de lois criminalisant le harcèlement sexuel peut certainement endiguer le phénomène, la bataille doit être menée au niveau de la sensibilisation et de l’éducation. «Il faut attaquer la problématique à la base, c’est-à-dire à la maison et à l’école. Il faut mettre un terme à la discrimination entre les filles et les garçons dans le foyer familial. La sensibilisation doit commencer dès l’école primaire afin que les petits garçons grandissent dans le respect des petites filles. C’est la seule garantie pour changer le regard que portent nos hommes sur les femmes», conclut Mme Saïda Bajjou, militante au sein de la Fondation Ytto pour les droits des femmes.