Culture
Mawazine, superstar, de part en part
Pour sa Xe sortie, du 20 au 28 mai, Mawazine n’a pas dérogé à ses principes, à savoir des sites merveilleux, une exubérance de bon aloi, une programmation intéressante rehaussée par la présence d’artistes qui constituent le gotha du moment.

Au faîte de la hiérarchie des festivals des musiques du monde – très en vogue en une époque peu liante -, figure une oasis dans le désert, qui n’a pourtant rien d’un mirage. Bien réel, depuis l’an 2002, Mawazine attire les foules, ses trois syllabes agissant comme un aimant auprès d’un public avide de rythmes et de sensations sonores veloutés, délicats ou portés à haute température. Ce qui ajoute à l’attraction de ce festival, c’est son enracinement à Rabat, cité au riche passé, qui conserve une atmosphère quelque peu surannée, et où il fait bon vivre grâce à ses larges avenues plantées de palmiers, ses nombreux jardins aux mille essences et l’océan cyclotymique qui la borde.
Depuis la 7e édition Mawazine avait déjà pris un tournant fastueux
Cadre mirifique, sites superbes (la rive droite de l’estuaire du Bouregreg; la nécropole de Chellah, ses cigognes, sa végétation luxuriante, ses mausolées mérinides; la Villa des Arts, un joyau architectural serti de verdure…) et programmation à l’avenant, il n’en fallait pas plus pour que Mawazine ne devienne un rendez-vous archicouru par les artistes et les spectateurs. 6 583 artistes provenant de 60 pays, en neuf éditions. A chaque fois, depuis la 7e édition où la manifestation a pris un tournant fastueux, une pléiade de vedettes planétaires: Whitney Houston, Stevie Wonder, Sting, Carlos Santana, Elton John, BB King… Manière de célébrer somptueusement son dixième anniversaire, Mawazine sort le grand jeu, en mêlant aux stars des monstres sacrés de la trempe de Yusuf Islam, Quincy Jones, Joe Cocker, Lionel Richie ou Shakira.
Un des signes majeurs de l’immense notoriété de Mawazine est la progression hallucinante de son taux de fréquentation. Ils étaient 78550 spectateurs à fêter sa venue au monde festivalier, en 2002 ; 500000, en 2007 ; 1 200000, pour assister à sa mue, en 2008 ; 2 200000, en 2010. 
Cette année, Mawazine draine environ 200000 personnes par jour, qui prennent les sites d’assaut dès le milieu de l’après-midi (les concerts débutent à 17 h 30) pour être dirigées vers la sortie sur le coup de 2 h du matin. Mais les spectateurs ne sont pas logés à la même enseigne. Si l’on peut accéder aux scènes Yaâcoub El Mansour, Bouregreg, Salé, OLM Souissi, Nahda et El Menzeh sans bourse délier (hormis les espaces en devanture de scène d’OLM Souissi et Nahda), le Théâtre Mohammed V, Chellah et la Villa des Arts sont payants, et la carte Gold, véritable sésame, n’est pas donnée : 3000 DH.
En sus d’une sélection épatante, Mawazine X a imposé des événements ambitieux, tel «Bharati»
Chaque année, Mawazine impose, en sus d’une sélection toujours épatante, des événements inclassables et ambitieux. La comédie musicale, Bharati, avec ses cent artistes, sept cents costumes, ses danses étourdissantes et ses décors éblouissants est de cette trempe. On savait qu’elle voyage comme un cru exceptionnel, mais on n’était pas sûr, cependant, que le public marocain la trouverait à son goût. Il fit mieux, ce soir du vendredi 20 mai, que de s’immerger dans l’univers paradisiaque de Bollywood, il s’en enivra jusqu’à plus soif et en sortit titubant de joie. Le dimanche 22 mai, Mawazine nous convia à un concert de Roger Hodgson. D’avance, nous nous pourléchions les portugaises, tant la réputation de ce cœur de rocker, auquel le groupe Supertramp (60 millions d’albums vendus) doit ses glorieux jours, n’est plus à faire. Mais un doute s’insinua quand on apprit que l’auteur de The logicial Song allait jouer avec l’Orchestre symphonique royal. Marier la pop à la musique classique ne relève-t-il pas du pari insensé ? Ce fut une union parfaitement harmonieuse. Et le Théâtre Mohammed V qui, pour la circonstance, affichait complet, retentit encore des manifestations d’allégresse du public.
En inscrivant Yusuf Islam à son affiche pléthorique, Mawazine prenait un gros risque. Revenu au folk après trente-cinq ans d’absence, Steven Demetre Georgiou, rebaptisé Steven Adams, puis Cat Stevens, avant de prendre le nom de Yusuf Islam à la suite de sa conversion à l’islam, ne représente pas une assurance absolue. C’est un jour où il se baignait en haute mer qu’un courant l’éloigna du yacht de Jerry Moss, président de A & M, sa maison de disques. Là, perdu, pris de panique, certain de la noyade, il fit le vœu de tout abandonner pour servir Dieu, s’il le tirait de ce mauvais pas. Son frère, dit-on, lui tendit un Coran, il y découvrit les chemins de la spiritualité. Depuis, il abandonna, comme promis, paradis artificiels et dive bouteille, quitta son métier de pop star et renonça même à ses royalties et à ses droits d’auteur pour ouvrir une école islamique à Londres, l’Ismailia Primary School. Alors que ses chansons faisaient les beaux jours des répertoires les plus divers (Wild World, par Maxi Priest, Peace Train, par 10 000 Maniacs), il ne publiait plus que des disques de litanies religieuses.
A Mawazine, le ci-devant Cat Stevens a effectué un retour scénique triomphal
Poussé par son fils Yoriyos et quelques amis, dont Paul Mc Carteney et Peter Gabriel, Yusuf Islam décida de renouer avec son passé folk. Avec deux albums, An Other Cup (2006) et Roadsinger (2009) et une chanson dédiée au «printemps arabe», My People, il entama sa tournée à travers le monde, avec plus ou moins de bonheur. Quel accueil lui réserveront les Marocains ? Réponse, lundi 23 mai. Une heure avant le concert, le vaste espace OLM Souissi était noir de monde, au point que des dizaines de personnes ont dû rebrousser chemin ou se contenter de suivre le spectacle de l’extérieur. A 22 h, Yusuf Islam parut. La foule gagnée par le délire. Des Youssef, Youssef ! fusèrent de toutes parts. Le chanteur attaque par The Wind, sous un tonnerre d’applaudissements, enchaîna par Miles from nowhere, poursuivit par Love my dog, puis alterna morceaux de son ancien répertoire et chansons de ses deux récents albums, telle Moon shadow, qui ravit un public ébahi par les qualités vocales, la maîtrise instrumentale et l’adresse musicale de ce chanteur à peine émergé d’une interminable éclipse.
Un des enseignements majeurs de Mawazine X, la résurrection de l’agonisante chanson marocaine
Les prestations de Cimarron, Bharati (vendredi 20 mai), Gocoo, Kanye West (samedi 21 mai), Roger Hodgson, Sugababes (dimanche 22 mai), Susan Baca, Yusuf Islam (lundi 23 mai) sont autant de points d’orgue anticipés de cette Xe édition qui pliera samedi prochain. C’est dire combien celle-ci est profuse en moments de bonheur. Et en enseignements. L’OLM Souissi, en hébergeant Yusuf Islam, nous a appris que jamais le réel don musical ne se perd. Le Théâtre Mohammed V, par le truchement de Roger Hodgson et l’Orchestre symphonique royal, nous a prouvé, si besoin était, que les mélanges les plus improbables peuvent être jubilatoires, pourvu que de vrais talents s’y conjuguent. La scène de Salé nous a rassurés quant à la chanson contemporaine marocaine. Longtemps orpheline de ses piliers, elle retrouve le sourire, grâce à des chanteurs déjà installés tels Latifa Raafat, Nouâmane Lahlou, Asmaa Lamnawar, et aussi des valeurs montantes comme Saïda Fikri, Leila Barrak, Fatine Hilal, Mohamed Reda, Hatim Ammor… A la Villa des Arts, où la musique andalouse et le malhoun étaient à l’honneur, Ihssan Rmiki, Bahaa Ronda, Asmaa Lazrak, Touria Hadraoui sont venues confirmer que l’incursion des femmes dans ces pré carrés masculins, bien que réprouvée par les puristes, donne un supplément de grâce, de classe et d’âme à ces registres monocordes, arides et abscons sauf pour ceux qui en possèdent les clés.
Ce ne sont là que des sentiments éprouvés pendant les quatre premiers jours de Mawazine X. La suite promet d’être encore plus palpitante, et les derniers feux davantage embrassants, avec l’entrée en scène d’artistes qui ont le feu sacré. Histoire de donner aux lecteurs de l’eau à la bouche, nous en faisons une modeste présentation.
