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Entreprise sans tabac : Entretien avec Jamal Maà¢touk, Directeur de Juris-Land

L’obligation de veiller à  la santé des salariés est un motif pour interdire la cigarette dans l’entreprise.

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La loi est floue en ce qui concerne l’usage du tabac dans l’entreprise. Cependant, l’employeur peut l’interdire en se basant sur les dispositions du code du travail. Ce dernier l’oblige en effet, entre autres, à veiller à mettre les salariés dans de bonnes conditions de travail. Sa responsabilité peut être engagée, sous certaines conditions, au cas où un salarié tombe malade à cause de la fumée de la cigarette. Si les choses sont claires et l’interdiction est sans équivoque dans les établissements publics, les administrations, les cours intérieures des établissements scolaires, les cafés et les restaurants, il en est différemment pour les bureaux. Explications de Jamal Maâtouk, directeur du cabinet Juris-Land.  

La loi sur le tabac est-elle applicable aux entreprises ?
En principe, la loi 15/91 relative à l’interdiction de la consommation du tabac et de la publicité de ce produit dans les lieux publics interdit de fumer dans tous lieux destinés à un usage collectif, tous services publics, établissements publics et bureaux administratifs. Ce texte a été amendé, mais on attend toujours sa publication au Bulletin officiel.
Le nouveau texte désigne par lieux publics les établissements publics, les administrations et les bureaux, les cours intérieures des établissements scolaires, les cafés et les restaurants dont la superficie ne dépasse pas les 50 m2. A noter que les cafés et restaurants visés par ce texte peuvent néanmoins aménager des espaces fumeurs. Mais pour cela, ils devront respecter certains critères. Ces espaces doivent être bien aérés et être complètement isolés du reste du local. La vente aux mineurs est aussi interdite.
Si les choses sont claires et l’interdiction est sans équivoque dans les établissements publics, les administrations, les cours intérieures des établissements scolaires, les cafés et les restaurants, il reste à savoir si les locaux d’entreprises privées peuvent être assimilés à des lieux publics.
 
Le tabac peut-il alors être régi par les dispositions du code du travail sur l’hygiène, la sécurité et la santé ?
Bien sûr. Le fait d’enfumer des salariés au sein de l’entreprise et particulièrement les non-fumeurs est une atteinte à la santé et à l’hygiène dans l’entreprise puisque, scientifiquement, il a été prouvé que le tabac nuit à la santé et peut être à l’origine du cancer, même si une nouvelle thèse sur le tabagisme passif défend le contraire.
Théoriquement, il pèse sur le chef d’entreprise, entre autres, deux obligations essentielles à savoir de verser un salaire au salarié en contrepartie de sa prestation et d’assurer un climat de travail qui respecte les conditions d’hygiène et de santé.
A défaut, sa responsabilité civile, voire pénale, peut être mise en cause.
 
Un salarié victime d’une maladie provoquée par le tabac peut-il attaquer son employeur ?
Cette question renvoie au principe classique de responsabilité civile de l’employeur. Si les trois éléments fondamentaux de la responsabilité civile sont réunis, effectivement sa responsabilité civile peut être engagée.
D’abord, il faut qu’il y ait un fait ou une faute de l’employeur directement ou de l’un, ou d’un groupe de ses salariés comme par exemple le fait, pour un ou plusieurs salariés, de fumer, et régulièrement, dans un bureau en présence d’un autre ou d’autres salariés non fumeurs.
Ensuite, il faut qu’il y ait un dommage, notamment que l’un des salariés par exemple soit atteint d’une maladie scientifiquement liée à la fumée.
Enfin, il faut qu’il soit établi une relation de causalité entre le fait d’enfumer le salarié atteint, c’est-à-dire le comportement fautif du salarié fumeur et la maladie dont est atteint le salarié non-fumeur, la victime.

Dans le même cadre, peut-on parler de maladie professionnelle si un employé est atteint de cancer ou d’un problème respiratoire imputé au tabac ?
Les maladies professionnelles sont régies par le dahir du 31 mai 1943. A cet égard, on n’est pas libre de décider que telle ou telle maladie soit qualifiée de telle, car il faut revenir à une liste dressée de façon limitative par arrêté du ministre de l’emploi, en concertation avec le ministre de la santé, de toutes les maladies professionnelles. Et pour répondre à cette question, il suffit juste de revenir à cette liste.
On peut citer, entre autres, l’asthme, la dermatose, l’anémie, la surdité, l’encéphalopathie, l’atteinte rénale, les cancers. Par ailleurs, il faut que cette maladie ait une relation directe avec le travail. Plus précisément, qu’elle soit la conséquence directe du travail.
 
L’entreprise peut-elle, si elle le désire, interdire l’usage du tabac dans ses locaux ?
Bien sûr ! Dans le cadre des prérogatives et de la responsabilité de l’employeur, il lui est possible de décider de manière unilatérale de l’interdiction de fumer au sein de l’entreprise et d’adjoindre cette interdiction au règlement intérieur. Aussi, il est important que les nouveaux salariés soient informés de cette interdiction au moment du recrutement.
 
Sur quels textes peut-il se baser pour le faire ?
L’obligation de veiller à la santé, la sécurité et l’hygiène de ses salariés constitue le meilleur alibi pour un chef d’entreprise pour interdire de fumer au sein de l’entreprise. Le législateur, à travers l’article 281 du code du travail, impose à l’employeur de veiller à la sécurité, la santé et l’hygiène au sein des locaux de l’entreprise.
Il stipule que «l’employeur doit veiller à ce que les locaux de travail soient tenus dans un bon état de propreté et présenter les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé des salariés, notamment en ce qui concerne le dispositif de prévention de l’incendie, l’éclairage, le chauffage, l’aération, l’insonorisation, la ventilation, l’eau potable, les fosses d’aisance, l’évacuation des eaux résiduaires et de lavage, les poussières et vapeurs, les vestiaires, la toilette et le couchage des salariés».
Nous savons tous que les locaux qui ont subi la fumée d’une seule journée dégagent une odeur insupportable, plusieurs mois. Mauvaise odeur, moisissure, inhalation de fumée sont favorables à l’apparition d’une allergie ou autre maladie plus grave, comme le cancer. A ce propos, l’avis d’un médecin serait certainement très utile.
Par ailleurs, en vertu de l’article 88 du DOC, le chef d’entreprise est gardien des locaux du travail et, partant, doit faire tout ce qui est nécessaire pour éviter le dommage à ses salariés. Sa responsabilité est engagée.
Il est appelé à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la santé de ses salariés soit protégée dans les locaux du travail.

Y a-t-il un quelconque risque d’être poursuivi par un ou plusieurs employés fumeurs qui se sentent lésés ?
Non il ne risque pas d’être poursuivi, si le salarié est informé de cette interdiction, et si cette interdiction est faite dans les règles de l’art en matière juridique. Surtout, il ne faut pas oublier qu’il incombe à l’employeur de veiller à la santé et à l’hygiène de ses salariés dans l’entreprise. Comme je l’ai déjà souligné, sa responsabilité peut être engagée s’il n’agit pas comme aurait fait un bon père de famille car ne pas interdire de fumer dans l’entreprise équivaudrait à ne pas protéger les salariés non fumeurs des dangers qui les guettent.
A cet égard, on peut citer l’article 287 du code du travail et duquel on peut se permettre une interprétation large : «(…) est interdit à l’employeur de permettre à ses salariés l’utilisation de produits ou substances, d’appareils ou de machines qui sont reconnus par l’autorité compétente comme étant susceptibles de porter atteinte à leur santé ou de compromettre leur sécurité. De même, il est interdit à l’employeur de permettre à ses salariés l’utilisation, dans des conditions contraires à celles fixées par voie réglementaire, de produits ou substances, d’appareils ou de machines susceptibles de porter atteinte à leur santé ou de compromettre leur sécurité».
Certes, il ne s’agit pas là spécifiquement de la fumée de cigarettes, mais celle-ci peut être considérée comme étant une substance nocive.
En France, et cela s’est passé en 2004 bien avant le décret de 2006 interdisant de fumer dans les lieux de travail, la Cour de cassation a reconnu le fait de fumer dans l’entreprise comme étant une faute grave qui a justifié un licenciement.