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Ces 3 000 milliards de DH de dette implicite qu’on ne voit pas dans les comptes de l’Etat
Ils concernent les engagements de l’Etat au titre des caisses de retraite. La dette implicite est, selon le scénario retenu, de 1 200 milliards ou 3 155 milliards de DH.
La dette publique contractuelle, elle, est de 432 milliards de DH.
L’Etat a des actifs, y compris financiers, à même d’en réduire le poids, mais à combien se chiffrent-ils ?
Généralement, quand on parle de déficit, on vise le solde négatif réalisé au cours d’un exercice budgétaire. Cette présentation comporte une double limite : d’une part, le déficit n’est pas que budgétaire, et d’ailleurs certains pays utilisent le concept de déficit public, intégrant ainsi à la fois le déficit du budget et celui des comptes sociaux (sécurité sociale notamment) ; d’autre part, le déficit, selon certains économistes, ne devrait pas se limiter au solde entre les recettes et les dépenses mais concerner les engagements implicites des pouvoirs publics. Par engagements implicites, il faut entendre les montants que l’Etat devra verser dans le futur, proche ou lointain, dans le cadre du système de la sécurité sociale en général, et du système des retraites en particulier.
A combien s’élèvent les engagements implicites ou, si l’on veut, le déficit implicite de l’Etat marocain, seulement en matière de retraite ? Selon un rapport réalisé par le cabinet Actuaria sur le système de retraite marocain, les engagements pour les quatre principaux régimes de retraite (CNSS, CMR, RCAR et CIMR) s’élèvent à 1 187,4 milliards de DH en termes de stock. Plus simplement, en supposant que les quatre régimes cessent de fonctionner dès aujourd’hui, que l’on arrête les cotisations et que l’on verse les pensions existantes et celles à venir pour ceux qui ont déjà cotisé, les pouvoirs publics auront quand même à débourser d’ici à 2060 près de 1 200 milliards de DH. En revanche, si ces mêmes caisses continuent de fonctionner, dans les conditions qui sont celles d’aujourd’hui, le passif implicite montera, toujours d’ici 2060, à 3155 milliards de DH.
CNSS : des engagements de 1 668 milliards de DH préfinancés à hauteur de 26,4%
Bien sûr, les caisses ne sont pas toutes logées à la même enseigne ; certaines présentant des risques beaucoup plus importants comme c’est le cas de la CNSS et de la CMR. Il faut savoir en effet que le total des ressources de la CNSS ne couvre que 3,7% (soit 18,4 milliards de DH) de ses engagements dans le cadre du scénario fermé et un taux de préfinancement de 26,4% dans le scénario ouvert. C’est donc le régime sur lequel pèsent les plus grands risques. La CMR, elle, couvre 11,5% de ses engagements dans le scénario fermé et préfinance 32,4% des engagements dans le scénario ouvert. La CIMR a un total engagement de 63 milliards de DH et un total ressources de 18 milliards de DH, soit un taux de couverture de 28% en régime fermé. En régime ouvert, le taux de préfinancement est de 72 % (149 milliards) pour un total engagements de 208 milliards de DH. Le RCAR, quant à lui, est le régime qui présente le moins de risques possibles puisqu’il couvre ses engagements (112 milliards) à hauteur de 80% (ou 89 milliards), dans le cadre du scénario fermé, et préfinance 74% (125 milliards de DH) de ses engagements (175 milliards) en scénario ouvert.
Mais dans tous les cas, il s’agit de déficits implicites à la charge de la collectivité, laquelle s’incarne dans l’Etat qui la représente. En réalité, ce déficit implicite, il est aussi considéré comme une dette implicite, car, qu’est-ce qu’une dette si ce n’est la somme des déficits cumulés dans le passé ? Autrement dit, on peut considérer, avec prudence certes, que la dette implicite (c’est-à-dire soit les 1 200 milliards comme stock du passif implicite, soit les 3155 milliards comme flux implicite qui viendra gonfler ce stock) est une dette que l’on peut additionner à la dette explicite, celle contractée par l’Etat et qui s’élève, à fin avril 2010, à 358,8 milliards de DH. Et en y ajoutant la dette garantie, celle des entreprises et établissements, d’un montant de plus de 73 milliards de DH, la dette publique «explicite» est de 432 milliards de DH. Cela donne la mesure des risques budgétaires dont on aurait tort de sous-estimer la gravité par le seul fait qu’il s’agit de déficits hors bilan.
Si l’Etat a l’obligation d’honorer la dette contractuelle, donc explicite, peut-il ignorer la dette implicite ? Légalement, et même sur le plan doctrinal, rien ne l’y oblige, mais moralement il ne peut y échapper. C’est bien pour cette raison d’ailleurs que les Etats, disposant désormais d’outils statistiques de plus en plus sophistiqués, sont à même de définir les scénarios d’évolution des systèmes de retraite, source principale de dettes (ou de déficits) implicites, et d’engager en conséquence les réformes permettant de contenir ces risques financiers. Le Maroc est exactement dans cette situation : il dispose désormais d’un diagnostic de la situation des retraites et de prévisions sur l’évolution du système. Reste à engager la réforme.
En revanche, il n’existe aucune étude sur les actifs (financiers ou physiques) de l’Etat, permettant de contrebalancer ou de réduire le poids de la dette brute, ni de données sur la dette consolidée (voir encadré)…
