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Idées

Crise mondiale : les vraies pathologies de l’économie libérale

La crise actuelle ne peut être expliquée par de simples causes financières ou monétaires. Il s’agit d’une crise profonde du système qui nécessite que l’on réinvente un nouveau mode de vie. L’économie de marché porte en elle, depuis les années 80, les germes de la crise.

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rub 16337

Circonscrire la crise aux seuls aspects financiers et économiques et limiter les causes aux seules subprimes serait une erreur politique et idéologique qui cantonnerait les remèdes à de simples saupoudrages du système par des injections monétaires, des mesures de régulation ou autres règles prudentielles. Certes, le détonateur est d’ordre financier, mais il n’a fait que déclencher les foyers pathologiques qui rongeaient le système économique et social dans son fonctionnement et ses mécanismes depuis le début des années 1980. Certes, il y a des mauvaises pratiques et des erreurs de gestion, mais c’est la logique du système lui-même qui rend fatale la crise : la libre circulation des capitaux et la valorisation du capital ne peuvent procurer une prospérité durable par la satisfaction des besoins du plus grand nombre et distribuer équitablement le pouvoir d’achat à cet effet.
Quatre foyers pathologiques au moins constituent des sources de crises structurelles dans le fonctionnement du système capitaliste et de l’économie libérale.
La première de ces pathologies est que le marché connaît des limites systémiques. Si le marché est le meilleur mécanisme de répartition des ressources rares, il est incapable de créer par lui-même l’Etat de droit dont il a besoin, ni la demande nécessaire au plein usage des moyens de production. Pour qu’une société de marché fonctionne efficacement, il faut qu’un Etat de droit garantisse le droit de propriété, impose le maintien de la concurrence, et crée une demande par des salaires décents et des commandes publiques, générateurs d’une véritable classe moyenne.
La seconde raison, selon Michel Aglietta, est que la monnaie est un bien public qui joue un rôle essentiel dans les crises. Il est impossible de comprendre l’origine de la crise financière sans prendre en considération l’incroyable croissance inutile des liquidités ; inutile, car la création sans précédent de produits financiers totalement désolidarisés de l’économie réelle n’a pu être possible que grâce à ces liquidités mises à la disposition des banques. C’est au niveau des relations entre mécanismes monétaires et marchés financiers que réside l’axe d’intervention du pouvoir politique, pour mettre fin aux contradictions entre marché des biens et services et marché de l’emploi (sphère réelle), d’une part, et marchés monétaires et financiers (sphère monétaire), d’autre part.
Le troisième foyer de pathologies réside dans le fait que le système capitaliste ne s’accommode pas avec le rôle de l’Etat au plan macroéconomique et avec la juste répartition de la productivité additionnelle au niveau microéconomique. D’où la nécessité de nouvelles régulations nécessitant plus d’harmonisation et plus de complémentarité entre les politiques économiques et sociales, d’une part, et les rôles combinés des pouvoirs politiques (politiques budgétaires) et des autorités monétaires (politique monétaire), d’autre part, afin de maîtriser les imperfections des mécanismes du marché.
Partout la dette publique a remplacé la dette privée. Les ménages cessent de dépenser et il n’est plus possible de compter sur les marchés extérieurs, donc seul l’Etat peut dépenser. La dépense de l’Etat signifie une augmentation spectaculaire du déficit budgétaire et une progression de la dette publique relativement au PIB.
Le dépassement des contraintes macroéconomiques qui vont à l’encontre de la logique des marchés financiers suppose un autre type de capitalisme, une autre société de marché et un autre rôle de l’Etat. Aujourd’hui, l’idéologie a le plus grand mal à ne pas faire croire que le capitalisme mondial ne sert qu’une petite minorité et que le mode de vie imposé ne s’accommode plus avec l’évolution des sociétés, les diversités culturelles et les rapports de force.
Les deux piliers fondamentaux du capitalisme, à savoir démocratie et marché sont des valeurs menacées. Marchés et démocratie doivent se renforcer réciproquement mais sur de nouvelles bases qui permettent un nouveau mode de vie et une nouvelle civilisation. La démocratie a besoin du marché parce qu’il ne peut y avoir de liberté politique sans liberté économique. Et le marché a besoin de la démocratie, ou à tout le moins d’un Etat pour protéger les droits de propriété, la liberté intellectuelle et entrepreneuriale, et pour établir un plein usage des moyens de production, afin de garantir la juste répartition des revenus et des richesses au bénéfice du bien-être collectif et l’élargissement du marché.
C’est là où se situe le quatrième foyer de pathologies structurelles. Il réside dans la relation entre sphère politique et sphère économique. Alors que la démocratie est en principe régie par une majorité changeante qui investit et contrôle l’appareil d’Etat, les marchés, eux, sont, dominés par ceux qui contrôlent les moyens de production, en particulier par ceux qui peuvent allouer les capitaux en fonction des informations dont ils disposent et qui, par leur puissance, finissent par contrôler l’appareil de l’Etat.
Il est urgent de prendre la mesure véritable de ce qui se joue actuellement au plan mondial au niveau des régions et des nations. Nous sommes en train de vivre une crise profonde de civilisation qui donnera naissance à un nouvel ordre économique. Cette crise n’est pas le reflet d’un simple retournement de conjoncture, c’est une crise systémique d’une grande ampleur, dont le dépassement exige la reconstruction de tout un système économique sur des bases de solidarité et de  complémentarité. Surtout que cette crise est la première de cette ampleur dans un monde globalisé, c’est donc un test pour une mondialisation jusqu’ici en expansion constante. Il s’agit de concevoir un nouveau mode de vie avec de nouvelles règles sociétales et civilisationnelles basées sur l’effort individuel et collectif, pour que la société soit une société d’action et de solidarité plutôt qu’une société assistée. Cela concerne tous les pays, quel que soit leur niveau de développement, surtout les pays dits «émergents» où systèmes et structures sont en formation.