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Ahmed Chami : Le Maroc peut devenir à  l’Europe ce que le Mexique est aux Etats-Unis

Un an après son lancement, le Pacte pour l’émergence industrielle connaît quelques blocages dus à  des problèmes de coordination et des chevauchements entre plans sectoriels.
Electronique et agroalimentaire accusent du retard par rapport aux autres métiers mondiaux du Maroc.
Il y a encore beaucoup à  faire dans le secteur du textile.?Trois faiblesses pointées du doigt.

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Le 30 mars, le Maroc connaîtra la tenue de ses premières assises de l’industrie. Pourquoi ces assises ?
Il y a deux raisons essentielles. D’abord, c’est une façon de mobiliser en permanence les industriels. Ensuite, le deuxième objectif est d’instaurer une tradition d’évaluation. Nous avons lancé le Pacte national pour l’émergence industrielle il y a un an. Il est important de donner de la visibilité aux professionnels sur l’avenir mais surtout faire l’évaluation de ce qui est passé. Nous avions de gros objectifs car le pacte comprend 111 mesures. Nous devons faire le point sur ce qui a été réalisé, ce qui ne l’a pas été et pour quelles raisons. Ça nous permettra d’améliorer, de rectifier le tir, de mettre le doigt sur les blocages…

Quels sont les chantiers que vous avez eu du mal à faire avancer ?
Dans le pacte, il y a des actions et des mesures qui nécessitent l’intervention de plusieurs départements ministériels à la fois. Ce sont ceux-là qui sont les plus difficiles à faire avancer. L’autre source de difficultés vient du fait du chevauchement du pacte avec d’autres plans sectoriels. Tout le travail consiste à faire converger les plans, ce qui n’est pas toujours évident. Et c’est pour cela que nous demandons aux autres départements, à l’occasion de ces assises, de venir nous présenter l’état d’avancement des mesures sur lesquelles ils sont engagés.

Ya-t-il des dossiers, des secteurs, des ministères qui posent particulièrement problème ?
Oui, il y a des dossiers qui n’avancent pas du tout. Je ne les citerai pas, cela ne sert à rien, mais je peux vous assurer que nous y travaillons activement.

Dans le Pacte national il y a ce qu’on appelle les métiers mondiaux du Maroc. Certains sont bien lancés comme l’offshoring, l’automobile, l’aéronautique. D’autres pas encore… Pourquoi ?
C’est vrai. Il y a par exemple le secteur de l’électronique. D’abord, je reconnais que nos ambitions dans ce secteur n’étaient pas très grandes. A peine 15 000 emplois comme objectif alors qu’à mon sens on peut faire beaucoup plus. D’ailleurs, je pense qu’on va revoir cet objectif à la hausse. Ensuite, il ne faut pas oublier que c’est un des secteurs qui ont été les plus frappés par la crise au niveau mondial. Certains opérateurs étrangers ont retardé leurs projets d’implantation au Maroc. La troisième raison est que c’est un secteur qui est fragmenté avec beaucoup de petites et moyennes entreprises qu’il faut aller démarcher une par une. Ce n’est pas comme l’automobile où il suffit d’avoir un gros constructeur, comme Renault par exemple, pour voir les équipementiers suivre. Il y a aussi le secteur de l’agroalimentaire dont la situation est différente. D’abord, il faut laisser le temps au Plan Maroc Vert de se mettre en œuvre et commencer à donner ses fruits. Ensuite, il y a tout un travail de convergence à faire entre ce plan et le Pacte national pour l’émergence industrielle. Certaines filières relèvent du Plan Maroc Vert, d’autres du pacte et donc il faut mettre en cohérence les plans d’action.

Et le textile ?
Quoi qu’on dise, le textile est un secteur où nous avons encore beaucoup de potentiel à exploiter. Mais nous devons travailler sur des aspects que nous avons d’ailleurs déjà identifiés si nous voulons transformer le secteur de manière structurelle. Il y a la filière finissage-impression-teinture qui n’est pas très développée au Maroc. D’un autre côté, il y a l’amont, c’est-à-dire le tissage. Nous sommes partis démarcher de grands opérateurs français et turcs qui sont intéressés par une implantation au Maroc. Enfin, troisième faiblesse du secteur textile au Maroc, nous n’avons pas suffisamment investi dans la créativité pour faire de la co-traitance et du produit fini.

Mais en 2003 déjà, l’Amith avait mis en place un plan d’action qui visait ce passage à la co-traitance. Ça fait sept ans déjà…
Oui, c’est vrai. Mais nous essayons de rattraper le retard. Entre autres mesures, il y a l’école de la mode qui va ouvrir ses portes à la prochaine rentrée et commencer à fournir le marché en designers…

C’est une école qui devait ouvrir en 2007 déjà…
Exact. D’ailleurs, la plus grande frustration que j’ai par rapport à tous les plans d’action c’est le temps ou plutôt les retards. Nous avons également lancé il y a quelques mois des produits Imtiaz et Moussanada pour aider financièrement les entreprises. Nous sommes en train d’étudier la possibilité de moduler ces produits pour les adapter à la spécificité et aux impératifs du secteur textile. Nous voulons mettre en place des aides financières pour aider des groupes d’entreprises à mutualiser les structures de créativité. Les aides serviraient à financer la création de plateformes communes pour créer et proposer des modèles, des collections… Cela aura un plus grand impact que si l’on aide chaque entreprise de manière isolée.

Si on vous demandait aujourd’hui votre avis sur l’industriel marocain…
Je pense qu’il y a une nouvelle génération d’industriels bien formés et au même niveau de performance et de vision que des entrepreneurs européens ou américains. Aujourd’hui, il y a des groupes industriels qui sont à la pointe et qui continuent d’investir. Malheureusement, cette population ne constitue pas la majorité de notre tissu industriel. Il y a un travail à faire pour instaurer une nouvelle culture industrielle. Avant, les industriels marocains évoluaient dans un marché protégé et par conséquent n’ont pas développé une agressivité commerciale. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Et certains industriels sont restés sur les anciens schémas. Nous devons leur faire prendre conscience qu’ils ont aujourd’hui un marché d’un milliard de consommateurs que représentent tous les pays avec qui nous avons des accords de libre-échange et ils doivent pouvoir prendre des parts de marché importantes.

Oui, mais pour prendre des parts de marché il faut être compétitif et ces mêmes industriels évoquent le coût des facteurs de production, notamment l’énergie, plus élevés que dans des pays concurrents comme l’Egypte, par exemple…
L’argument des coûts des facteurs ne tient pas à mon sens. Une usine de montage automobile en Espagne qui emploie 10 000 personnes doit payer 400 millions d’euros de salaires. La même usine au Maroc ne déboursera que 100 millions d’euros. Nos concurrents ne sont pas les Egyptiens mais les producteurs espagnols qui vendent sur le marché espagnol ou en Europe. Les Egyptiens ne pourront jamais nous concurrencer sur les équipements automobiles et sur le marché européen. Arrêtons de nous comparer à l’Egypte ou à la Tunisie. Le Maroc a des facteurs de production compétitifs par rapport à l’Europe et c’est cela qui nous ouvre les opportunités.
Le seul cas où le coût des facteurs peut nous faire perdre des parts par rapport à des concurrents comme l’Egypte c’est que nous soyons face à un marché européen en décroissance. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui, le marché est en expansion d’une année à l’autre.

Mais vous ne pouvez pas nier que les produits égyptiens font souffrir les Marocains sur le marché local…
Là, en effet, je suis parfaitement d’accord. Quand une entreprise reste focalisée sur le marché local, les produits égyptiens, tunisiens ou autres peuvent faire des dégâts. Et si notre tissu reste focalisé sur le marché local, on n’aura plus d’industrie dans quelques années.

Vous n’êtes pas inquiet quand vous voyez notre économie devenir une économie de service. L’industrie finira-t-elle un jour par disparaître ?
Non je n’ai pas peur. Au contraire, nous ne sommes qu’au début du développement industriel à condition que nos chefs d’entreprises y croient. Les pouvoirs publics y croient et y mettent tous les moyens. En plus, si de gros industriels étrangers viennent s’installer au Maroc ce n’est pas par hasard. Personne ne les force à venir investir chez nous.

Vous trouvez que les industriels marocains n’y croient pas trop ?
Je pense qu’ils doivent y croire encore plus.

Quels sont à votre avis les principaux obstacles à l’investissement au Maroc ?
Je trouve inadmissible qu’un investisseur doive attendre deux ans pour obtenir une autorisation. L’autre problème est le foncier : nous n’avons pas prévu suffisamment de terrains industriels là où on en avait le plus besoin, d’où d’ailleurs la nouvelle génération des plateformes industrielles intégrées (P2I). Dans l’ancienne génération des zones industrielles, 50% des terrains attribués ne sont pas encore valorisés à ce jour. Je vous annonce que nous introduirons un texte de loi pour récupérer légalement les terrains industriels non valorisés. A cela, j’ajouterai tout le volet des pratiques qui faussent le jeu de la concurrence libre et saine comme la sous-facturation, les fraudes sur les origines des marchandises, la contrebande, les produits qui ne respectent pas les normes de qualité, le dumping, etc.

Beaucoup d’industriels redoutant l’année 2012 quand les produits européens entreront chez nous sans droits de douane. On prévoit la disparition de certaines filières. Qu’en pensez-vous ?
Il faut relativiser les choses. D’abord, le démantèlement se fait de manière progressive depuis plusieurs années. Donc, nous ne passerons pas de tout à rien et les industriels marocains ont eu le temps de s’y préparer. D’un autre côté, à part quelques industries particulières, si pour les autres nous n’arrivons pas à être plus compétitifs que l’Europe c’est que nous ne sommes pas bons du tout. Ce serait trop grave et je ne pense pas que ce soit le cas. Je suis convaincu que le Maroc peut jouer pour l’Europe le rôle que joue le Mexique pour les Etats-Unis.

Un plan d’urgence avait été lancé en février 2009 pour aider les entreprises à faire face à la crise. Contrairement à certains patrons qui le demandent, certains membres du gouvernement sont d’avis de ne pas reconduire les mesures de soutien. Quelle est votre position ?
Les mesures ont été mises en place pour faire face à la crise. Si les facteurs de la crise ne sont plus là, il est évident que les mesures n’ont plus à être reconduites. Mais si la crise est toujours là, je pense que nous devons étudier la possibilité de poursuivre.

Sur le cas Legler, on reproche au gouvernement, notamment votre ministère, d’être resté silencieux…
Au début de la crise de Legler, j’ai moi-même reçu les actionnaires majoritaires dans mon bureau et j’ai longuement écouté leurs arguments. Nous sommes préoccupés par cette affaire certes, mais que peut faire l’Etat dans une affaire concernant un entreprise privée dans sa relation avec des banques privées ?

Au début, il y a eu cette idée du gouvernement de faire entrer un fonds d’investissement public/privé dans le  capital de l’entreprise pour la sauver. Mais, depuis, rien de concret…
Le concept de fonds d’investissement public/privé est énoncé dans le Pacte national pour l’émergence industrielle donc bien avant l’affaire Legler. Maintenant, l’idée n’a pas encore mûri. On ne peut donc pas encore la mettre en oeuvre.