Affaires
Michel Pébereau : Le système bancaire marocain est solide, fiable et déjà très concentré
Les banques françaises n’ont pas souffert excessivement de la crise financière mondiale. Elles ont remboursé les prêts accordés par l’Etat
Après la crise de croissance, le problème de la dette publique. Une action coordonnée des Etats est nécessaire pour s’en sortir sans dégà¢ts.
Pour le Maroc, malgré une décélération, le potentiel de croissance du crédit reste important.

Figure mondialement connue du monde de la Finance, dirigeant de banques depuis 27 ans, artisan de la privatisation du Crédit Commercial de France en 1987 et de la fusion entre BNP et Paribas, en 1993, président de la commission en charge de l’étude sur la dette de la France, en 2005, Michel Pébereau, diplômé de Polytechnique et de l’ENA et qui préside le conseil d’administration de BNP Paribas depuis 2004, était de passage au Maroc le 22 janvier dernier à l’occasion du lancement de la banque privée de la BMCI, filiale du groupe. Il nous livre ses impressions sur le système bancaire mondial et les répercussions de la crise internationale.
L’année 2009 a été marquée par le redressement des agrégats?de?plusieurs?banques mondiales qui avaient souffert de la crise. Comment BNP Paribas a-t-elle terminé cet exercice ?
BNP Paribas publiera ses résultats annuels le 17 février. Il faudra donc patienter jusqu’à cette date pour les connaître. Le groupe a résisté, trimestre après trimestre, mieux que la plupart de ses concurrents. Il est resté à l’écart des produits toxiques. Il a une gestion des risques rigoureuse. Le modèle de BNP Paribas, qui repose sur un équilibre stable des métiers associé à une gestion des risques professionnelle et prudente, a bien joué son rôle d’amortisseur depuis le début de la crise.
En 2009, nous avons fait une grande opération de croissance externe, avec l’acquisition de Fortis. C’est la seule opération transfrontière de cette envergure qui ait été réalisée en Europe pendant cette crise. BNP Paribas est désormais la première banque de la zone euro par le niveau des dépôts, avec quatre marchés domestiques en Europe : la Belgique, la France, l’Italie et le Luxembourg.
Quelques chiffres… ?
Sur les 9 premiers mois de l’année, nous avons réalisé un bénéfice net de 4,5 milliards d’euros, à peu près comme sur la même période de 2007. Il faut rappeler qu’au plus fort de la crise financière, en 2008, nous avons gagné de l’argent : 3 milliards d’euros.
Qu’est-ce qui a alimenté la croissance du secteur bancaire en 2009 ?
Les activités de banque de financement et d’investissement ont recommencé à générer des bénéfices de façon normale, alors qu’en 2008 elles avaient été en perte. Les activités de banque de détail ont en revanche été affectées par les effets de la crise économique. Le coût du risque est plus élevé. Mais globalement la banque de détail reste largement profitable.
Un coût du risque qui augmente finalement de combien ?
Pour le groupe, le coût du risque a doublé sur les 9 premiers mois de 2009 par rapport à la même période 2008, pour atteindre 6,5 milliards d’euros, ce qui représente un taux annualisé de 1,4% des encours pondérés Bâle I, contre 0,8% sur la même période de l’année 2008. Cette hausse est le résultat d’une dégradation dans l’ensemble de nos métiers. Le coût du risque annualisé dépasse 3% des encours pondérés pour nos activités de banque de détail aux Etats-Unis et dans certains pays émergents comme l’Ukraine, ainsi que pour nos activités de crédits spécialisés aux particuliers. Il est plus modéré, autour de 1%, pour nos activités de banque de financement et d’investissement. Il est inférieur à 1% pour nos marchés domestiques.
Après la crise du crédit et les plans de relance massifs, ne doit-on pas craindre une crise de dette publique ?
La crise de confiance provoquée, au niveau mondial, par la faillite de Lehman Brothers, n’a pas de précédent. Elle a failli provoquer une crise systémique du monde financier et une récession très profonde de l’économie. L’intervention des Etats et des banques centrales était indispensable pour éviter des enchaînements catastrophiques. Elle a eu lieu, de façon coordonnée, au niveau européen et au niveau international.
On ne peut donc que s’en féliciter. C’est vrai que l’ampleur des déficits publics qui en résulte pose, dans plusieurs pays, de très sérieux problèmes de dette publique. Il faudra que chacun s’attaque à ces problèmes, avec ses moyens et son calendrier, dès que les perspectives de croissance seront assurées.
Il y a un dilemme entre la nécessité de continuer à relancer l’économie et le risque de tomber dans le surendettement. Beaucoup de pays craignent de stopper leurs plans de relance trop tôt…
Il était indispensable que les banques centrales assurent la liquidité du système financier. Et il est incontestable que les Etats ont eu raison d’augmenter les déficits publics pour freiner la récession, tant la crise de confiance était importante et générale. Nous étions dans une situation où les ménages freinaient leur consommation, et les entreprises leurs embauches, les uns et les autres gelant leurs investissements. Grâce à cet effort considérable des Etats, la chute de la production a été interrompue dans la plupart des pays de l’OCDE au 3e trimestre 2009 sauf au Royaume-Uni et en Espagne. Mais cela a conduit dans plusieurs pays à des niveaux préoccupants de déficits et d’endettement public, et à une création monétaire considérable. A quel moment faudra-t-il commencer la remise en ordre ? J’ai le sentiment que, là aussi, il faudra une coordination entre Etats et banques centrales, d’une part, et entre Etats eux-mêmes, d’autre part, pour que l’on agisse, pour chaque pays, au bon moment.
Et tout cela prendrait combien de temps ?
Il va falloir engager des politiques rigoureuses de gestion monétaire et budgétaire avant la fin de l’année. La remise en ordre prendra certainement plusieurs années, sous peine de freiner la croissance.
Ne craignez-vous pas d’autres surprises liées aux subprimes ?
BNP Paribas n’a jamais fait de crédits subprimes. Pourtant nous avons une importante activité de banque de détail aux Etats-Unis, sur la côte ouest avec Bank of the West, dont le siège est en Californie, l’un des Etats américains les plus affectés par cette crise. Notre exposition au risque «subprime» est restée très marginale.
Vous avez bien perdu des sous au titre de l’affaire Madoff…
Nous avons effectivement perdu de l’argent du fait de la faillite des fonds Madoff. Toutefois, BNP Paribas n’a fait aucun investissement pour compte propre dans les hedge funds dont les actifs étaient gérés par Bernard Madoff Investment Securities. Les pertes proviennent de nos activités de marchés et de prêts collatéralisés à certains fonds qui ont investi dans les hedge funds en question. Nous avions donné ces indications au marché dès que l’affaire Madoff a été connue.
Nos métiers de gestion et de conseil en épargne n’ont pas prescrit de ces fonds Madoff ou de fonds contenant du Madoff à leurs clients.
Quels enseignements avez-vous tirés de la crise ? Avez-vous opéré des changements dans vos orientations stratégiques ?
Nous considérons que rien ne sera jamais comme avant la crise. Les banques françaises ne sont pas responsables de cette crise. La France est d’ailleurs, avec l’Italie et le Canada, l’un des rares grands pays industrialisés dont le système bancaire a traversé la crise sans que l’une de ses grandes banques soit en perte, mais nous reconnaissons bien sûr que nous avons, avec tous nos confrères, une responsabilité collective dans la crise qu’ont provoquée les dérives de certains.
Pour ce qui concerne BNP Paribas en particulier, nous n’avons pas changé nos orientations stratégiques : notre modèle a montré sa résistance durant la crise, puisque nous sommes restés bénéficiaires chaque année, y compris en 2008. Notre banque de financement et d’investissement a même dégagé un résultat cumulé depuis le 1er juillet 2007, point de départ de la crise, toujours bénéficiaire pendant cette période. Cependant, nous avons réduit ou recentré un certain nombre d’activités dans notre pôle de banque de financement et d’investissement.
Plusieurs banques et grandes sociétés se sont retirées des marchés étrangers pour faire face à la crise. Qu’en est-il de vos participations stratégiques à l’international ?
Plusieurs banques, qui ont bénéficié d’aides massives et spécifiques de l’Etat, sont ou seront en effet contraintes de fermer ou de vendre certaines de leurs activités hors de leur marché domestique. C’est tout à fait souhaitable pour que la concurrence entre établissements s’exerce de façon équitable. Je voudrais ouvrir, ici, une parenthèse, pour préciser que les concours que l’Etat a faits aux banques françaises sont aujourd’hui presque intégralement remboursés et ils ont même rapporté aux contribuables deux milliards d’euros, in fine.
Pour en revenir aux participations à l’international, notre situation est très différente. Nous avons réussi à réaliser une opération de croissance externe d’envergure durant cette crise. L’acquisition de Fortis nous apporte notamment deux nouveaux marchés domestiques en Europe : la Belgique et le Luxembourg. Dans la banque de détail, nous avons des positions stratégiques dans le Bassin méditerranéen, avec une forte présence en Turquie. Nous sommes également présents en Ukraine. Et avec Fortis, nous avons désormais une base solide en Pologne. Nous adaptons notre dispositif à la crise, mais nous n’avons pas l’intention de nous retirer.
Si bien que votre processus de croissance externe n’est pas remis en cause…
BNP Paribas est une très grande entreprise avec 200 000 personnes dans plus de 80 pays, avec trois grands domaines d’activité. Nos revenus se répartissent dans des proportions à peu près stables depuis la création de BNP Paribas : plus de 50% pour la banque de détail, un peu moins d’un tiers pour la banque de financement et d’investissement et un sixième pour la gestion d’actifs. Notre projet c’est de continuer à développer nos activités par croissance interne, sans exclure quelques croissances externes opportunistes. Mais nous n’avons pas l’intention de faire à nouveau un grand saut comme celui de Fortis dans un proche avenir.
Peut-on dire que les pays émergents dans lesquels vous êtes présents se sont bien tirés de la crise ? Quid du Maroc ?
Concernant le Maroc et de manière générale pour plusieurs pays émergents dont les économies sont très liées aux économies européenne et américaine, on peut dire que les effets de la crise internationale se sont fait sentir un peu plus tard que dans les pays développés et qu’ils perdurent encore aujourd’hui. Cette crise a aussi impacté l’économie marocaine. Cependant, ses effets négatifs ont été certainement amoindris par la bonne année agricole qu’a connue le Maroc en 2009, et qui a été favorable à la croissance. Celle-ci a été maintenue à un niveau remarquable, plus de 5%, grâce également aux mesures prises par l’Etat pour soutenir les investissements, l’emploi et la demande intérieure. Le Maroc a des finances publiques saines.
Que pensez-vous du secteur bancaire marocain ?
C’est un des plus avancés et structurés de la région. C’est un bon système, solide et fiable, peu exposé aux risques internationaux, et déjà très concentré autour de sept à huit opérateurs qui font le marché. Il s’est beaucoup développé et modernisé ces dernières années grâce notamment à la politique menée par la banque centrale et son gouverneur, M. Jouahri. Les mesures de régulation qui ont été prises, notamment l’instauration de ratios prudentiels forts montrent bien leur rôle efficace en termes de supervision et de contrôle du marché. Un des axes majeurs d’amélioration serait, à mon sens, le développement de l’épargne à long terme, à l’instar des autres grands pays.
Pas de place pour de nouveaux entrants sur le marché !
Il y a toujours de la place pour des banques dans un pays déterminé à condition qu’elles se spécialisent bien, lorsqu’elles sont de petite taille. Il y a des niches dans lesquelles de petits établissements, gérés avec professionnalisme et prudence, peuvent trouver leur marché.
A quelle hauteur contribue la BMCI dans les résultats de BNP Paribas ?
Dans la zone «Europe-Méditerranée», la BMCI occupe une place de choix. Elle a été l’un des deux premiers contributeurs en termes de résultats en 2008 et 2009.
Le groupe BNP Paribas est actionnaire à plus de 66% de la BMCI, et nous comptons continuer et confirmer à l’avenir notre soutien à cette filiale importante. Preuve de notre engagement, la récente augmentation du capital de la BMCI l’année dernière et la conversion intégrale de nos dividendes en actions.
On assiste actuellement à une décélération du rythme de croissance du crédit au Maroc. Quel est, selon vous, le potentiel encore existant ?
En 2007 et 2008, années exceptionnelles, une grande partie des nouveaux engagements concernait l’immobilier. Il est donc normal que la décélération du marché immobilier, plus fortement affecté par la crise, ait influé directement sur le rythme de croissance des crédits.
Mais l’accroissement des encours totaux de crédits se situe autour de 10% pour 2009, ce qui représente un taux élevé, inconnu en Europe depuis longtemps. Le potentiel reste important, compte tenu du déficit en logements, de la proximité stratégique du Maroc avec l’Europe qui crée des opportunités d’investissements industriels, et des efforts déployés par l’Etat en termes d’infrastructures et grands projets.
Quel regard porte le président de BNP Paribas sur le Maroc en tant que pays ?
Le Maroc est un pays essentiel dans notre stratégie méditerranéenne. La BMCI est au demeurant la seule filiale du Groupe BNP Paribas dont je suis membre du Conseil de surveillance.
Nous avons une grande confiance dans ce pays qui récolte les fruits d’une politique économique avisée, dirigée avec un remarquable professionnalisme. Mais, surtout, ce que je voudrais souligner, c’est que le Maroc tire sa force tout à la fois de l’esprit entrepreneurial qui anime ses hommes et ses femmes, de la stabilité et de la qualité de ses institutions et aussi de sa cohésion sociale avec un fort consensus et une vision partagée de l’ensemble des Marocains sur leur avenir. Peu de pays rassemblent autant d’atouts.
