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Maroc – Communes : 19 milliards de DH d’excédent qui dorment !
En 2009, les communes disposaient d’un budget de 27 milliards de DH. Elles n’en ont consommé que 24 milliards.
Les excédents s’accumulent depuis plusieurs années. Ils ont atteint 19,3 milliards de DH à fin 2009. Trois milliards de DH pour la seule région de Casablanca.
Alors que les manques sont criants la non-utilisation des ressources est liée à la carence de compétences en gestion et en planification.

Paradoxal ! C’est le moins qu’on puisse dire en ce qui concerne les communes du Maroc. Le citoyen a l’habitude d’entendre dire qu’elles n’ont pas d’argent. Pas d’argent pour les routes, pas d’argent pour le revêtement de trottoirs, pour les salles de sport ou autres…. Dans des quartiers urbains comme dans de petites localités éloignées, il n’est pas rare de voir des voies détériorées, du mobilier urbain dégradé, des espaces publics sales ou mal entretenus, des jardins en friche et des transports en commun défaillants, de l’autre côté, les communes disposent de ressources financières qu’elles ne dépensent pas malgré l’ampleur des besoins.
Jugez-en. A fin décembre 2009, alors que l’Etat voyait ses ressources reculer de 14 milliards de DH par rapport à l’année précédente, l’enveloppe non consommée par les collectivités locales et qui dort dans les caisses du Trésor totalisait 19,3 milliards de DH ! Pour le seul exercice 2009, et à défaut de dépenser la totalité des crédits qui étaient à leur disposition, les communes ont laissé dans les caisses un excédent de près de 3 milliards de DH par rapport à leurs budgets.
Ainsi, au titre de l’année 2009, les collectivités locales étaient dotées d’un budget global de 27 milliards de DH. Mieux que ça. Elles pouvaient, en plus, puiser dans un réservoir supplémentaire de 16,3 milliards de DH provenant des excédents cumulés au terme des exercices antérieurs. Avec tout cela, les communes ont à peine dépensé 24 milliards de DH dont 8,5 milliards de DH pour payer les salaires de leurs 140 000 agents et les indemnités des élus (voir encadré).
Le plus étonnant est que la procédure pour engager une dépense dans les communes est de loin moins contraignante que celles appliquées aux autres administrations et organismes publics. En effet, si les ministères, par exemple, ne peuvent disposer des fonds qu’au fur et à mesure que le Trésor encaisse les recettes (la Loi de finances consistant en de simples autorisations de crédits), les collectivités locales, en revanche, disposent d’argent frais avant même l’entame de l’exercice budgétaire. Il leur suffit juste de programmer -bien entendu selon leurs ressources prévisionnelles-, lors de la session d’octobre de chaque année, les projets à financer pour l’année d’après pour que le Trésor débloque les montants demandés, en suivant un minimum de formalisme en termes de procédures. Toujours pour prendre l’exemple de l’exercice 2009, les collectivités locales disposaient donc en janvier déjà d’une enveloppe disponible de plus de 40 milliards de DH.
En 2009, 420 MDH sont restés inutilisés par la région du Grand Casablanca
Alors que le débat sur la question de la décentralisation bat son plein, ce constat ne manque pas d’interpeller sur les compétences en gestion des collectivités locales surtout qu’elles sont appelées à être en première ligne du grand projet de régionalisation du pays. Après la révision en profondeur du cadre juridique des collectivités locales, l’élargissement de leurs attributions et la nette amélioration des efforts de recouvrement effectués récemment par la Trésorerie générale du Royaume (TGR), rien ne laisse présager qu’elles sont prêtes à relever le défi.
Plus inquiétant, le phénomène est quasi général. Il touche la plupart des collectivités locales urbaines et rurales. Prenons l’exemple de la région de Casablanca, qui compte une ville aux besoins colossaux en termes de voiries, d’infrastructures et d’équipements publics mais dont les gestionnaires s’offrent le luxe de snober chaque année une moyenne de 300 MDH qui restent inutilisés. La région dispose actuellement de près de 3 milliards de DH d’excédent budgétaire cumulé. C’est-à-dire autant d’argent non utilisé, dont 1,6 milliard de DH pour les communes urbaines. Rien qu’en 2009, les Casablancais ont été privés de près de 420 MDH que les élus locaux (aussi bien des communes urbaines que rurales de la région du Grand Casablanca) n’ont pas programmés. Le Grand Casablanca détient, d’ailleurs, l’excédent budgétaire le plus élevé au Maroc. «Scandaleux pour une grande ville qui manque terriblement d’infrastructures économiques, sociales et culturelles», déplore un conseiller local de l’opposition.
Meknès-Tafilalet n’a pas été mieux lotie en 2009 puisque ses élus ont laissé, au terme de l’exercice, quelque 345 MDH dans les caisses de leurs communes. Cela a augmenté l’excédent budgétaire cumulé de cette région qui culmine à 1,68 milliard de DH.
La région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër, elle, cumule jusqu’à aujourd’hui un total de près de 2 milliards de DH d’excédent budgétaire, le deuxième, après celui du Grand Casablanca. 336 MDH n’ont pas été programmés pendant l’année dernière dont les deux tiers par les communes urbaines de la région (la mairie de Rabat à leur tête). La région de Souss-Massa-Draa, elle, dispose d’un total de 1,9 milliard de DH de fonds non utilisés, dont 223 millions au titre de l’exercice de 2009. Pour cette région, ce sont les conseils provinciaux qui ont contribué essentiellement à l’accentuation de l’excédent de l’année 2009 avec près de 108 MDH non utilisés contre près de 66 MDH pour les communes urbaines (la mairie d’Agadir en particulier) et près de 35,5 MDH pour les communes rurales de la région. Parmi les mauvais élèves, on retrouve aussi les régions de Tanger-Tétouan et de Marrakech-Tensift-Al Haouz avec respectivement 1,68 et 1,5 milliard de DH de cumul de fonds non utilisés. La région de Chaouia-Ourdigha dispose, elle, d’un excédent budgétaire cumulé de 1,32 milliard de DH dont 372 millions enregistrés au cours de l’année dernière.
Ces chiffres étonnants, mais rigoureusement exacts, fournis par la Trésorerie générale du Royaume, viennent mettre fin à la fausse idée installée depuis longtemps de communes pauvres et privées de moyens financiers.
«Le problème des collectivités locales n’est pas nécessairement lié aux ressources et aux moyens, mais surtout aux capacités de gestion et de maîtrise d’ouvrages», signale un expert en finances publiques.
Des projets surdimensionnés pour Mohammédia, dans le but d’utiliser l’argent disponible
Le cas de Mohammédia est révélateur. Cette petite ville traîne chaque année derrière elle un budget excédentaire d’une moyenne de 50 MDH. Une somme importante vu le nombre réduit de sa population qui ne dépasse pas les 150 000 habitants. «On comprend pourquoi les dirigeants des affaires communales de cette cité se lançaient dans des projets (culturels surtout) relativement surdimentionnés par rapport à la population, tellement ils disposaient d’assez d’argent sans savoir comment bien le programmer», estime un conseiller de la ville.
Le constat est d’autant préoccupant que le phénomène n’épargne même pas les collectivités locales dont les ressources de financement sont modestes. «Il y a des communes rurales dont le budget annuel ne dépasse pas les 2 MDH et pourtant elles n’arrivent pas à consommer la totalité de leurs crédits dégageant des excédents allant de 20 000 à 30 000 DH ; ce qui n’est pas une somme banale proportionnellement à leur budget», fait remarquer notre expert en finances publiques.
Mais des exceptions, rares certes, existent quand même. Aussi, la région de Guelmim-Smara a-t-elle pu ramener son excédent à près de 416,5 MDH contre 446,6 MDH au début de l’année dernière. Autrement dit, ses élus locaux, notamment ceux des communes urbaines, ont exploité 30 MDH en sus de leur budget prévu pour 2009.
Mais ce sont les communes urbaines de la région de Fès-Boulemane qui se démarquent le plus sur ce registre. Outre la totalité de leur budget annuel, elles ont puisé 106 MDH de plus dans leurs excédents antérieurs et qui s’élevaient à près de 780 MDH. Le résultat est perceptible : la ville de Fès s’est transformée grâce aux multiples projets initiés récemment par ses responsables locaux. L’exploitation de la totalité des crédits dont ils disposent ainsi que d’une partie de l’excédent a certainement contribué à ces changements qui font le bonheur et la fierté des Fassis.
Rien à voir, par contre, avec l’état de certaines villes. Comme Salé qui figure parmi les dix villes les plus riches du pays avec un budget qui frôle le milliard de DH. Un paradoxe vu les conditions déplorables que vit cette cité. Idem pour des bourgades qui disposent de ressources financières beaucoup plus importantes que certaines villes. Citons l’exemple de la commune de Moulay Abdallah, au sud d’El Jadida, et de Oulmès. Les caisses de ces communes rurales sont renflouées chaque année de, respectivement, 192 MDH et 176 MDH grâce notamment à l’existence au sein de leurs territoires de deux grandes unités industrielles à savoir le port de Jorf Lasfar, pour la première, et les sources d’eau naturelle pour la seconde. Mais la richesse n’est pas forcément synonyme de bien-être. Ces communes en donnent l’illustration.
S’il est vrai que l’incapacité des élus à engager suffisamment de programmes est à la source de ce gâchis, il n’en reste pas moins qu’un autre facteur y a, lui aussi, contribué : les budgets des communes ont fortement augmenté et les procédures ont considérablement évolué si bien que les élus n’étaient pas préparés à gérer de telles sommes.
Il faut savoir que les collectivités locales gèrent directement, et de bout en bout, une partie des taxes locales (4,7 milliards de DH) comprenant notamment les droits d’occupation temporaire des espaces publics et privés, d’exploitations des cafés, débits de boissons et d’accès aux infrastructures publiques comme les piscines et les salles de spectacles.
Les finances des collectivités locales sont également alimentées par trois autres impôts: la taxe d’habitation, la taxe professionnelle et la taxe des services communaux. Contrairement aux premières, elles sont gérées par le ministère des finances, par le biais précisément de la direction des impôts qui se charge de l’émission et de la Trésorerie générale du Royaume (TGR) qui assume la mission de la distribution de leurs produits aux communes bénéficiaires. Celles-ci ont collecté quelque 4,24 milliards de DH grâce à ces trois taxes.
Plus de 900 communes vivent principalement de la TVA
Mais ce sont les revenus de la TVA qui constituent la principale source de financement de nos collectivités locales. En 2009, la part des communes dans les revenus de la TVA a totalisé près de 14,8 milliards de DH. Etant un produit national, les revenus de la TVA sont répartis entre l’Etat à hauteur de 70% et les communes à 30%. Sur ces 14,8 milliards de DH, 80%, soit 11 milliards de DH, sont redistribués par le ministère de l’intérieur sur la base de critères définis dans une circulaire rendue publique depuis 1996. Les 20% qui restent, soit 3,8 milliards de DH, sont versés aux collectivités locales sous forme de dotations spéciales dans le cadre de leurs recettes d’équipement. C’est le ministère de l’intérieur, en concertation avec les walis et les gouverneurs, qui en fait la répartition et sans aucun critère déterminé à l’avance. Cette enveloppe sert généralement à financer les programmes d’urgence, notamment ceux initiés par le Souverain.
Les collectivités locales doivent s’estimer heureuses quand même. Car, il y a peu, elles n’en percevaient aucun centime. De 1985 à 1988, et en dépit des textes de loi, le ministère de tutelle ne leur a jamais versé la part des recettes qui leur revenait de plein droit. Ce n’est qu’en 1988 que les transferts ont commencé, sans critères au début avant que l’on aboutisse, à partir de 1996, au système actuel.
Le transfert de ces 20% des revenus de cette taxe au profit des collectivités locales suscite toujours un débat. Idem pour la redistribution de 1% des revenus de l’IS et de l’IGR réservés aux conseils régionaux qui ont perçu en 2009 près de 660 MDH. Jusqu’à présent, la distribution de ces fonds aux différents conseils régionaux du pays n’est fondée sur aucun critère clairement défini de la part du ministère de tutelle qui garde encore la mission de répartition. En principe, 50 % de ces revenus sont reversés aux communes à parts égales. L’autre moitié doit faire l’objet de critères soigneusement déterminés dans un décret qui devait être publié en 2008. Mais ce texte réglementaire tarde à voir le jour. En attendant, 50% des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) et de l’impôt sur le revenu (IR) destinées aux communes, représentant près de 330 MDH, sont toujours distribués selon des critères non encore définis par voie réglementaire.
La TVA demeure finalement la principale bouée de sauvetage pour de nombreuses communes surtout celles rurales et ne disposant pas d’activités économiques pouvant leur procurer des recettes.
Deux milliards de DH donnés aux associations
Ainsi, selon les estimations de la direction générale des impôts, le produit de la TVA représente 90% du budget de près de 900 communes, majoritairement rurales. A l’inverse, pour des communes plus riches, la part de la TVA est beaucoup moins importante. C’est le cas de Mohammédia et de Casablanca pour lesquelles elle représente respectivement 5% et 23%.
Enfin, que ce soit un volet méconnu de l’activité des communes, ces dernières contribuent de manière substantielle à l’appui des associations. En 2009, par exemple, les collectivités locales ont dépensé près de 2 milliards de DH sous forme de subventions aux associations sportives, culturelles, de quartiers…Et avec tout cela, elles n’arrivent pas à épuiser leurs budgets. Sur une enveloppe budgétaire de 27 milliards de DH en 2009 (sans compter les cumuls d’excédents antérieurs), les communes n’en ont finalement consommé que 24 MDH. 12 milliards ont servi à financer les investissements en équipements et infrastructures, 8 milliards à payer les salaires, et 1,55 milliard à rembourser les dettes au Fonds d’équipement communal (FEC).
