Au Royaume
Inflation en différé et surenchère en direct
Pour le peuple, l’inflation est perçue dans les transports, dans les souks, dans la gamelle du soir. Bref, dans la poche, de plus en plus vide avec les crises successives.

L’inflation reste un chiffre ! Quand bien même son taux flamberait pour jouer dans la catégorie des deux chiffres! Pourtant, les 10,1% annoncés par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) ont soufflé un vent de panique chez les observateurs économiques. Certes, il faut rembobiner les statistiques, relatives aux prix, de quatre décennies en arrière pour constater un tel dépassement du seuil psychologique des 10%. Néanmoins, il fallait s’y attendre. La spirale inflationniste importée, que l’on subit depuis l’année dernière, allait forcément rattraper les produits locaux, notamment les produits alimentaires. De plus, on parle de statistiques établies pour février… Un mois qui correspond cette année à ce cycle pré-Ramadan, où les prix se voient justement pousser des ailes. Toutefois, pour cette saison – la première de retour à la normale après trois Ramadans «covidés», des intermédiaires dont la cupidité n’a aucune limite ont quasiment installé des propulseurs dans le panier de la ménagère. Depuis, des mesures ont été prises et les prix retrouvent peu à peu la raison, alors qu’il n’y a aucune crainte à avoir sur les stocks, comme vient de l’affirmer la ministre de l’économie devant les parlementaires.
S’il faut bien admettre que plus chère est devenue la vie (voir p.6), cette statistique du département figé d’Ahmed Lahlimi a pris une dimension alarmiste parce qu’elle est intervenue le jour même d’un conseil de Bank Al-Maghrib. La gardienne du temple (figée aussi), avec Abdellatif Jouahri, a elle aussi pointé cette cherté des prix en révisant ses projections pour l’année en cours. La banque centrale admet même que la composante sous-jacente de l’inflation se situerait à 2 points de pourcentage de plus par rapport à ses dernières prévisions de décembre. Cet énorme décalage dans les projections internes de Bank Al-Maghrib, en plus de la classique guerre des chiffres opposant le vieux couple Jouahri–Lahlimi, suscite bien entendu interrogations et inquiétudes. D’autant plus que la banque centrale a curieusement décidé de retirer son communiqué annonçant ses prévisions et sa décision d’augmenter le taux directeur à 3%. Comme si c’est avec cette mesure qu’elle réussira à garder l’ancrage voulu par rapport à une inflation qui survit pourtant à la hausse des taux…
Et encore, les niveaux de prix ressentis ne se limitent pas à ces indicateurs macro-économiques évidemment pertinents et incontournables. Pour le peuple, ils sont perçus d’une autre manière : dans les transports, dans les souks, dans la gamelle du soir. Bref, dans la poche, de plus en plus vide avec les crises successives. Ces paramètres dépassent donc les subtilités des composantes scientifiques de l’Indice du coût de la vie, selon les approches de BAM ou du HCP.
Sur la base du ressenti, l’échelle d’inflation peut varier de zéro pour ceux qui ne font jamais attention à leurs factures de supermarchés, jusqu’à 100 pour ceux qui comptent littéralement les patates dans leurs assiettes. «Et encore heureux que le prix du sucre et du pain est toujours subventionné», peuvent surenchérir des populistes pour jeter de l’huile sur le feu, allumé au butane. Parmi eux, ce notable élu qui se rappelle subitement de son statut de syndicaliste, alors qu’il gère sa centrale comme une ferme en octroyant les postes à sa guise. Comprenez Naam Mayara, numéro quatre dans l’ordre hiérarchique de l’état, qui se permet de critiquer l’Exécutif. L’inflation, ça fait chauffer les têtes…
