Affaires
Le machinisme agricole entre le marteau et l’enclume
Impacté par deux mauvaises saisons agricoles, le secteur des ventes de machines a connu une meilleure période… Et pour ne rien arranger, la hausse du dollar et l’éventuelle application de la TVA sur ce matériel font planer une menace sur toute la chaîne.

Quand le ciel est clément, l’agriculture va et c’est tout le secteur du matériel agricole qui en bénéficie. Et l’inverse est tout aussi vrai. Autant dire que ces deux dernières années sont à oublier pour le machinisme agricole. La sécheresse, le conflit russo-ukrainien, la hausse des prix ont impacté les ventes de matériel, qui ont baissé de près de 35% en 2022. «Dans une année normale, entre 1.800 et 2.000 machines agricoles sont commercialisées auprès des agriculteurs. Le plus haut volume a été enregistré en 2009, où le marché a frôlé les 7.000 unités vendues», précise Ismail Benbeyi, président de l’AMIMA (Association marocaine des importateurs de matériels agricoles) et directeur général de Stokvis Afrique du Nord.
Aides à conditions
En 2021, année de grave sécheresse, les ventes se sont situées à quelque 1.000 unités, dont 60% ne concernent que les tracteurs. Et encore, il s’agit là de tracteurs de faible puissance (80 chevaux), qui sont le plus souvent demandés, et dont le prix varie entre 260.000 et 280.000 DH. La raison ? Les tracteurs les plus puissants ne sont pas recherchés, en raison notamment de la nature morcelée des terrains agricoles au Maroc, qui ne nécessitent pas de grandes machines, tant pour les tracteurs que pour les moissonneuses-batteuses, les ramasseuses-presses, les barres de coupe ou autres. «La majorité des exploitations agricoles représentent des superficies de moins de 5hectares et ne nécessitent donc pas de grandes machines d’exploitation», abonde Benbeyi, soulignant la différence avec l’Europe où les tracteurs demandés sont au minimum de 120 chevaux, alors qu’au Maroc ces derniers ne représentent même pas 10% du marché. Au problème de fléchissement des ventes, s’est ajoutée une autre contrainte, ou plutôt une condition. A l’achat de leurs matériels agricoles, les agriculteurs bénéficient d’une subvention plafonnée, accordée par le ministère de l’Agriculture et qui varie en fonction de la machine. Pour les tracteurs par exemple, l’aide est fixée à 30% et plafonnée à 80.000 DH, tandis qu’elle est de 20% pour les moissonneuses-batteuses avec une aide maximale de 200.000 DH. «Depuis l’activation du processus de la généralisation de la protection sociale, les agriculteurs ne peuvent bénéficier de cette exonération que s’ils sont enregistrés auprès de la CNSS et qu’ils disposent de l’AMO. Et bien que l’autorité de tutelle ait délivré son accord préalable, la subvention ne peut être débloquée que lors de la présentation de l’attestation d’inscription à la CNSS», précise Benbeyi, qui regrette la complexité du dispositif.
Une centaine de dossiers bloqués
Cette situation remet en cause l’accord tacite des opérateurs avec les agriculteurs. En effet, ces derniers acceptent de vendre aux agriculteurs les machines au prix incluant le montant de la subvention. En retour, ils exigent une délégation de créance pour récupérer le montant de l’aide préalablement accordée. «Si ce délai était de 6 mois il y a une année, il s’étale actuellement à plus de 16 mois. Le temps que les agriculteurs disposent de la protection sociale», estime un importateur, qui précise que la situation concerne aussi bien les anciens clients, qui avaient acquis des véhicules avant la généralisation de la mesure, que les nouveaux. Les importateurs se trouvent donc tiraillés entre deux options : s’accrocher à leur business model en proposant aux clients les machines à prix réduit (avec une avance sur la subvention) ou mettre fin à ce système, au risque de stopper carrément la machine. En tout état de cause, une centaine de dossiers attendent d’être débloqués. Mais ce n’est pas tout, une autre menace plane sur le secteur : l’éventuelle application de la TVA sur les machines. «Les prix de vente ont déjà augmenté de 20 à 30% en raison de la hausse du dollar. Un renchérissement du prix dû à la TVA devrait plomber les importateurs, mais aussi l’acheteur sur lequel la hausse devra être répercutée», prévient Benbeyi. Ceci étant, l’agriculteur peut bénéficier de l’exonération s’il prouve que la machine achetée est réservée à un usage agricole. «A quel moment un tracteur et une moissonneuse pourraient servir à une activité autre qu’agricole ?», ironise notre source. A ce stade, le projet de loi n’a pas encore été voté et serait toujours en cours d’étude auprès du SGG.
Le marché de l’occasion l’emporte
Le secteur tourne à un chiffre d’affaires moyen annuel autour de 1,5 MMDH, selon les statistiques de l’AMIMA, sachant qu’elle regroupe plus de 90% des sociétés du secteur. Sur le segment des tracteurs, le groupe Comicom-Dimatek, Stokvis et AutoHall s’adjugent plus de 70% de parts de marché. Il s’agit d’un marché conservateur aussi bien pour les marques que les types de modèles. Autrement dit, on y trouve essentiellement des marques européennes (Allemagne, Espagne, Italie et Angleterre), et dans une moindre mesure américaines, indiennes et turques. Malgré cette concurrence, les prix des machines restent chers pour les agriculteurs qui se rabattent sur le marché de l’occasion. Une moissonneuse-batteuse de seconde main peut s’y vendre dans les 300.000 DH, alors qu’elle coûte 1,5 MDH neuve.
Le problème est que ces machines sont âgées d’une quarantaine d’années et leur utilisation génère des pertes au moment de la récolte, impactant ainsi le rendement des cultures.
