Affaires
Driss Benhima : Les pilotes risquent de précipiter la RAM dans le rouge
La compagnie tient ses engagements en termes de marocanisation : 16 pilotes ont été promus commandants de bord depuis octobre 2008.
La politique de détachement des pilotes RAM en tant que commandants de bord chez Atlas Blue remise en cause.
Le coût d’affrètement d’avions auprès d’autres compagnies pour pallier les effets des grèves a été de 500 000 euros par jour.

Deux mouvements de grève et un troisième qui n’est pas à exclure à l’heure où nous mettions sous presse : jusqu’où ira le bras de fer entre les pilotes de la RAM et la direction générale de la compagnie ? Pour Driss Benhima, son PDG, qui met en avant les impératifs de compétitivité et la conjoncture, la RAM ne peut indéfiniment répondre favorablement aux requêtes des pilotes. Ces derniers maintiennent leur position et affirment que la compagnie ne respecte pas les engagements qu’elle a pris. Dans cet entretien, exclusif, le patron de la RAM revient sur ces relations tumultueuses.
Depuis une dizaine d’années, les conflits entre l’Association marocaine des pilotes de ligne et la direction de RAM sont récurrents et se traduisent, le plus souvent, par des mouvements de grève. Pourquoi autant de protestations ?
Au-delà des appels à la grève périodiques, il faut savoir que l’indiscipline et la surenchère sont une attitude permanente des pilotes affiliés à l’AMPL [NDLR : Association marocaine de pilotes de ligne]. Cette attitude a de nombreuses conséquences négatives : les refus de vol abusifs et impunis sont, en particulier, une cause importante des retards de vols. Les caprices permanents, car il faut bien les appeler de leur vrai nom, sont une source continuelle de tracas et de dépenses pour la compagnie. Je me rappelle le cas d’un commandant de bord féminin, qui est actuellement un des leaders du mouvement actuel, qu’il a fallu décharger de ses responsabilités d’instructeur, après qu’elle ait refusé d’assurer un vol sous prétexte d’avoir dû faire un vol d’une demi-heure dans le cockpit.
Je vous épargne les récriminations éternelles quant au choix des hôtels et la qualité des repas à bord servis aux pilotes qui sont des repas spéciaux plus chers que ceux des passagers de première classe. Ceci dure depuis bien plus de dix ans. La conséquence peut-être la plus grave est l’installation d’un climat permanent de malaise dont certains pilotes ont du mal à sortir. Je les plains, en fait : voilà des garçons et des filles qui font un métier magnifique, très bien payé comme tout le monde le sait, et qui se sont construit un petit enfer personnel de frustrations à force d’accumuler les exigences.
En suivant votre raisonnement, on peut reprocher à la RAM d’avoir de son côté laissé se développer ces exigences !
Deux facteurs expliquent que les représentants des pilotes aient pu abuser de leur position dominante dans leurs rapports de force avec la direction : le rôle crucial qu’ils jouent dans la compagnie, qui oblige à prendre au sérieux leur chantage à la grève et le fait que sa situation plus confortable autorisait la direction à accepter leurs exigences même les plus farfelues.
Aujourd’hui, la compagnie n’est plus protégée et fait face à une concurrence vive qui lui impose de gros efforts d’adaptation pour préserver ses parts de marché. Elle n’a plus les capacités de répondre à des revendications continues se traduisant à chaque fois par des charges supplémentaires qui pénalisent ses performances économiques.
La récente situation a, toutefois, eu une autre conséquence, favorable, cette fois-ci à Royal Air Maroc : les pilotes de RAM ne sont plus en situation de prendre le transport aérien national en otage, ce qui est un fait nouveau qui rééquilibre le rapport de force.
Est-ce pour cette raison qu’en dépit de la reprise du travail vous avez continué à affréter des avions auprès d’autres compagnies ?
L’affrètement d’avions auprès d’autres compagnies a été effectué pour résorber les difficultés naturelles inhérentes au redémarrage de la flotte. Une flotte immobilisée ne redémarre pas comme cela du jour au lendemain. Ces affrètements étaient donc prévus et n’ont pas empêché certains problèmes logistiques de survenir malgré tout, comme à Roissy sur le vol d’Oujda. Il ne s’agit nullement d’une réaction de la RAM envers ses pilotes.
L’un des principaux griefs est le recrutement de pilotes étrangers en tant que commandants de bord alors que des pilotes marocains, qui méritent de l’être, ne sont pas promus…
Outre de nombreux bi-nationaux, en particulier canadiens, que cela ne semble pas déranger d’ailleurs de faire grève pour la préférence nationale, il n’y a qu’un seul commandant de bord étranger à la RAM. Il est marié à une Marocaine et a été embauché en 1986. Son père avait été, en son temps, directeur au sein de la compagnie. La revendication, fallacieuse, comme dit le ministre des transports, de «marocanisation des postes de commandants de bord», ne concerne que les filiales Atlas Blue et RAM Express.
Or, mettre des pilotes de jets sur les avions à hélices de RAM Express est inconcevable, ce serait du gâchis de qualification, en tout cas dans l’immédiat. On retrouve dans cette revendication le dédain de l’AMPL pour la cohérence de la gestion et la situation financière du groupe RAM.
Pour Atlas Blue, la possibilité pour un copilote de RAM d’être promu commandant à Atlas Blue est ouverte depuis longtemps, mais dans sa revendication pseudo-patriotique de marocanisation, l’AMPL passe sous silence qu’elle exige que le pilote muté garde tous ses avantages salariaux et autres en allant à Atlas Blue, ce qui n’est pas possible pour cette entreprise gérée indépendamment de Royal Air Maroc. Pourrions-nous, par exemple, privatiser Atlas Blue si elle avait des pilotes dont la gestion est décidée dans une autre entreprise ? Cette revendication est tout à fait corporatiste et matérialiste.
Selon les pilotes, en vertu d’un accord passé avec vous en octobre dernier, 22 copilotes RAM devaient être promus en tant que commandants de bord chez Atlas Blue, sachant qu’ils avaient accepté la possibilité que RAM recrute des copilotes étrangers en remplacement. Or, Atlas Blue n’a, depuis, recruté aucun commandant de bord marocain…
Reprécisons les choses : du fait de notre déficit provisoire en copilotes, le recrutement de pilotes étrangers à la RAM était nécessaire pour pouvoir promouvoir des pilotes en tant que commandants chez Atlas Blue. Il n’y a donc pas là de concessions particulières de la part de l’AMPL. Et il faut rappeler, d’autre part, que la formation d’un commandant de bord prend du temps et que le planning auquel vous faites allusion s’étale sur le temps. Par ailleurs, et entretemps, la RAM a développé sa flotte long-courrier, ce qui a occasionné la promotion de 8 pilotes en tant que commandants de bord au sein même de la RAM. Ceci n’était pas prévu et a rendu impossible d’envoyer du monde chez Atlas Blue. Donc, primo, nous sommes toujours dans les temps et, secundo, il n’y a pas eu d’arrêt de cette politique de promotion. La machine à former les commandants de bord fonctionne à fond depuis octobre dernier.
Si bien que des pilotes RAM devraient bientôt passer commandants de bord chez Atlas Blue…
Si les choses étaient restées normales oui. Cette politique de détachement des pilotes RAM chez Atlas Blue a été remise en cause par les provocations gratuites et inutiles de l’AMPL et qui se sont traduites par la grève de pilotes RAM détachés chez Atlas Blue. Je ne sais pas ce qui les a poussés à allumer le feu chez Atlas Blue mais ce n’était pas une bonne idée car cette dernière ne peut plus accepter que le prétexte de la marocanisation se traduise par l’importation des tensions internes de la RAM et la généralisation des diktats de l’AMPL. Je le regrette sincèrement mais l’AMPL a, délibérément ou par aveuglement, cassé la possibilité de passerelles entre RAM et Atlas Blue. La marocanisation se fera donc naturellement par promotion interne des copilotes marocains d’Atlas Blue et, en attendant, nous recruterons des commandants de bord sur le marché international. Je saisis l’occasion pour les remercier d’être là et m’excuser des attaques dont ils sont l’objet.
Il reste que le groupe RAM reconnaît lui-même un déficit en pilotes.
En effet, afin de former un nombre de pilotes suffisant pour le Groupe Royal Air Maroc nous avons, dès 2006, pris différentes mesures au niveau de l’Ecole nationale des pilotes de ligne. Nous avons doublé la capacité d’accueil de cette école, renforcé ses moyens pédagogiques, acheté 10 avions-écoles et recruté des instructeurs.
L’école compte aujourd’hui près de 200 élèves pilotes et les efforts que nous avons déployés pour accroître la cadence de formation des pilotes donnera ses fruits dans quelques mois avec la sortie des prochaines promotions et leur recrutement par RAM en tant qu’officiers pilotes. Ceci permettra de promouvoir des pilotes de Royal Air Maroc comme commandants de bord au sein du groupe. La politique de marocanisation est mise en œuvre avec une cadence soutenue et en harmonie avec les besoins de l’activité de Royal Air Maroc.
Mais d’ores et déjà, je rappelle que le groupe ne fait plus appel qu’à 13 commandants de bord issus du marché international à Atlas Blue sur Boeing 737, pour des durées limitées. Sur l’Airbus, ce nombre est de 17, mais il s’agit d’avions appelés à sortir à court terme de la flotte du groupe.
La marocanisation, on le voit ici encore, est un slogan, déconnecté de la réalité.
L’AMPL continue à reprocher à la direction de la RAM un dialogue inexistant depuis octobre 2008. Quel est précisément votre point de vue là-dessus ?
L’AMPL a toujours été reçue par la direction à chaque fois qu’elle en avait fait la demande et nous avons maintenu les canaux du dialogue ouverts en dépit des mouvements de grève.
Des tentatives de médiation ont-elles eu lieu ? Quel en a été le résultat ?
Le malaise perpétuel et sans cesse renouvelé des pilotes au sein de la RAM a besoin d’un traitement de profondeur. La grève actuelle n’est qu’une péripétie. L’AMPL a un catalogue de revendications officiel de plus de soixante dix points et je pense que d’autres sont déjà en gestation. Il faut que nous arrivions tout seuls, la direction et les pilotes, à trouver, ensemble, une procédure de résolution des problèmes qui ne soit plus marquée par une ambiance de rapport de force. D’autant plus que celui-ci a évolué en faveur de la compagnie.
Comment avez-vous géré finalement les deux mouvements de grève qui ont eu lieu ?
Durant les deux mouvements de grève, notre priorité a été d’assurer l’acheminement du maximum de nos passagers à leur destination et d’atténuer les désagréments causés par ces arrêts de travail. Nous n’avons abandonné aucun de nos clients et nous avons tout fait pour assurer le transport dans une période de grande affluence, de retour massif des Marocains résidant à l’étranger et d’arrivées des touristes en vacances au Maroc. 86% des vols programmés ont été assurés.
Et si les pilotes décidaient de durcir leur mouvement…
Ce serait encore une fois regrettable. Nous avons montré notre volonté et notre disposition à résoudre ce dossier par la voie du dialogue. Nous avons fait des propositions concrètes qui répondent de manière claire aux revendications légitimes des pilotes dans la limite des moyens et des capacités de la compagnie.
A chaque fois, les représentants des pilotes ont malheureusement et sans motifs rejeté ces propositions, rompu le dialogue et préféré la voie du conflit en optant pour des mouvements de grève nocifs et absurdes qui précipitent définitivement les comptes de 2009 de la compagnie dans le rouge.
