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Affaires

Mohamed Horani : la CGEM ne fera pas dans la complaisance

Les nouvelles commissions ne sont pas encore toutes constituées, il y en aura une quinzaine.
Le conseil d’administration sera ouvert aux patrons disponibles et qui font valoir une représentativité au niveau régional et sectoriel.
Fiscalité, dialogue social, droit de grèveÂ… il en appelle à  la responsabilité de toutes les parties prenantes.

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Nouvellement élu président de la Confédération générale des entreprises du Maroc, Mohamed Horani, Pdg de Hightech Payment Systems (HPS), avec son vice-président Mohamed Tamer, président de Bogart, est en train de travailler sur la constitution des commissions. L’objectif est de tenir le premier conseil d’administration à la mi-juillet. Les consultations sont aussi larges que possibles parce que M. Horani dit vouloir écouter tout le monde avant de décider. Il se veut fédérateur, mais souligne qu’au cours de son mandat, il sera sans complaisance, tant avec un membre de l’organisation qu’avec l’Etat ou les partenaires sociaux, quand il faudra prendre les décisions qui s’imposent. Son objectif est de sortir des sentiers battus pour permettre à l’entreprise d’être plus compétitive, avec, en point de mire, l’augmentation de la croissance. Pour sa première sortie publique en tant que président de la CGEM, il nous dévoile le mode de gestion qu’il compte mettre en œuvre.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous présenter à la présidence de la CGEM, sachant que vous dirigez une société déjà en plein développement qui travaille sur plusieurs pays ?
Mon pays m’a beaucoup donné ; il était temps de le lui rendre en dépit de mes contraintes professionnelles. Aujourd’hui, compte tenu de l’organisation mise en place depuis un an déjà et de la qualité et le talent des autres dirigeants de HPS, ma présence permanente n’est plus indispensable.  Je suis prêt à donner 150 % de mon temps pour mener à bien la mission qui m’est confiée et être à la hauteur de la confiance de mes pairs.

Où en êtes-vous dans la constitution des instances dirigeantes ?

Je suis en train de consulter les présidents des fédérations sectorielles, des commissions et des unions régionales. Mon objectif est de les écouter et recueillir leurs impressions sur notre programme et sur la constitution des équipes. En tout état de cause, nous comptons tenir le premier conseil d’administration à la mi-juillet. C’est l’objectif que nous nous sommes fixé.

Les 15 commissions seront-elles toutes maintenues ?
La majorité sera maintenue. C’est le cas des commissions classiques, notamment les commissions Fiscale, Emploi et Droit. D’autres seront peut-être fusionnées pour plus de rationalité. Le contexte économique change, il faut donc agir en conséquence.
De toutes les façons, rien n’est encore arrêté, mais je peux d’ores et déjà vous dire qu’il y aura deux grands changements. Nous allons créer une commission Export ou Commerce extérieur (la dénomination n’est pas arrêtée). La commission Formation sera scindée en deux : une pour la formation professionnelle et une pour l’innovation. Cette dernière travaillera avec les universités et aura pour mission de dynamiser, entre autres, la recherche-développement. Au total, nous aurons 16 ou 17 commissions.

Pour le conseil d’administration, votre prédécesseur avait réussi à attirer de grosses pointures, des dirigeants de grands groupes et des banquiers de poids. Qui comptez-vous mettre dans le conseil ?
Nous travaillons dans la plus grande transparence conformément aux statuts de la CGEM. Ceux qui seront choisis devront répondre à un certain nombre de critères. Il y a d’abord la représentativité au niveau régional, sectoriel et la taille des entreprises en général. Ensuite, il y a la disponibilité. Il ne s’agit pas de postes honorifiques. Le travail est très prenant. Je vous rappelle que nous menons les consultations et je considère que rien n’est acquis tant que le conseil ne s’est pas tenu.

Vous pouvez quand même nous citer quelques noms…

Pas pour l’instant. Mais je peux vous dire que j’ai l’appui de tous les adhérents de la CGEM, y compris ceux que vous qualifiez de grosses pointures.
Parmi ces dernières, il y a l’ancien président dont l’objectif était de redonner de la crédibilité à la CGEM, avoir plus d’adhérents, décentraliser les activités vers d’autres villes, faire de la proximité… Avant d’aborder votre programme, comment appréciez-vous son mandat ?
Le bilan est très positif. Il faut comprendre que la modernisation se fait sur plusieurs années. Mais la CGEM a atteint un niveau de maturité en tant qu’organisation professionnelle. La gestion des différents problèmes se fait selon une approche très professionnelle. Tout est maintenant basé sur des études et des argumentations très claires. Tous les dossiers sont traités dans un esprit exemplaire de partenariat.

Vous avez aussi un programme  sur lequel vous avez été choisi, vous et M. Tamer. Oser et innover, c’est l’intitulé de votre manifeste. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?

Notre slogan se compose de 4 mots-clés : l’entreprise marocaine, oser & innover. On s’adresse à cette entreprise marocaine qui est au centre de nos préoccupations. Oser s’entend à tous les niveaux, depuis l’acte d’entreprendre jusqu’à la conquête des marchés les plus lointains et les plus difficiles d’accès. Il faut se dire que tout est possible. En d’autres termes, il faut oser prendre des risques et oser se remettre en cause quand des difficultés surviennent.

Vous pensez que le chef d’entreprise marocain n’a pas suffisamment de volonté et de courage ?
Je pense que l’audace n’a jamais été une idée directrice chez nous. Nous la concevons comme une manière d’agir. Notre volonté est de placer le Maroc parmi les économies qui réalisent les plus forts taux de croissance. A ce titre, il est également important d’insérer l’entreprise marocaine dans l’économie du savoir. C’est grâce à l’innovation que nous parviendrons à ouvrir de nouvelles opportunités. L’innovation ne se limite pas à la technique. Il faut y recourir dans tous les domaines : la fabrication, la commercialisation, le modèle d’affaires, le règlement des litiges …Nous voulons que nos confrères, partout où ils se trouvent, y croient et prennent conscience du potentiel du pays.

Beaucoup d’opérateurs estiment, qu’hormis Casablanca et deux ou trois villes, les entreprises en régions sont peu soutenues, alors que la régionalisation était un objectif de l’ancienne équipe. Comment pensez-vous y remédier ?
Nous avons actuellement 10 unions régionales. Ce qui est déjà bien. Mais je pense qu’il y a encore beaucoup à faire en matière d’accompagnement, et il faudra y mettre les moyens. Nous allons agir dans un souci de proximité, en partenariat avec les fédérations et les unions régionales. A ce titre, nous allons proposer de procéder différemment pour la gestion des budgets qui seront alloués en fonction des objectifs.

La CGEM compte environ 3 000 cotisants, soit 1 %  des entreprises représentées. N’est-ce pas peu pour une organisation du genre ?
Au-delà  des cotisations, nous avons des efforts à faire pour recruter des adhérents afin de permettre au plus grand nombre d’entreprises marocaines de bénéficier des services de la CGEM. Cela fait partie des objectifs de notre mandat. Par ailleurs, nous devons réfléchir sérieusement à ce que nous voulons faire de la CGEM. En tant que structure, nous avons aujourd’hui et des fédérations et des entreprises. Cela pose quelques soucis. Il y a des entreprises qui sont adhérentes et à la CGEM et à une fédération et cotisent doublement. La majorité ne peut pas honorer tous les engagements. A ce niveau, il y a des correctifs à apporter. J’espère que nous aurons le temps de le faire pendant ces trois années.
D’ailleurs, cette question rappelle le problème du livre blanc. C’est un acquis certes, mais je pense qu’aujourd’hui la CGEM n’a pas de vision à long terme. Il faut absolument que nous la mettions en place. Je dirais au moins pour 2020, c’est-à-dire sur 10 ans et pourquoi pas sur 15 ans. Cette approche va permettre à la confédération, au patronat, de travailler dans la continuité, de prendre position par rapport aux stratégies sectorielles qui existent aujourd’hui, sachant que nous les approuvons, et sommes très contents qu’elles existent. Toutefois, nous avons quelques soucis quant à trois points : leur cohérence, leur déclinaison régionale et leur opérationnalisation. Par exemple, nous avons de très bons enseignements à tirer sur la Vision 2010 pour le tourisme qui est la première du genre.

Elle comporte des lacunes, notamment en matière de délais et de dimension des projets…
On ne peut pas parler de lacunes. C’est plutôt un apprentissage. Par exemple, quand on s’engage à créer tant de lits en 10 ans, on se rend compte par la suite qu’il y a un problème de foncier, que les promoteurs ont besoin de temps pour bien étudier leur dossier ou pour faire face aux contraintes de réalisation qui n’apparaissent qu’en cours de chantier. Il faut tirer les leçons de cette Vision 2010 qui est encore une fois une grande réussite. Et puis, en fonction de tout cela on devra se poser, en tant que CGEM, la question de savoir ce que nous voulons être dans dix ans. Rester comme aujourd’hui ou évoluer vers une autre structure, d’une autre manière, en termes d’adhésion de représentativité, de mode de gouvernance… ?

Vous allez y travailler ?
Oui, c’est quelque chose que j’ai promis dans mon programme, et on va le faire.

Restons dans ce domaine de l’organisation. 30 fédérations, ne pensez-vous pas qu’il y en a trop ?
Je ne pense pas. Mais peut être qu’il y a des fédérations qui ont intérêt à se regrouper. J’aimerais bien. D’ailleurs, parmi les idées à développer, il y a la mutualisation. Nous allons vers un schéma presque mathématique. Il y a des sujets spécifiques à un secteur qui sont du ressort de la fédération avec l’appui de la CGEM. Les problèmes transversaux relèvent de la CGEM qui les gère toujours en collaboration avec les fédérations. Entre les deux, il y a des sujets communs à plusieurs secteurs et pas forcément à l’ensemble des secteurs. Pour ces dossiers, la CGEM doit être une plateforme de mutualisation et de réflexion en commun. J’espère que  cette démarche va aboutir à des regroupements de fédérations quand tout le monde sera convaincu qu’il est préférable, dans des activités proches, d’avoir une fédération au lieu de plusieurs.

Vous avez un réel souci d’efficacité et de rationalisation de l’utilisation  des moyens. Mais on remarque, par exemple, que la CGEM ne fait pas suffisamment de lobbying auprès des institutions européennes qui prennent les grandes décisions qui influent sur les échanges.

Nous allons effectivement aborder ce sujet. Je vous rappelle que la CGEM a mis en place le réseau des conseils d’affaires qui se chargent, dans différents pays, de promouvoir les échanges  et le partenariat avec des entreprises étrangères. Je pense qu’il faudra revisiter ces structures  pour les rendre plus efficaces.
N’oubliez pas non plus qu’il y a les conseillers économiques dans les ambassades à l’étranger qu’il va falloir également approcher en partenariat avec le ministère des affaires étrangères.

Certains présidents ont été offensifs, d’autres plutôt conciliants… Quelle est votre style à vous ?
A chacun son style. Pour moi, la meilleure façon de négocier c’est de respecter son partenaire. Dans toute négociation, il faut avoir une approche win-win. C’est une qualité que de comprendre les contraintes de son vis-à-vis, mais sans complaisance. La CGEM saura s’adapter.

Le ministre des finances Salaheddine Mezouar avait promis un IS à 25 % en 2012, puis a proposé 2015. Avec la crise, on ne sait plus comment vont évoluer les finances de l’Etat. Accepteriez-vous ce report ?

Je considère que des promesses faites doivent être tenues. C’est un principe qu’il faut respecter. Je voudrais souligner à ce propos qu’une fiscalité compétitive favorise une croissance plus forte et permet de résister à la crise. Ces réformes ne doivent pas être repoussées à cause de la crise. Plus vite on les réalise, plus on améliore la productivité de notre pays.

Vous êtes pour une fiscalité spécifique à la PME ?
L’entreprise marocaine a besoin de plusieurs actions pour s’améliorer et se renforcer. La fiscalité en fait partie. Nous continuerons à nous battre pour une meilleure fiscalité pour la PME. Le plus important pour moi c’est de s’organiser pour accompagner plus efficacement les PME.  Cela veut dire qu’on doit être capable de leur fournir des services aussi bien à travers les fédérations qu’à travers les unions régionales. On ne peut pas assister une entreprise éloignée à partir de Casablanca. Beaucoup de PME ont besoin qu’on les aide à profiter de toutes les mesures de soutien qui existent déjà.
Le deuxième point c’est de doter la majorité des PME d’un système d’information parce que c’est structurant et ça facilite la mise à niveau. Dans ce sens, il y a des actions en cours, notamment avec la collaboration de l’Anpme. On va essayer d’accélérer et de généraliser cette opération.

Il y aura toujours ce fameux problème de financement…
Il faut qu’il y ait une aide de l’Etat pour l’informatisation de nos PME. On l’a vu dans d’autres pays. Nous devons faire au moins aussi bien que nos concurrents, sinon mieux.
Le soutien des banques, à travers un accès plus facile au crédit d’investissement, ou pour le fonctionnement, est également important. Mais d’un autre coté, il faut que les PME soient en mesure de démontrer qu’elles méritent cette confiance.
S’il y a un changement à apporter et je ne dis pas que rien n’a été fait, c’est de continuer à améliorer le climat des affaires pour permettre à la PME, à l’entreprise en général, de prospérer. Je veux que ça soit fortement ressenti au cours de mon mandat.

Et le dialogue social, l’autre gros dossier ?
S’il y a un point positif dans cette crise que nous vivons, c’est que tout le monde a compris que sauvegarder la bonne santé de l’entreprise est indispensable. Aujourd’hui, nous demandons une plus grande souplesse du code du travail. Le Maroc est très mal noté en ce qui concerne le marché du travail. Il faut tout de même remarquer que dans les secteurs touchés par la crise, il y a eu des licenciements. La rigidité du code n’a pas suffi pour sauvegarder ces emplois. Dans les pays développés, on a vu des salariés accepter ou proposer à leur patron de diminuer leur salaire pour sauvegarder leur emploi.

Mais dans ces cas-là, les salariés bénéficient en plus d’un filet social en cas de licenciement (allocation chômage et autres). Ici la rigidité vient du fait qu’ils ont peur de se retrouver sans aucun revenu…
Le fait est que nous devons tirer une leçon de cette crise pour chercher les moyens de renforcer la compétitivité de l’entreprise et lui permettre, non pas de sauvegarder les emplois, mais d’en créer beaucoup plus. C’est cela notre objectif et on doit négocier sur cette base. Si l’entreprise n’est pas compétitive, tout le monde y perdra. Il est temps que chaque partie prenne ses responsabilités, y compris le patronat. Nous devons oser prendre des décisions qui vont dans le bon sens, même si elles présentent des risques. Si on arrive à des accords équilibrés tout le monde sera gagnant. Nous n’avons pas le droit de jouer la tactique dans les négociations sociales.

Qu’entendez-vous par tactique ?
A mon avis, bloquer une négociation quand on n’a pas ce qu’on demande ou pour gagner du temps, n’est pas une bonne approche. S’il y a des problèmes à régler, nous, que ce soit la CGEM, le gouvernement ou les partenaires sociaux, avons intérêt à les régler le plus rapidement possible. Sinon nous perdons du temps et nous pénalisons notre compétitivité.

Parfois, il y a beaucoup d’enjeux et chacun veut préserver ses intérêts…
Il faut aborder les problèmes avec beaucoup de courage et surtout en toute responsabilité.

Peut-on s’attendre à ce que la CGEM revoie ses positions sur certaines questions ?
On n’en est pas encore là et pour l’instant, je n’ai pas encore eu le temps de jeter un œil sur tous les dossiers. De plus, le problème ne doit pas être abordé sous cet angle : lâcher du lest ou pas. Pour moi, il va falloir trouver des accords qui permettent d’améliorer la compétitivité de l’entreprise marocaine, tout en respectant les droits des uns et des autres. Je pense qu’il est toujours possible de trouver un bon compromis.

Vous avez un timing précis?

Sincèrement non. Je n’ai pas les détails de ce dossier.

Avant la fin de votre mandant ?
Je l’espère.

En fin de compte n’êtes-vous pas trop consensuel ou conciliant ?
Il faut écouter, mais il faut aussi travailler, trancher, avancer.
Parmi les valeurs que j’ai exposées pendant ma campagne, il y a un mot important : accélérer. On n’a pas le droit de perdre du temps ou de prendre de mauvaises décisions pour faire plaisir aux gens. Je pense être quelqu’un de fédérateur, j’espère que je réussirai à le faire au sein de la CGEM. Fédérer veut dire être à la disposition de tout le monde. Je prendrai les bonnes décisions dans le cadre du mode de gouvernance de la confédération. Le président n’a pas un pouvoir absolu. Le fait d’écouter chacun permet d’éviter les erreurs et de prendre rapidement les bonnes décisions. Il n’y aura pas de complaisance avec un membre de la CGEM, l’Etat ou les partenaires sociaux.