Au Royaume
Le mouton et la dette
Vendre des biens, s’endetter ou prendre un crédit pour acheter un mouton est-il religieusement licite ? Les oulémas doivent informer les citoyens.
Comme chaque année, on ne parle que de «lui». Lui, c’est le… mouton. Avant l’Aïd, pour évaluer les disponibilités, soupeser les prix, s’indigner devant leur cherté, engager une véritable course à l’argent pour s’offrir la bête et s’endormir la conscience tranquille, la veille du sacrifice. Pendant l’Aïd, il est au menu de discussions gastronomiques et statistiques à n’en pas finir. Comment est votre douara, combien a finalement pesé la carcasse, tarif du boucher pour le dépiautage, mouton à midi, le soir, le lendemain à midi, le soir… et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on ait fait sa fête à l’animal. Après l’Aïd…eh bien, on se lamentera sur l’état de ses finances.
Cette année encore, ce sont 5 millions de têtes qui ont été abattues pour sacrifier au rituel musulman qui générera, par la même occasion, un transfert d’argent de la ville à la campagne de 11,5 milliards de DH au bas mot.
Cette année encore, on a observé l’existence de deux catégories de Marocains : les pro-mouton (les plus nombreux) et les pro-Marrakech. Tout cela est bien beau et participe à la perpétuation de notre spécificité musulmane. L’Aïd Al Adha est également une fête où l’on met entre parenthèses les problèmes de tous les jours, et pendant laquelle on renforce ou renoue les liens avec la famille. C’est un moment de joie.
Mais il y a l’envers du décor. Il y a ceux, nombreux, qui n’ont pas eu les moyens de se payer un mouton et ont dû s’endetter pour le faire. Il y a des ménages qui doivent vendre un bien pour se mettre en règle avec la religion. D’autres se passeront de viande pendant des mois, juste pour en manger à satiété pendant trois ou quatre jours. Il y a aussi des sociétés de crédit qui proposent un financement remboursable sur l’année, poussant les emprunteurs à se serrer la ceinture… Or, la religion impose-t-elle de sacrifier le mouton à tout prix ? Non ! Quand on n’a pas les moyens, on peut s’en passer. De même, le poids du mouton n’est pas un critère éliminatoire pour être parmi les bénéficiaires du « ajer ». Enfin, il faudrait également poser la question de la validité religieuse du sacrifice quand il repose sur un endettement ou induit la privation de nourriture pour toute la famille. De même pour le non-respect de la règle qui veut que l’on distribue le tiers du mouton aux pauvres.
Il est du devoir de l’Etat d’éviter de telles extrémités, de déculpabiliser les ménages qui n’ont pas les moyens de procéder au sacrifice, de leur fournir les éléments théologiques pour cela. On aurait bien aimé entendre le Conseil des oulémas sur cette question : se saigner aux quatre veines pour l’Aïd est-il licite ?
