Affaires
Sodea-Sogeta : le bilan définitif de la deuxième tranche
Premier bilan des résultats en cours de finalisation : 860 propositions pour 116 projets, ensuite passés à 141. 131 projets finalement attribués. 10 n’ont pas trouvé preneur. L’Association des producteurs exportateurs de fruits et légumes conteste les résultats. Pour le président de la Sodea, tout s’est déroulé conformément aux cahiers des charges.

Un investissement de 7,7 milliards de DH et environ 23 400 emplois à créer ! C’est ce qu’attendent les pouvoirs publics, à l’issue de l’attribution en concession de la deuxième tranche des terres de la Sodea-Sogeta à des opérateurs privés.
Précisons-le, l’opération n’est pas encore totalement bouclée, mais les attributaires sont connus et, gage de transparence, leur identité est contrôlable sur le site prévu à cet effet. Actuellement, la direction générale de la Sodea prépare un rapport préliminaire sur l’évaluation du niveau de participation ainsi que le déroulement du processus. Ce rapport devrait être rendu public dans les jours qui viennent.
Mais, déjà, les premiers éléments de ce bilan indiquent que l’opération a globalement été réussie aussi bien d’un point de vue quantitatif que qualitatif. L’engouement des investisseurs est manifeste. Les projets mis en concession dans cette deuxième tranche ont été beaucoup plus fortement disputés que ceux de la première. Alors qu’il y a eu en tout 635 propositions pour les 202 projets de la première tranche, soit une moyenne de 3,1 concurrents par projet, ceux de la deuxième tranche, au nombre de 116 initialement, ont drainé pas moins de 860 candidats, soit une moyenne de 7,4 candidats par projet – le double.
C’est peut-être cette forte compétition qui a fait qu’en cours de route, certains projets, notamment dans les semences et les grandes filières, ont dû être redimensionnés de manière à satisfaire un plus grand nombre de prétendants. Finalement, au lieu des 116 projets initialement prévus, 141 ont finalement été proposés, dont seuls 131 ont pu être attribués. Le reste, une dizaine de projets dans la catégorie des petites et moyennes exploitations, n’a pas encore trouvé preneur.
On notera au passage que sur les 131 opérateurs privés retenus, 100 sont de nationalité marocaine contre 31 étrangers, dont une majorité de Français (16), 5 Espagnols et 3 Emiratis.
Pour départager les projets de manière homogène, la commission interministérielle en charge du processus avait auparavant pris soin de les scinder en trois grandes catégories : les semences certifiées avec 11 projets sur une superficie de 11 700 ha, les grandes filières avec 38 projets sur quelque 13 100 ha et les petites et moyennes exploitations avec 92 projets et une superficie globale de 15 600 ha.
30 000 ha environ seront rapidement mis en valeur
Selon les premières projections établies par la commission interministérielle sur la base des business-plans des candidats retenus, les investissements physiques porteront sur la plantation de 9 400 ha en cultures agrumicoles, 9 000 autres ha en oliviers, 1 140 ha de vignes, auxquels s’ajoutent près de 9 200 ha pour la production de semences certifiées. Ce n’est pas tout puisque les projets retenus l’ont été aussi par rapport à leur capacité à apporter une composante agro-industrielle moderne. C’est ainsi qu’ils intègrent la création de 169 installations industrielles dont 67 unités de conditionnement modernes, 65 unités de transformation et 37 unités frigorifiques.
Mais il n’y a pas que les chiffres pour illustrer l’importance de ces projets, surtout à un moment où le Maroc est sur le point d’entamer une profonde restructuration de son agriculture à travers le plan «Maroc vert», et donc aura certainement besoin d’opérateurs «locomotives», de champions régionaux et nationaux. Rien que dans les projets de semences, et comme l’explique le patron de la Sodea, Mohamed Hajjaji, parmi les opérateurs retenus figurent des leaders mondiaux dans le domaine, d’origine américaine, française et espagnole.
Fin de chapitre ? Pas encore : il reste à concrétiser lesdits projets, et, pour cela, l’Etat veille, il faut le dire, de manière assez sévère. Ainsi, pour la première tranche, l’avancement de 18 projets est défaillant et leurs initiateurs pourraient se voir retirer les terres. Autre facteur, conjoncturel celui-là, la polémique née autour de l’attribution desdites terres. Au lendemain de l’annonce des résultats et des noms des attributaires, certains professionnels ont exprimé leur mécontentement.
C’est le cas, notamment de l’Association des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (Apefel) qui, le 12 août, adressait une lettre au ministère de l’agriculture, avec copie au Premier ministre, dans laquelle elle conteste avec force les résultats, affirmant qu’ils «ne reflètent malheureusement pas les lignes directrices choisies pour l’opération».
Quels sont les reproches formulés par l’Apefel à l’opération ? D’abord, l’association souligne que les opérateurs marocains de taille moyenne ou petite ont été injustement écartés de la course au profit des grands. «Seuls quelques-uns de nos membres, les plus gros, ont été déclarés attributaires», affirme Mohamed Zahidi, secrétaire général de l’Apefel. Ironie du sort, il se trouve que, justement, parmi les membres attributaires de projets figure Abderrazak Mouisset, le président de l’Apefel. Ce qui n’a pas empêché l’association de contester.
«Nous sommes une association pour les petits, les moyens et les grands», explique M. Zahidi qui estime que la taille d’un opérateur n’est pas forcément un gage de sa performance. «On peut être un exploitant de taille modeste et être performant et c’est le cas de beaucoup de producteurs de fruits et de légumes qui exportent aujourd’hui sur le marché européen», fait-il remarquer.
Les membres de l’Apefel énumèrent également dans leur lettre une longue liste de griefs comme le cumul de concessions pour plusieurs opérateurs, soit dans la même tranche, soit entre la première et la deuxième, ainsi que le fait que certains attributaires ne soient pas véritablement des professionnels de l’agriculture…
L’Apefel doute de la solvabilité de certains bénéficiaires
Le patron de la Sodea, cheville ouvrière dans la conduite du processus, est, lui, d’un tout autre avis. Si, à son avis, l’attitude des professionnels peut se comprendre sur le plan de la légitimité, elle est néanmoins non fondée pour la simple raison, explique-t-il, que «tout le processus a été conduit dans la transparence la plus totale, avec la participation des professionnels à tous les stades et dans le respect absolu des règles posées par le cahier des charges».
A commencer par la question de la taille des exploitations et des attributaires. «Il ne faut pas se leurrer, un des objectifs majeurs, à travers cette opération, est le développement de l’agro-
industrie et la modernisation du secteur», rappelle M. Hajjaji, qui en donne pour exemple les 123 unités industrielles créées à la suite de l’attribution des exploitations de la première tranche. Pour le secrétaire général de l’Apefel, en revanche, l’approche consistant à fabriquer des champions n’est pas forcément la bonne.
«Il ne faut pas se tromper en voulant appliquer à l’agriculture une approche industrielle», note-il, avant de rappeler que «ces exploitants qui sont déjà bien nantis vont, à travers ces nouvelles grandes exploitations, avoir droit à encore plus de subventions et ainsi de suite».
Pour ce qui est de la sélection, Mohamed Hajjaji rappelle que les références et le savoir-faire du soumissionnaire sont notés sur 60 points et l’évaluation du projet sur 40 pour les deux premières catégories (grandes filières et semences certifiées). Pour celle des petites et moyennes exploitations, les deux critères étaient respectivement notés sur 30 et 70 points.
Autre point de divergence soulevé par les membres de l’Apefel : le critère de la solvabilité financière, disent-ils dans leur lettre, n’aurait pas été toujours respecté et «certaines personnes surendettées» ont pu, malgré tout, décrocher des exploitations.
Faux, rétorque le patron de la Sodea. «Les professionnels ont constaté de leurs propres yeux que l’une des premières pièces demandées était une caution bancaire attestant que le soumissionnaire dispose de capacités financières suffisantes lui permettant d’assumer la réalisation du projet, dont, d’ailleurs, la banque a eu une copie». Certains opérateurs ont-ils malgré tout disposé d’attestations de complaisance ? Les membres de l’Apefel sont catégoriques : certains attributaires ont de gros problèmes financiers, et pourtant…
«Chacun son rôle, et chacun doit assumer ses responsabilités. Les membres de la commission d’évaluation n’ont pas techniquement les moyens de vérifier pour 860 dossiers si les attestations délivrées par les banques sont fondées ou non. Mieux, ce n’est pas le rôle de la commission. Une banque qui délivre une attestation s’engage, c’est sa responsabilité qui est mise en jeu», s’indigne M. Hajjaji, en indiquant que, en plus de cette attestation, l’opérateur attributaire est invité par la suite à fournir à titre de garantie une caution bancaire et l’équivalent de la redevance au titre de la première année. Quant au problème du cumul, là aussi, M. Hajjaji rappelle que, de toutes les manières, «le cahier des charges est clair : aucun opérateur n’a le droit d’être attributaire de plus de quatre projets et cela a été respecté à la lettre».
Ces explications suffiront-elles à convaincre les membres de l’Apefel ? Rien n’est moins sûr. Contacté par La Vie éco, son secrétaire général, Mohamed Zahidi, a signalé que l’association campait sur ses positions. Une audience a été demandée au ministre de l’agriculture dans la lettre du 12 août précitée. Pour l’instant, la date n’en est pas encore fixée.
