Au Royaume
Mouvement populaire : Un congrès taillé sur mesure pour Mohamed Ouzzine
Les congressistes auraient pu jouer le jeu de la démocratie jusqu’à la fin. Une décision, différemment interprétée, risque de donner lieu à un recours en justice. Avec le rétablissement du poste du président, le parti évolue désormais avec une direction «bicéphale».

Il était là parmi les premiers dirigeants du parti à rejoindre le complexe Moulay Abdellah où a eu lieu le 14e congrès du Mouvement populaire. Des heures durant, Driss Zouini n’arrêtait pas de papillonner, distribuant sourires à volonté et déclaration de presse à chaque fois qu’il est sollicité. Il le fait volontiers sans se faire prier. Il est certes l’un des deux candidats au poste de secrétaire général, mais il sait pertinemment que ses chances sont très limitées. C’est un constat que tout le monde aura relevé. La preuve : Mohamed Ouzzine, le favori, à peine rentré dans la grande salle, se dirige vers un coin et eut immédiatement droit à une grande ovation, bain de foule, acclamations et tout le reste. C’est dire qu’il a réussi sa campagne. Son rival ne semble nullement impressionné, tout souriant il continue sa ronde. Son statut de challenger semble lui suffire amplement. Il relève quand même le défi. C’est sans doute pour cela qu’un peu plus tôt, dans ses déclarations, il ne s’est pas attardé sur ses motivations ni son programme, mais surtout sur l’ancrage de la pratique démocratique dans son parti et le renforcement des institutions. Depuis mardi 22 novembre, à midi, date de l’annonce officielle de sa candidature avec Mohamed Ouzzine, après expiration du délai fixé, il savait qu’il était en train de vivre son quart d’heure de gloire. Habitué au challenge, depuis qu’il a pu, deux jours à peine après la proclamation des résultats des élections du 8 septembre, se faire élire président de la Commune de Sidi Yahya El Gharb, il s’est, sans doute, dit qu’après tout, rien n’était impossible. Avec seulement quatre sièges que le MP a remportés, sur 30, Driss Zouini n’a-t-il pas réussi à former une majorité de quatre partis (MP, RNI, USFP et MPDS) à la tête de laquelle il dirige sa Commune ? Aujourd’hui étudiant en droit, en cycle doctoral, ce cadre de l’OFPPT a réussi, un peu plus d’un mois après avoir accédé à la magistrature locale, à décrocher, à 46 ans, un master en droit à l’Université Mohammed V de Rabat. On comprend donc ce goût pour les défis.
D’un autre côté, la succession de Mohand Laenser, en poste depuis 1986, n’est pas une mince affaire. Ce qui explique sans doute pourquoi, outre le candidat de consensus, Mohammed Ouzzine, parmi les fondateurs et une dizaine d’anciens ministres et secrétaires d’Etat, dont Mohamed Hassad et Saaïd Amzazi, pour ne citer que ces deux, seul Driss Zouini a décidé de franchir le pas. Au début, dans les médias, on a parlé de lui comme un «lièvre» pour celui qui allait devenir, quelques jours plus tard, le numéro un du MP. Il n’en a finalement rien été.
Le moment de gloire du candidat Zouini a été plus court que ce qu’il espérait. Quelques heures à peine après l’annonce officielle de démarrage du congrès, par le président du comité préparatoire, l’infatigable Driss Sentissi, c’était douche froide. Une motion d’amendement des statuts du parti a été proposée et adoptée séance tenante. Driss Zouini est hors course. Les congressistes ont proposé et validé un changement selon lequel tout prétendant au poste de secrétaire général doit justifier de deux mandats successifs au bureau politique. Il n’est membre que depuis le dernier congrès, il est donc inéligible au poste.
Transition amorcée
En étudiant de droit qui connaît parfaitement ses cours, il crie à l’irrégularité de la décision, mettant en avant un principe que tout étudiant de droit se doit de connaître depuis sa première année, «la loi ne saurait être rétractive». Du coup, annonce-t-il dans un ton victorieux à peine dissimulé, «la nouvelle disposition ne doit être appliquée que pour le prochain congrès». Sa candidature ayant été examinée, validée et annoncée officiellement par le comité préparatoire, il est donc déclaré solennellement candidat et le reste jusqu’à ce que les congressistes tranchent par leur vote. Soit, on lui sort un autre argument : il ne s’est pas acquitté de ses cotisations des cinq dernières années. Ce en foi de quoi il est déclaré forfait. Sur ce point, on n’en saura rien. Cela d’autant qu’en revenant à la déclaration de Driss Sentissi, juste après la clôture du délai de dépôts des candidatures, ce dernier avait assuré que les deux candidats ont déposé leurs CV et leurs programmes, tout comme les autres actes élaborés par le comité préparatoire vont être soumis à l’appréciation du congrès. «Au début, il n’ont pas voulu accepter mon dossier, j’ai dû faire appel à un huissier de justice pour que cela soit fait. Je savais que depuis le début on voulait me dissuader de me présenter. J’y ai tenu parce je suis contre le principe du candidat unique, le Mouvement populaire est un parti vieux de 60 ans, il ne peut pas ne pas avoir engendré plus d’un candidat. Il devrait y’en avoir au moins quatre ou cinq», commente-t-il. Bref, Driss Zouini ne compte pas pour autant baisser les bras. Il fait appel à la justice pour l’autoriser à se faire accompagner durant tout le congrès d’un huissier de justice qui va consigner le déroulement du congrès dans un PV à faire valoir plus tard devant la justice. C’est que le candidat dépité compte aller jusqu’au bout et contester ce qu’il qualifie d’irrégularités et d’infractions à la loi organique des partis et aux statuts du MP devant le tribunal compétent.
Ce n’est pas la première fois que les issues du congrès d’un parti politique sont portées devant la justice. Et l’Istiqlal et le PPS en savent sans doute quelque chose, ce sont des procès qui traînent généralement longtemps en justice.
Il n’en sera sans doute pas autrement pour le MP dont les préoccupations d’aujourd’hui sont autres. Pour les dirigeants de ce parti, il s’agit avant tout de réussir la transition d’après-Laenser. Même si pour cela il a fallu la nomination à la tête du parti, et cela le candidat dépité l’a lancé au détour d’une phrase, d’une personnalité publique frappée d’interdiction d’accès aux postes de responsabilité publique. Mohamed Ouzzine, notons-le, n’est pas le seul à se retrouver dans cette situation. Il faut dire aussi, comme le souligne cet observateur de la scène politique, que «son ton virulent risque de mettre son parti dans des situations gênantes». Il en a donné d’ailleurs un avant- goût juste après son élection. Ce qui explique cette décision du congrès de rétablir le poste de président du parti qui revient en toute logique à Mohand Laenser. On a beau essayer au MP d’expliquer qu’il s’agit d’un poste sans véritable attribution exécutif et qu’il va se limiter à l’arbitrage et au conseil, mais selon les observateurs, c’est plutôt une sorte de garde-fou. Personne ne sait, en effet, de quoi l’avenir sera fait, et le MP, même aujourd’hui dans l’opposition, ne voudra sans doute pas couper les ponts avec ses anciens alliés.
A chacun son concept
Si abstraction faite de ce qui s’est passé au congrès, personne ne doutait que c’est l’ancien ministre de la Jeunesse, actuel vice-président de la Chambre des représentants, qui sera le nouveau patron du MP. Tout le monde connaît ses rapports avec des personnalités influentes ou emblématiques du parti. De l’avis de plusieurs analystes, les Harakis auraient pu sauver la face s’ils avaient joué le jeu jusqu’au bout. Surtout que, dans des conditions normales, l’option du candidat unique n’est pas très valorisante. En tout cas, c’est à quelques détails près le même scénario que l’UC a vécu, début octobre. Au départ, quatre candidats étaient en lice pour la succession de Mohamed Sajid. A la veille du vote, trois d’entre eux se sont subitement retirés. Un des trois candidats a même affirmé qu’il avait appris le retrait de sa candidature au même moment que tout le monde. Au final, Mohamed Jodar s’est retrouvé candidat unique et donc logiquement élu secrétaire général. Il y a deux semaines, lors du 11e congrès du PPS, le secrétaire général sortant était le seul candidat à sa propre succession. Il a été réélu pour un quatrième mandat. La loi sur les partis politiques n’en prévoit que deux. Mais comme aucune sanction n’est prévue, on met en avant la «volonté» des congressistes. Après tout, le congrès n’est-il pas «maître de lui-même» comme le veut l’expression consacrée. Nettement plus cohérent avec lui-même et sans avoir cherché à contourner la loi et les coutumes, le Parti de la réforme et du développement, né d’une scission du RNI en 2001, vient de réélire lui aussi son secrétaire général Abderrahmane El Cohen pour un énième mandat. On apprend que le secrétaire général a été élu à l’unanimité «après que le comité préparatoire du congrès n’a reçu aucune demande de candidature au poste de secrétaire général». En réalité, l’article 44 du statut du PRD stipule que «le secrétaire général du parti est le président fondateur jusqu’à son décès, une décision approuvée lors de chaque congrès national». Ce n’est qu’après le décès du président fondateur que le secrétaire général sera élu par le congrès national pour un mandat de quatre ans, renouvelable une seule fois.
