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Taux directeur : Se dirige-t-on vers un relèvement ?
Fitch Solutions prévoit une augmentation des taux en deux temps pour atteindre 2% en 2022. Les économistes restent partagés quant à cette anticipation. BAM reste face au dilemme de continuer à relancer la croissance ou baisser les taux et stabiliser les prix.

L’inflation galopante que connaît le Maroc depuis le début de l’année continue d’inquiéter. Les pronostics quant à un changement du taux directeur fusent toujours, de part et d’autre, qui d’insister sur un relèvement des taux et qui de privilégier le statu quo. Fitch Solutions, dans sa dernière note, s’attend à une augmentation du taux directeur de la part de Bank Al-Maghrib, en deux temps à partir du prochain conseil, pour atteindre, in fine, 2% à la fin de cette année. La société de cotation anglo-américaine explique que la montée en flèche de l’inflation, conjuguée à une baisse de la croissance du PIB, devrait pousser le gouvernement à activer une politique de resserrement monétaire agressive afin d’assurer la stabilité des prix. Rappelons que l’inflation avait augmenté de 5,9% en glissement annuel, pour le mois d’avril dernier, soit le taux mensuel jamais atteint auparavant. Elle a été tirée notamment par les prix alimentaires qui ont progressé de 9,4%.
Cet avis divise les économistes contactés. Omar Bakkou, économiste, spécialiste en politique de change au Maroc, estime qu’une augmentation des taux n’est pas favorable dans les conditions actuelles et que Bank Al-Maghrib devrait encore attendre quelques temps. «L’autorité monétaire est certes face à un dilemme : un taux d’inflation qui dépasse la norme qu’avait connue le Maroc durant ces dernières années et la poursuite du soutien à la croissance économique», explique-t-il. Si la banque centrale procède à un relèvement de son taux directeur, l’accès au crédit bancaire s’en trouverait plus resserré, avec moins de disponibilités de liquidités dans le circuit bancaire et des sociétés de financement. Ce qui devrait aggraver les conditions de financement pour une bonne partie de la population qui, elle, est déjà appauvrie en raison de la dégradation de son pouvoir d’achat, due justement à cette inflation. «Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une inflation importée et donc active à travers les coûts et non par la sphère monétaire. D’autant qu’elle n’est pas généralisée, mais localisée et est loin d’être la résultante d’une politique monétaire laxiste», renchérit-il.
Autrement, dans les conditions actuelles, le pays a plus que jamais besoin de relancer la croissance économique, post-pandémie. A côté, il devra éviter la mise en œuvre d’une politique monétaire qui renchérit le crédit. Ajouter à cela la politique budgétaire adoptée par l’Etat fait état d’un déficit assez élevé. «Une hausse des taux devra contribuer à une hausse du coût de l’endettement futur de l’Etat. Ce qui ne devra pas jouer en la faveur du financement interne de l’Etat, surtout qu’actuellement il prône une politique d’endettement assez large», ajoute M. Bakkou. Allusion faite aux différentes aides au secteur touristique, aux transporteurs… «Si on aligne tous ces facteurs, il serait préférable de tempérer quant à un relèvement imminent des taux d’intérêt», conclut notre économiste.
Néanmoins, un autre économiste, Nabil Adel, a préconisé un relèvement des taux depuis le 4e trimestre de l’année dernière. Selon lui, «cette même inflation qui est importée a trouvé dans le pays les conditions favorables pour s’y installer, avec des taux d’intérêt bas, une machine à crédit qui tourne bien et une demande bien alimentée». En provoquant le pouvoir d’achat, la demande grossit et entraîne une inflation. Cette politique de taux bas est menée depuis près de 10 ans. Son objectif est essentiellement l’encouragement à l’investissement, la création de l’emploi et donc le maintien de la croissance économique. Cela lui a certes réussi. Mais, «pour un même niveau de productivité, cela a eu comme conséquences de gonfler l’inflation», renchérit M. Adel.
Le gouvernement est également responsable de ce niveau d’inflation atteint. «Au lieu de mettre en place des mesures budgétaires restrictives pour la limiter, des démarches contraires ont été prises comme l’augmentation du smig, le programme de couverture santé et toutes les autres mesures liées au soutien du pouvoir d’achat. Ce qui contribuera à creuser davantage le déficit qui est considéré comme le meilleur allié de l’inflation», indique M. Adel. C’est en réduisant les dépenses publiques qu’une composante de la demande se brise et que l’inflation se comprime. Évidemment, c’est une logique que le gouvernement n’ignore pas. Toujours est-il que dans l’intérêt de l’État et des citoyens, il n’est pas envisageable de revenir sur les choix sociaux de l’Exécutif. Cela d’autant que la généralisation de la protection sociale est un chantier royal.
L’Etat social est un choix que le gouvernement ne compte pas changer, quelle que soit la conjoncture. Face à ce constat et puisque l’inflation a commencé à se faire sentir à la fin du 3e trimestre de l’année dernière, les autorités monétaires devaient, selon l’économiste, procéder à une hausse des taux dès le 4e trimestre 2021. «Elles ont raté les anticipations. Elles ne doivent pas manquer les actions. Augmenter les taux conduira à comprimer les crédits et donc la demande et, de facto, l’inflation», insiste-t-il. Cependant, elle aura pour effet une récession économique à coup sûr pendant quelques temps ; mais «il vaudrait mieux le mauvais maintenant que le pire demain», ironise-t-il. A son avis, même si les autorités monétaires semblent avoir raté le virage, il est encore temps de stopper la gangrène, surtout que la durée de la transmission de la politique monétaire est de 6, 9 ou même 18 mois.
Autrement dit, l’action par les taux et sa diffusion sur le circuit de l’économie réelle prend en moyenne une année. C’est ainsi une année de plus d’inflation à supporter par l’Etat, les acteurs économiques et les citoyens. En bref, «il est urgent d’agir», toujours selon M. Adel.
