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«La révolution des services externalisés est en cours»

Entretien avec YOUSSEF CHRAIBI – Président du Groupe Outsourcia et président de la FMES

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• Comment se comporte le secteur de l’externalisation des services ces deux dernières années?

Notre secteur a maintenu sa crois- sance malgré la pandémie et ses consé- quences économiques. L’outsourcing a été le premier créateur net d’emplois au Maroc durant ces deux dernières années. Cela s’explique par plusieurs éléments : d’abord notre capacité à avoir pu assurer une continuité avec la généralisation du télétravail qui se prête parfaitement à notre activité. Par ailleurs, certains secteurs, comme le E-commerce ont connu une crois- sance sans précédent en Europe, no- tamment, ce qui a largement augmen- té les besoins des acteurs principaux. Enfin, la reprise a largement plébiscité le modèle offert par l’externalisation en raison de la souplesse, de l’agilité et du modèle économique entière- ment variable que nous proposons. Au final, nous avons pu créer près de 20 000 emplois supplémentaires ces 2 dernières années. En terme de reve- nus à l’export, nous sommes désor- mais dans le top 3 des secteurs indus- triels les plus importants avec près de 15 Md de DH pour 2021.

• Quel regard portez-vous sur les grandes mutations en cours dans les cinq écosystèmes de votre secteur d’activité?

Pour les acteurs du CRM (centres de contacts), nous assistons à une forte diversification vers les nou- veaux métiers de l’outsourcing. Nous sommes ainsi aujourd’hui très loin de l’image des centres d’appels délocali- sés proposant avant tout des réduc- tions de coûs. Les acteurs majeurs de notre secteur sont désormais des outsourceurs généralistes proposant des offres globales intégrant des solu- tions humaines, techniques et une maîtrise des problématiques secto- rielles de nos clients, et ce concernant différentes fonctions de l’entreprise (Financière, RH, Administrative…) à l’origine de l’essor du BPO (Business Process Outsourcing). Les acteurs de l’ITO vont également dans ce sens de l’enrichissement de leurs offres. On assiste ainsi à une forte consolidation du secteur avec de nombreux rappro- chements, à l’image de Cap Gemini avec Altran par exemple, acteur ma- jeur de l’ESO. Enfin des écosystèmes plus récents comme le KPO, sont en train de se renforcer avec des pres- tations à forte valeur ajoutée, parti- cipant ainsi à l’intégration de notre pays dans la carte mondiale de l’éco- nomie du savoir.

• Comment la plateforme Maroc se positionne-t-elle parmi les destinations concurrentes?

Nous sommes leader sur le fran- cophone avec une part de marché de près de 50%. Cette avance consi- dérable ne semble pas être menacée par l’arrivée de destinations concur- rentes low cost, notamment d’Afrique subsaharienne, compte tenu de nos atouts structurels en terme de qualité de bassin de l’emploi, de solidité de nos infrastructures mais également de proximité avec nos principaux donneurs d’ordre. Le Maroc n’est plus considéré comme une destina- tion offshore. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous parlons désormais d’Outsourcing de façon générale et non plus d’offshoring, car cette termi- nologie désignait avant tout un mou- vement géographique Nord-Sud. Aujourd’hui, l’externalisation est un secteur à part entière, qui concerne de très nombreuses fonctions de l’en- treprise et qui s’adressait également à des donneurs d’ordre marocains. Notre pays a été pionnier dans l’émer- gence de ces métiers et devrait main- tenir son rang dans le top 3 africain.

• Quelles sont ses forces et ses limites à améliorer ?

Nos forces sont avant tout liées à la maturité et à la forte expertise des acteurs majeurs, dont certains leaders mondiaux ont très tôt fait le choix du Maroc qui offre des avan- tages en terme de qualité de bassin de l’emploi, tant au niveau de la produc- tion que de l’encadrement, qualité des infrastructures techniques, maîtrise des problématiques sectorielles des principaux donneurs d’ordre (Tele- com, Automobile, E-commerce…) et enfin bien entendu notre proximité géographique et culturelle. Les limites sont avant tout liées à la taille de notre bassin de l’emploi qui ne nous permet pas de répondre à l’ensemble des demandes. Nous pourrions clairement créer au mini- mum deux fois plus d’emplois chaque année si nous trouvions le vivier de ressources suffisant, conforme au niveau d’exigence de nos clients, no- tamment en terme de soft skills.

• Dans ce sens, la compétitivité est une grande question à adresser. Quel commentaire faites-vous sur ce plan?

Nous avons déjà perdu la bataille des prix. Les salaires à Madagascar par exemple sont trois fois inférieurs au Maroc. Notre compétitivité est donc entiè- rement liée à la qualité des presta- tions que nous sommes à même de proposer en raison de notre longue expérience de 20 ans dans ce secteur et notre forte expertise dans l’appré- hension des problématiques spéci- fiques de nos clients.

• L’arrivée de nouvelles tendances dans le secteur pourra bouleverser les opérateurs peu visionnaires et proactifs. Comment peut-on s’y préparer ?

Nous ne pouvons plus depuis plu- sieurs années déjà continuer à pro- poser des équipes à moindre coût. Nous sommes passés de simples «preneurs» d’ordre à même de déli- vrer des prestations standardisées à des outsourceurs généralistes offrant des solutions humaines, techniques et organisationnelles, à destination de différents secteurs, pour diffé-rentes fonctions de l’entreprise et ce en plusieurs langues, à partir de plu- sieurs pays, nécessitant une présence dans plusieurs régions, y compris en Europe, là où se trouve la majorité de nos clients. La question de l’atteinte de la taille critique constitue plus que jamais une forte barrière à l’entrée.

• Le secteur de l’Outsourcing est parmi les rares secteurs à être limité par ses propres capacités et non pas par le marché et les débouchés. Quels sont, à votre avis, les leviers qui s’offrent pour dépasser cette contrainte structurelle?

Cela passe avant tout bien entendu par la refonte du dispositif de forma- tion, devant se focaliser beaucoup plus sur les compétences compor- tementales et linguistiques que les compétences techniques. Nous refu- sons régulièrement des BAC+5, alors que nous pouvons recruter sans dif- ficultés des BAC+2 ayant un niveau convenable en terme de soft skills. Il s’agit là d’un gâchis monumental qu’on pourrait résoudre en quelques années, pour peu que les acteurs dé- cisionnaires prennent conscience de cette urgence. Nous pouvons également réorien- ter nos jeunes sur ces secteurs à forte demande avec une meilleure com- munication et des programmes de mise à niveau.

• A ce titre, la Fédération marocaine de l’externalisation des services s’active sur plusieurs fronts. Quels sont les chantiers prioritaires du moment ?

Il s’agit justement de mettre notre propre institut de formation, à l’image ce qui a pu être fait pour les autres métiers mondiaux du Maroc, où la FMES serait totalement par- tie prenante dans toutes les étapes depuis l’élaboration des dispositifs de formation jusqu’à l’insertion effec- tives des jeunes dans nos entreprises, en association avec l’OFPPT.

• Quelles synergies mettez- vous en place avec la CGEM pour défendre l’intérêt du secteur, notamment auprès des décideurs publics?

La CGEM a joué un rôle majeur dans la professionnalisation de notre secteur en décidant de faire de la FMES une fédération statutaire, don- nant ainsi à nos métiers la représenta- tivité qu’ils méritent et ce de façon au- tonome. Nous travaillons aujourd’hui conjointement sur différents chan- tiers, notamment au niveau social (formation), réglementaire (loi pour régir le télétravail), communication (promotion de la destination Maroc).

• Comment voyez-vous les perspectives de l’Outsourcing pour les années à venir ?

Je reste très confiant concernant les perspectives de croissance de notre secteur. L’Outsourcing au niveau mon- dial va continuer à se développer forte- ment dans différents secteurs d’activité et va concerner la quasi-totalité des fonctions de l’entreprise. Notre pays a déjà pris une avance importante au ni- veau régional et su montrer sa capacité à innover pour nous insérer durable- ment dans cette nouvelle économie du savoir. Après nos paris gagnants dans l’industrie, au premier rang desquels figurent l’automobile, l’aéronautique et le textile, la révolution des services externalisés est aujourd’hui en cours.