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«On doit en finir avec le mythe qu’être un entrepreneur c’est créer sa propre entreprise»

Il va falloir que les pouvoirs publics s’impliquent pour sécuriser la transmission des entreprises familiales. Il faut promouvoir l’accompagnement des cessions et des reprises et le portail «transmission.ma» et favoriser la mise en place d’une offre territorialisée de financement de la reprise. Des Fonds régionaux de transmission pourraient être mis en place avec ce leitmotiv : «Too big to Fail».

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Zakaria Fahim, Président BDO au Maroc, Head of Business Digital Transformation, Président HUB AFRICA past-Président CJD International

  • Vous venez de publier un baromètre transmission, de quoi s’agit-il au juste ?

Il s’agit d’abord d’analyser le profil et le parcours des repreneurs et des cédants, ensuite détailler la signalétique des entreprises cédées et à céder. Nous avons aussi voulu étudier l’option de reprise/cession à/par un membre de la famille et, en même temps recueillir les motivations pour la reprise/la cession. Entre autres objectifs de ce travail, déterminer les canaux et moyens utilisés pour trouver le cédant/repreneur et  identifier les acteurs privilégiés pour l’accompagnement dans cette démarche. Nous avons voulu, enfin, mettre en relief les critères de choix : entreprise à céder/repreneur et analyser l’aspect juridique, fiscal, social et sociétal, financier et marketing. Tout cela permet d’avoir une cartographie suffisamment explicite pour éclairer nos décideurs politiques et acteurs publics en charge du développement de nos régions du caractère fragile dans lequel se trouvent nos entreprises familiales, notamment celles issues de la marocanisation. Elles sont confrontées à l’âge du capitaine et à un changement du cadre du business dans un monde globalisé qui exige de l’agilité et de la fraîcheur qu’ils n’ont plus nécessairement. Comme je l’ai dit, la réussite de la transmission de ces entreprises est un préalable au développement de nos régions qui ne peuvent se payer le luxe de perdre leurs fleurons à cause de l’âge avancé du fondateur.

 

  • À votre avis, quels devraient être les principaux leviers d’une politique publique efficace en faveur de la transmission d’entreprise ?

Toute politique publique dans le domaine, devrait d’abord œuvrer à la consolidation d’outils statistiques publics et privés de suivi et de mesures au niveau national de la transmission d’entreprise. Il faudrait également structurer à l’échelle régionale un réseau d’acteurs chargés de conduire des actions de sensibilisation de proximité auprès des dirigeants, en fonction des priorités du territoire.

Autre levier, promouvoir l’accompagnement des cessions et des reprises et le portail «transmission.ma» et favoriser la mise en place d’une offre territorialisée de financement de la reprise.

La clé de voûte est pour nous la mise en place de Fonds régionaux de transmission avec ce leitmotiv : «Too big to Fail» applicable aux différents territoires. En effet, du prisme d’une ville de province, un employeur de plus de 200 personnes peut jouer en «champions league» et être «The notable» de la place. L’idée, c’est de créer des écosystèmes publics privés capables d’agir pour inciter la région de prendre une participation minoritaire ou non pour aider une entreprise à enjeu social à dépasser sa problématique de relève quand celle-ci se pose avec acuité et peut remettre en cause la pérennité de l’entreprise. Il est important de faire valoir tous les instruments mis en place par l’Etat, notamment à travers les lignes «transmission des entreprises familiales garanties  de Tamwilcom (ex-CCG) et renforcer les fonds publics privés pour faciliter les LBO ou rachat par les salariés de leur entreprise.

 

  • Pensez-vous qu’aujourd’hui les chefs de PME familiales sont véritablement conscients de la problématique de transmission ?

Au regard des résultats obtenus, oui. En 2009, ils étaient 66% à vouloir transmettre à leur progéniture et seulement 34% à des tiers. L’âge faisant et la «real politic» aidant, ces chiffres s’inversent, ils ne sont plus que 34% à vouloir transmettre aux enfants.

Il est tout de même à préciser que près de 8 dirigeants sur 10 (cédants potentiels ou avérés) ayant opté pour la succession familiale justifient leur choix par leur volonté d’assurer l’avenir de leur progéniture. Cela alors que 4 entrepreneurs sur 10 évoquent le maintien d’une tradition familiale.

Enfin, un dirigeant sur 5 a du mal à couper le cordon et opte pour la succession familiale afin de continuer à y garder une certaine influence.

L’ouverture sur l’extérieur s’explique aussi par la nécessité d’investir dans l’entreprise pour lui donner une nouvelle vie.

 

  • Quelles sont les actions qui devraient à votre avis être menées auprès des différents acteurs de l’écosystème des PME familiales pour les mobiliser autour de cette problématique ?

Il faut d’abord organiser des parcours de formation à la reprise à destination des jeunes, des salariés et des demandeurs d’emploi candidats à un projet de reprise. Ensuite, sensibiliser les acteurs du conseil en évolution professionnelle à la reprise d’entreprise. Faire de la pédagogie confirmant qu’il est plus opportun et moins risqué d’être entrepreneur en rachetant une entreprise que de partir de zéro.

On doit casser le mythe qu’être un entrepreneur c’est créer sa propre entreprise.

C’est faux et cela nous prive d’une accélération du développement de notre économie en inscrivant tous les entrepreneurs potentiels dans la case «green field» et non pas reprise d’une affaire. Culturellement, nous devons aider ces futurs chefs d’entreprise que payer un outil de production existant et le faire grandir est un signe d’intelligence et d’efficacité pour réussir plus facilement

 

  • A votre avis, l’aspect familial d’une entreprise est-il le principal obstacle ou frein pour pérenniser son activité ?

Le caractère familial est une force et en même temps une faiblesse. Une force, car la rentabilité est toujours lue dans un temps long. On n’est pas dans la spéculation, l’humain est important si derrière on met en place des outils pour mesurer la compétence et éviter le clientélisme stérile et aussi l’enfermement sur soi et ne voit pas l’écosystème comme un allié mais comme un potentiel prédateur capable de venir prendre à moindre coût ce qu’on a créé pendant des années.

La PME familiale est une manne extraordinaire. Nous devons la protéger et l’accompagner notamment dans cette période compliquée, pour reconstituer ses fonds permanents, lui donner envie de voir son avenir au delà de la famille, d’accepter de coopter ses hauts potentiels tout en réfléchissant sur une gouvernance qui donne de la place à leurs enfants pour garder leur envie de voir grandir le business. La famille est une richesse quand elle s’appuie sur les valeurs travail, innovation, solidarité et performance.

Mettons-la dans le top de nos priorités. Elle est l’avenir et le présent de notre économie et mérite toute notre attention pour servir de pont avec nos start-up pour une «open innovation» efficiente et capable de faire du Maroc encore plus demain le Hub Africa.