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Culture

Ce que le monde de la culture attend de Touria Jabrane

Le 5 octobre 2007, Touria Jabrane est appelée, à  la surprise générale, à  tenir la barre de ce bateau en déréliction qu’est notre culture. L’ancienne comédienne est-elle en mesure de redresser la situation ? Trop tôt pour émettre un jugement. Ce qui est certain, c’est que sa tà¢che sera ample. Pour vous en donner un avant-goût, nous avons recueilli les doléances d’un panel d’acteurs du champ culturel.

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Admirée, sinon adulée, du temps où elle illuminait les rampes et les écrans, Touria Jabrane ne fait plus l’unanimité autour de sa personne depuis qu’elle a été hissée aux commandes du ministère de la culture. Sur sa consécration, les sentiments sont contrastés. Au désenchantement des uns, qui ne voient pas d’un bon œil une «saltimbanque» planer dans les hautes sphères politiques, répond la joie de la plupart des artistes, que cette nomination d’une des leurs emplit de fierté.

Un lourd handicap : l’indigence du budget du ministère, 350 millions de dirhams seulement
On ne saurait donner raison aux mécontents, vu que leurs arguments ne pèsent pas lourd. Selon eux, Touria Jabrane serait disqualifiée pour ce poste, parce que, à la différence de ses pairs, elle n’est pas bardée de diplômes. Or, il est avéré que les diplômes ne constituent pas des gages de «vertus» ministérielles. Quant au soupçon d’inculture versé au dossier à charge contre la nouvelle ministre, il est littéralement révoltant. Ne peut en effet être inculte une comédienne qui, comme Touria Jabrane, a, en quarante ans de scène, fréquenté les textes majeurs de la littérature universelle.

Toutefois, il est à craindre que les enthousiastes ne déchantent très vite. Non que la nouvelle ministre n’ait pas les compétences requises, mais parce que la charge dont elle hérite est ingrate. Tous ses prédécesseurs s’y sont cassé les dents, sans qu’on soit en droit de leur jeter la pierre. A leur décharge, on invoquera volontiers l’insignifiance du budget qui était alloué à leur département. Ils n’avaient d’autre ressource que de naviguer à vue. Ne soyons pas étonnés, dès lors, que plusieurs secteurs culturels aient pris l’eau de toutes parts. De fait, le budget de la culture représente en 2008 environ 0,24% du Budget général de l’Etat, soit près de 350 millions de dirhams. Une misère qu’il faut répartir entre les dépenses de personnel, d’équipement et d’investissement. Mais l’indigence des ressources affectées à la culture ne date pas d’aujourd’hui. C’est un mal chronique dont pâtit ce département. Cependant, il ne faut pas compter sur Touria Jabrane pour se résigner.

Elle répète à qui veut l’entendre qu’elle fera des pieds et des mains pour que son budget soit revu à la hausse en 2009. Il n’y a pas lieu de croire que la promesse sera vaine. Pour son premier salon du livre, elle a obtenu que le budget de ce dernier soit majoré de 100%.

Le ministère de la culture a la charge de plusieurs secteurs, dont le cinéma est étrangement exclu : patrimoine (musées, monuments, traditions, us et coutumes…), théâtre, musique, danse et chorégraphie, arts plastiques, arts traditionnels, bibliothèques, livre, maisons de la culture, animation culturelle… Ce qui est frappant, c’est que, jusqu’ici, la préservation du patrimoine a été favorisée aux dépens du développement culturel et de modes d’expression, ailleurs majeurs, tels que la peinture ou la sculpture, ou encore l’art chorégraphique.

Cette vision muséographique de la culture a longtemps prévalu au sein de la rue Gandhi, et pas toujours efficacement. Alors que ce qui fait la vitalité et le rayonnement d’une culture, c’est surtout ce qu’elle crée tous les jours. De cette lacune criante, Touria Jabrane est pleinement consciente. Elle assure qu’elle s’emploiera à rectifier le tir et qu’elle ne se contentera pas de gérer les affaires courantes, mais de forger une vision de la culture.

La réussite de Mme Kraytif se mesurera à sa capacité à mobiliser des énergies et des ressources extérieures, à identifier les éléments catalyseurs d’une activité culturelle dynamique, à procéder à une ré-allocation des ressources, à promouvoir l’entrepreneur culturel. En d’autres termes, à faire émerger un véritable marché du produit culturel. Les échos que nous avons eus des cinq premiers mois de son mandat vont dans ce sens. Un langage nouveau, une approche inédite. Mais pas encore d’actes tangibles. Et c’est d’actes que les acteurs du champ culturel ont besoin pour se rassurer. En attendant, nous avons interrogé huit d’entre eux qui ont eu l’amabilité de faire part de leurs attentes.