Société
Associations : la loi 19.12 n’a pas régulé le marché du travail domestique
• Le recul du nombre d’enfants économiquement actifs est qualifié d’insignifiant par les associations.
• La nouvelle loi, en vigueur depuis 2018, n’a pas réussi à apporter les solutions adéquates.
• Elle reste incomplète et ignorée par l’opinion publique.

Le Haut commissariat au plan (HCP) annonçait, en juin 2020, que le nombre d’enfants économiquement actifs se situe à 200 000 et est en recul de 23,5% par rapport à 2017. Trois mois plus tard, le ministère de l’emploi, faisant le point de l’application de la loi 19.12, donnait le nombre de contrats de travail domestique et de déclarations à la Caisse nationale de sécurité sociale : Ce sont 2 574 contrats qui ont été signés et 2 228 déclarations enregistrées à la CNSS. Peut-on se réjouir et penser que ces indicateurs sont conséquents à l’application de la loi 19.12 sur le travail domestique ?
Dans le milieu associatif, «ces chiffres sont insignifiants et non segmentés, et ne révèlent toujours pas, deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, une régulation du marché du travail domestique employant des milliers de personnes, essentiellement des filles et des femmes. D’autre part, ces données du ministère ne fournissent aucune indication sur la situation des mineurs qui reste, il faut le souligner, préoccupante». En effet, et à titre indicatif, l’étude réalisée en 2010 par le Collectif associatif «Pour l’éradication de l’exploitation des mineures dans le travail domestique», estimait le nombre de filles mineures à près de 80000. Combien sont-elles aujourd’hui ? Et quel bilan peut-on établir depuis le 2 octobre 2018, date d’entrée en vigueur de cette nouvelle législation ?
Pour les associations engagées contre la lutte du travail des enfants, «on a très peu avancé et nous déplorons que, deux années après l’application de la loi, on nous dit que les dispositions et les procédures de sa mise en œuvre sont toujours en cours de mise en place». En septembre dernier, la présidence du ministère public et le ministère de l’emploi et de l’insertion professionnelle ont présenté un projet de «Guide pratique de mise en œuvre des dispositions de la loi 19.12». Le document, disponible en langue arabe sur le Net, présente le cadre juridique qui concerne «les travailleur(e)s domestiques», mais ne fournit aucune donnée statistique ! Ce guide vise à démontrer comment les actions menées et la nouvelle loi peuvent favoriser l’élimination des diverses formes de travail des enfants. Mais, de l’avis du Collectif associatif «Pour l’éradication de l’exploitation des mineur(e)s dans le travail domestique», l’impact de la législation à elle seule reste limité, elle doit être accompagnée de mesures précises.
Quelles solutions alternatives pour les familles émettrices en 2023?
Il s’agit notamment d’actions visant de sensibiliser l’opinion publique en vue de la lutte contre les pires formes de travail des enfants, de les réadapter de les retirer du marché et les réintégrer dans le système scolaire, d’encourager et de développer l’école de la deuxième chance et fournir des subventions et des revenus aux enfants et à leurs familles en situation de précarité.Par ailleurs, les associations reviennent sur la nécessité de modifier les dispositions des articles 6 et 27 de la loi 19.12 pour permettre une application immédiate de la limitation à 18 ans l’âge d’accès au travail domestique, d’engager un plan d’action efficace assorti d’un calendrier pour régulariser la situation des dizaines de milliers de mineurs en situation d’exploitation au moment de l’entrée en vigueur de cette disposition, et aussi de la situation des enfants qui pourraient en être victimes après, doter les «travailleurs sociaux» d’un statut leur permettant d’assurer les actions de repérage d’informations, de retrait des mineurs et leur accompagnement jusqu’à leur réinsertion en coordination avec les autorités compétentes. Il serait également utile et nécessaire de préparer l’après-2023.
«A cette date butoir retenue par la loi 19.12, le travail domestique sera interdit. Mais se posera toujours la problématique des familles émettrices de ces mineurs. Dans le besoin, elles n’hésiteront pas à continuer à envoyer leurs enfants travailler dans des familles sans se soucier outre mesure de la loi ni des conditions de travail», souligne une source associative. L’interdiction du travail stipulée par la loi équivaut à la suppression de revenus pour ces familles en situation de précarité. Ce qui laisse entendre, avancent les associations, qu’il est nécessaire de mettre en place des solutions alternatives pour assurer un revenu à ces familles. Selon les résultats d’une étude du collectif, 47% de ces familles sont pauvres, 28% sont très pauvres, 16% sont sans revenus réguliers et 9% ont des revenus réguliers et 94% des mères et 72% des pères sont analphabètes.
Les améliorations à apporter à la loi 19.12 permettront de combler les lacunes que les associations n’ont eu cesse de dénoncer durant ces dernières années. Elles portent sur la «période dite de transition de 5 ans» à partir de la date d’entrée en vigueur, pendant laquelle il est permis d’exploiter les mineurs de 16-17 ans. Une disposition en totale contradiction avec tous les motifs qui ont sous-tendu la fixation de l’âge minimal de 18 ans. Est aussi contesté le contrôle confié à l’inspection du travail qui souffre d’un manque crucial de ressources humaines et de moyens matériels. De plus, cette structure ne dispose ni des compétences requises pour s’occuper des enfants en situation difficile, ni des instruments pour intervenir, car le travail domestique se passe à «huis clos» dans des maisons légalement inaccessibles, sans l’avis de la justice. Le texte ne comporte pas les dispositions et les instruments pour extraire les enfants du milieu du travail et de les réinsérer. Enfin, les associations recommandent une large campagne de communication car la loi demeure malheureusement ignorée de l’opinion publique.
