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Fatime Zohra Outaghani : «Les entreprises seront jugées sur leur capacité de résilience face à la crise»
• Les conséquences d’un manque de résilience ont de profondes ramifications. Un donneur d’ordre important, s’il se trouve dans l’obligation de cesser ses activités, peut entraîner dans sa chute tout un écosystème de partenaires et fournisseurs. La résilience est donc une nécessité vitale autant pour une organisation que pour son environnement.
Le concept de résilience, autrement dit la faculté à surmonter des situations difficiles, a été introduit dans le champ de la psychologie à partir des années 1950, au travers d’études réalisées sur des enfants souffrant de diverses pathologies. Le terme a été popularisé plus tardivement, à la fin des années 1990, notamment par le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik, qui s’est appuyé sur ses travaux menés auprès d’orphelinats en Roumanie ou de soldats revenus d’une zone de guerre. Dans son acception la plus large, la résilience renvoie ainsi à la possibilité qu’a l’individu à se développer après un traumatisme, qu’il s’agisse d’un enfant abandonné, d’un vétéran ou d’une victime de terrorisme.
Si elle s’est appliquée dans un premier temps aux personnes, cette notion recouvre aujourd’hui largement le monde de l’entreprise, s’appuyant en cela sur la définition que les sciences physiques en ont donné : est résilient la chose (le matériau) qui parvient à résister aux chocs. Pour les organisations, cette résistance doit être double et comprend à la fois l’absorption d’un choc (accident industriel ou technologique, crise économique ou sociale) et son corollaire : la continuation de l’activité. Une entreprise qui subit une attaque informatique d’ampleur, ou voit ses implantations détruites par un séisme, aura fait preuve de résilience si elle parvient à réparer son système informatique ou reconstruire ses usines, mais également si elle est en mesure de poursuivre ses activités à long terme, malgré l’impact. Les exemples de sociétés ayant réussi à traverser une crise, mais qui ont dû fermer leurs portes par la suite, ne manquent pas. La solidité financière, la dimension RH ou la capacité à maintenir une production de biens ou services, en quantité et en qualité, sont autant de facteurs qui jouent dans le temps long.
Les conséquences d’un manque de résilience ont de profondes ramifications. Un donneur d’ordre important, s’il se trouve dans l’obligation de cesser ses activités, peut entraîner dans sa chute tout un écosystème de partenaires et fournisseurs. La résilience est donc une nécessité vitale autant pour une organisation que pour son environnement, et la pandémie du Covid-19 qui frappe la planète sonne à ce titre comme un brusque rappel : ce sont les entreprises les mieux préparées, celles qui auront prévenu les risques en amont, notamment par le biais d’un plan de continuité d’activité (PCA) et de protocoles de communication adaptés, qui résisteront le mieux au choc économique à venir.
Car, dans cette crise sanitaire mondiale, un troisième facteur entre en jeu : la réputation. Une entreprise qui licencie en masse ou fait prendre des risques à ses salariés, sans autre stratégie que celle de pérenniser ses performances, aura peu de chances de survivre à l’opinion publique. Outre-Atlantique, on mesure déjà les répercussions qu’ont les propos d’Elon Musk, décidé à ouvrir les usines de Tesla malgré le danger qu’encourent ses employés, sur l’image du constructeur. Protéger la valeur financière d’une marque est une chose, mais vouloir le faire à tout prix met en péril la responsabilité et le rôle sociétal qu’a l’entreprise.
Pour autant, l’exercice est difficile et aucune leçon de morale ne saurait remplacer la réalité qui recouvre chaque situation, forcément différente. Au sein de PR MEDIA, nous avons fait il y a trois ans le choix de concevoir un PCA au regard de la fréquence accélérée des crises et de l’augmentation de leurs coûts, qui ont significativement évolué ces dernières années, mais aussi en raison de la diversité des territoires sur lesquels nous opérons. Outre le Maroc, l’agence évolue sur plusieurs marchés en Afrique : en Algérie et en Tunisie en propre, et à travers un réseau de partenaires mondiaux sur l’ensemble du continent et au-delà. Cette démarche a été déclenchée par la situation en Libye, où nos activités locales ont été fortement impactées par la guerre civile. Bien qu’il soit utopique de chercher à tout prévoir et maîtriser, la conception de stratégies de protection, destinées à limiter les effets directs de crises potentielles sur nos objectifs, nous a permis de mieux comprendre les mécanismes inhérents à ces événements, tout en étant en capacité de répondre à nos obligations externes (contractuelles…) et internes (risque de perte de marché, image…).
Dès le début du confinement décidé au Maroc le 20 mars, mais dont nous ressentions depuis plusieurs jours les effets auprès des marchés européens, nous avons activé notre PCA et l’ensemble des mesures (financières, organisationnelles) visant à assurer le maintien de nos prestations. Notre politique de télétravail, testée au préalable lors de mises en situation effectuées via une approche par scénarii de crise, nous a permis de prendre le virage du Coronavirus en douceur, et non au travers d’une rupture brutale telle que vécue par beaucoup d’entreprises. Notre maîtrise des outils collaboratifs (applications de réunions en ligne, plate formes de travail à distance), avec lesquels nous travaillons depuis plusieurs années, nous a également aidés à vivre cette transition en restant en cohérence avec nos usages.
En interne, la perception du soutien a été la clé de réussite majeure de notre PCA. Le volet RH a, de ce point de vue, été déterminant. Nos collaborateurs, dont nous avons immédiatement sécurisé les postes, ont compris la nécessité du changement et bénéficié de l’appui concret du management, avec comme résultat une participation commune à l’action.
Pour une entreprise, même quand elle évolue dans le secteur des RP, communiquer auprès de ses salariés et créer les conditions d’une adhésion ne vont pas de soi. Or, c’est en faisant comprendre sa stratégie que l’entreprise devient en mesure de fédérer. C’est là une des principales leçons à retenir de la crise actuelle : de tous ses actifs, l’humain est celui sur lequel l’entreprise doit investir le plus si elle veut pouvoir faire preuve de résilience.
Fatime Zohra Outaghani
CEO du Groupe PR MEDIA
