Société
Un non-respect flagrant du confinement dans certains quartiers à Casablanca
• Si dans certains quartiers les règles de protection recommandées par le ministère de la santé sont toujours respectées, dans d’autres, surtout populaires, la distanciation sociale n’est plus de mise.
• Masques mal ou pas du tout portés et foule dans les marchés et autres souks.
• Inconscience, déni de la maladie et fatalisme expliquent ces comportements qui peuvent coûter cher à la communauté…
Si vous déambulez dans certains quartiers de la ville blanche vous remarquerez rapidement le relâchement de la population face aux règles de distanciation sociale et des mesures de protection imposées, depuis mars dernier, suite à l’apparition du premier cas de Coronavirus au Maroc. Est-ce l’approche du 20 mai, date prévue pour le déconfinement, ou bien l’ambiance du Ramadan qui expliquent ce dangereux et inconscient laisser-aller ?
Rue Goulmima, quartier Bourgogne. Samedi 11h30. Dans ce souk qui s’étend sur deux artères du quartier, femmes et hommes font leurs courses normalement sans se soucier de la règle de distanciation sociale. Autour d’un marchand de légumes, elles sont au moins cinq, quasiment collées les unes aux autres, à choisir leurs légumes et à prendre le temps de marchander tranquillement le prix. Et surtout à faire des commentaires sur la hausse des prix de certains fruits et légumes et sur le manque de pluie et la compromission de la saison agricole. Et le confinement et les règles de protection à observer ? A cette question, les réponses sont étonnantes, et vont de l’inconscience pure et simple du risque pris, à un grand fatalisme déroutant, passant par le stress, la fatigue et la lassitude induits par les contraintes du confinement et l’observance des règles de protection. En effet, au-delà de la promiscuité des personnes dans ce souk, certaines d’entre elles, portent mal les masques ou n’en portent tout simplement pas. Il y a des femmes qui se contentent d’une écharpe ou d’un foulard. «L’essentiel c’est de cacher son nez et sa bouche !», répond une femme, la soixantaine, qui porte un masque fait maison. Les mises en garde et le rappel du risque de contamination ne changent rien à son inconscience : «Pourquoi les autres masques, en tissu, fabriqués dans les usines ont quelque chose de spécial ? Ils sont justes emballés dans du plastique, c’est tout!». Et la promiscuité ? «On ne peut faire autrement, c’est le marché, on ne peut l’avoir à soi seul pour faire ses courses ! Et en plus, on n’a pas le temps, il faut acheter ce qu’il faut et rentrer faire la cuisine, c’est le Ramadan, il y a des tonnes de choses à préparer !», lance-t-elle en choisissant persil, coriandre et céleri pour la harira. Et d’ajouter : «Tenez, je suis obligée de venir, chaque matin, ici pour acheter ce qu’il me faut pour lahrira. Je veux du frais, je ne veux pas conserver au frigo. Ce n’est pas sain!». Alors est-il sain de sortir tous les jours alors que l’on doit être confiné ? Et une autre femme de répondre : «Mais, cela fait presque deux mois que l’on est enfermé, on n’en peut plus… Il faut sortir, ne serait-ce qu’une fois par jour, juste pour une heure, acheter ce qu’il faut, respirer et voir du monde autre que les membres de la famille. Cela fait du bien en ces temps difficiles !».
Les temps risquent d’être encore plus difficiles si l’on ne respecte pas les règles de protection et si l’on ne reste pas chez soi. Sur cela, plusieurs femmes et hommes dans ce souk ne sont pas d’accord et ont un avis unanime : «Non, on ne sait pas, on ne pense pas, d’ailleurs personne ne sait comment cela va évoluer et même le ministère de la santé ne sait pas. Alors quoi, on va arrêter de vivre et surtout que c’est Ramadan ?!». Le suivi régulier de la situation épidémiologique ainsi que les statistiques annoncées quotidiennement à la télévision ne semblent pas convaincre et n’ont visiblement aucun impact sur les résidents de ce quartier ni sur ceux rencontrés au quartier marchand de Garage Allal. Ici, aussi, les ruelles sont bondées de femmes et d’hommes venus faire leurs courses.
Fatalisme ou déni de la maladie ?
La plupart d’entre eux sortent tous les jours et surtout depuis le début de Ramadan. «C’est l’ambiance du Ramadan, on ne peut pas ne pas venir au marché tous les jours», dit un homme, la quarantaine, accompagné de son fils d’une dizaine d’années. Il dit ne rien craindre ni pour lui, ni pour son enfant, car «tout dépend de la volonté de Dieu. Machiate Allah ! On ne sait pas ce qui va se passer d’ici demain… Alors on vit, et pour le Corona, on verra incha Allah». Un fatalisme déroutant lorsque l’on sait que chaque jour apporte son lot de nouveaux cas de contamination. Pour ce monsieur, «le Maroc n’est pas le seul pays, dans le monde, c’est une maladie mondiale et on n’y peut rien. Il faut attendre la volonté de Dieu et continuer à vivre», dit-il avec le sourire. Optimisme ? Fatalisme ? Ou simple ignorance de la gravité de la situation pandémique ?
Pour ce marchand de poissons au souk du quartier Bouchentouf, «la maladie existe et elle est grave, on le sait, mais on ne peut pas ne plus vivre pendant plusieurs semaines, c’est presque impossible. C’est grave pour la santé, pour le moral et pour la poche (rires). Donc, il faut commencer maintenant à sortir, d’autant plus que c’est Ramadan et il y a une ambiance spéciale. Pour moi, les affaires vont bien pendant cette période. Donc, chaque jour, je suis là et mes clients viennent pratiquement tous les jours acheter du poisson. Et aucun d’entre nous n’a été contaminé !». Et d’ajouter : «Vous savez, ce n’est plus la peine de suivre chaque jour les informations, c’est ce qui stresse le plus. Il y a des gens qui tombent malades, d’autres qui guérissent et il y en a d’autres qui n’ont rien. Et ceux-là doivent vivre, ils ne peuvent pas rester enfermés !». Ce poissonnier, il faut le noter, porte son masque. Mais, en dessous du menton. «Parce que je dois parler avec les clients et parfois on ne s’entend pas !». Même s’il est conscient qu’il le porte mal, il pense être protégé. Et il n’hésite pas non plus à saluer de la main ses clients habituels. «On se connaît depuis des années, je sais qu’ils ne sont pas malades (rires)». Et d’ajouter : «Je suis quand même resté chez moi pendant près d’un mois, mais pour le Ramadan, je suis obligé de sortir. Et je respecte les horaires de travail, à partir de cinq heures, je ne suis plus au marché. Mais il faut dire que je finis bien avant, vers deux heures, après avoir acheté ce qu’il faut pour la famille. Et sur ma route, je fais un détour pour voir mes parents». Une visite qu’il leur rend chaque jour car ils sont âgés et malades, et sont donc des personnes à risques. Mais notre poissonnier est dans un déni total : «Il ne leur arrivera rien, incha Allah. Dieu les protège et nous protège tous». Et de conclure la discussion par une remise en cause totale de la situation, «et s’il n’y avait rien du tout et si Corona n’existait pas ?! On n’en sait rien, donc on porte le masque comme on peut, on se lave les mains et on continue à vivre normalement!».
Plus loin, une femme, vendeuse de salades, de citrons et de menthe, semble, quant à elle, plus consciente du risque du Coronavirus. Masque, gants médicaux et un flacon de gel hydro-alcoolique. «J’ai tout ce qu’il faut pour me protéger contre le virus. Donc, je peux sortir tous les jours pour vendre, faire mes courses, discuter avec mes clientes, mes voisines et aller voir ma famille en restant bien sûr sur le pas de la porte. Vous voyez, je prends toutes mes précautions», indique-t-elle en soulignant que le fait de rester à la maison est source d’ennuis et de problèmes familiaux… Et d’ajouter que «dans la rue, en cette période de confinement, les problèmes ne manquent pas non plus. Parfois, des personnes, en particulier des femmes, demandent aux vendeurs de mettre leurs masques, de ne pas trop s’approcher des clients, de se laver les mains avant de toucher les produits. Et parfois, nous avons des soucis avec les agents de police lorsqu’il y a un dépassement de l’horaire ou bien lorsque certains marchands n’ont pas leurs masques. Ceux qui contestent ont des problèmes et se font embarqués parfois».
Face à ce confinement, il est certain qu’au Maroc comme partout ailleurs à travers le monde, personne n’a d’expérience. Raison pour laquelle il faut s’adapter à la situation pour le bien de la communauté, et respecter donc les règles de confinement et de protection. Mais les messages et les capsules de sensibilisation diffusés, depuis l’apparition du premier cas de Coronavirus au Maroc, en mars dernier, sur les chaînes de télévisions et sur les ondes des radios nationales n’ont visiblement pas été perçus de la même façon par la population. Ce qui revient à dire, malheureusement, que le confinement est vécu différemment, en fonction du lieu de résidence. Ainsi, dans certains quartiers résidentiels, on notera que, à quelques exceptions, la discipline est de mise, alors que dans des quartiers populaires, le confinement, si respecté au début, est aujourd’hui plutôt pris à la légère. Et, depuis une semaine, le laisser-aller est notoire dans plusieurs quartiers de Casablanca. Alors que dans d’autres quartiers, on reste vigilant et bien confiné. Au marché du Maarif, nombre de commerçants disent ne pas avoir vu leurs clients habituels depuis le début du confinement. Avec un ton ironique, un légumier souligne : «Les clients sont bien cachés chez eux et ils ont même donné un congé à leurs chauffeurs et leurs femmes de ménage pour éviter les risques de contamination. Certaines clientes appellent au téléphone, passent leurs commandes que je prépare et elles viennent à la porte du marché et je mets tout dans le coffre de la voiture. Certaines me demandent de tout mettre dans des paniers qu’elles ont disposés dans le coffre… Elles ne veulent pas des sachets que nous utilisons. Pour le paiement, elles mettent l’argent dans une enveloppe placée dans la boîte à gants. Donc, je n’ai aucun contact physique avec elles». Pour s’adapter aux exigences de ses clients, un autre marchand de légumes de ce même marché a dû organiser un service de livraison à domicile. Et c’est son frère qui s’est improvisé livreur.
«Il arrive devant la maison, appelle la cliente et dépose les courses devant la porte ou bien dans l’ascenseur. A son tour, elle met l’argent dans l’ascenseur ou le laisse chez le gardien. Et les affaires marchent bien pour l’instant en attendant le 20 mai», indique le livreur de fruits et légumes. Il confie que depuis le début du ramadan, il assure également les livraisons pour un poissonnier du marché, parce qu’ils ont pratiquement les mêmes clientes. Mais il estime que «tout cela est entre les mains d’Allah. Si l’on doit tomber malade, eh bien on le sera, malgré toutes ces précautions. Mais il faut quand même rester à la maison jusqu’à ce que le gouvernement nous dise ce qu’il faut faire». Une recommandation qui semble malheureusement de plus en plus prise à la légère dans certains quartiers de la métropole.
