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Anouar Benazzouz : «Sur les 1 800 km d’autoroutes, 1 000 km ne sont pas rentables»
Trois grands projets d’autoroutes seront annoncés en 2020 pour un coût de plus de 11,5 milliards de DH. Le trafic autoroutier est en croissance de plus de 5% au 27 décembre n Plus de 807 000 badges Jawaz actifs en 2019 contre 400 000 en 2016 : la notion de temps devient de plus en plus importante pour les usagers. Les grosses réparations des autoroutes coûtent chaque année environ 500 MDH. Aujourd’hui la majorité des prestataires d’ADM sont des entités marocaines. ADM est en train d’étudier la pertinence des montages financiers à retenir pour les projets futurs avec le ministère de l’équipement et celui des finances.

Pourriez-vous nous donner un bref aperçu sur vos indicateurs d’activité en 2019 ?
Le trafic autoroutier est en croissance de plus de 5% au 27 décembre, bien au-delà de la croissance du PIB. L’évolution du trafic est généralement rapprochée à la croissance du PIB pour les poids lourds, parce qu’il s’agit de l’activité économique. Pour les véhicules, elle est comparée à l’évolution du PIB par habitant.
Sur le plan profitabilité, elle est en ligne avec 2018 et avec les orientations stratégiques du conseil d’administration de 2017. Ce qui confirme la pertinence de la restructuration financière en tant que décision stratégique de moyen terme.
Quels sont les faits marquants de l’année ?
Au titre de 2019, la vitesse des grosses réparations a été accélérée. Sachant qu’en raison des pluies de l’année dernière, ADM n’a pas pu réaliser son programme des opérations d’entretien en entier. Il faut savoir que sur les 1 800 km que compte le réseau autoroutier, la société doit entretenir 180 km par an pour assurer la pérennité des infrastructures. Ce qui est énorme sur le réseau que ADM finance à elle seule.
Par ailleurs, le deuxième grand fait marquant de 2019 réside dans le rythme de croissance du télépéage. Pour l’année qui a pris fin, nous sommes à 807 000 badges actifs contre 400 000 en 2016. Cela montre que la notion de temps devient de plus en plus importante pour les usagers des autoroutes. Nous avons aidé dans ce sens en rendant le pass Jawaz accessible à 50DH (qui comprend 40 DH de crédit).
Avec 180 km de grosses réparations chaque année, l’entretien de l’infrastructure semble représenter un volet très important de vos opérations. Combien cela coûte-t-il ?
Les grosses réparations coûtent chaque année environ 500 MDH. Nous avons la responsabilité que l’infrastructure soit pérenne. Pour cela, deux contraintes se posent. Il faut en premier financer ce coût grâce notamment à la dette et aux produits du péage. Et en deuxième lieu, développer un écosystème performant des entreprises marocaines capables de faire de l’entretien de qualité. C’est un nouveau métier complexe, étant donné qu’il fait appel à une grande expertise et agilité pour assurer la célérité dans les travaux d’entretien dans un espace très restreint. Objectif : ne pas gêner le trafic pendant de longues périodes. En 2019, nous avons réussi à développer un écosystème d’au moins 5 entreprises qui maîtrisent ce corps de métier. Cette année, nous avons réussi à faire la totalité du programme de grosses réparations planifiées avec un écosystème de plus en plus performant.
Est-ce que nos PME bénéficient des marchés relatifs à ces travaux ?
Oui, mais en tant que prestataires de ces entreprises citées. Pour avoir un ordre de grandeur, un petit chantier chez ADM revient à plus de 100 MDH. Le prestataire doit avoir une taille, des moyens et des équipements pour assurer ce type d’entretien. Généralement, les entreprises prestataires d’ADM sous-traitent une partie des activités au tissu des PME.
A ce titre, il faut savoir que les grosses réparations est un travail récurrent. Par conséquent, ADM doit stimuler l’écosystème pour créer de plus en plus d’entreprises qui ont un CA pour qu’elles investissent et forment les profils et espérer avoir une activité permanente. A la différence de la réalisation de l’autoroute, l’entretien a, lui, le mérite d’assurer un carnet de commande permanent pour l’écosystème.
Actionnez-vous les clauses du cadre de la préférence nationale ?
Lorsque ADM finance elle-même le chantier, nous faisons la préférence nationale. Par contre, les bailleurs de fonds l’interdisent quand ils sont partie prenante dans les ouvrages. Néanmoins, l’écosystème devient tellement performant, que même si ADM ne fait pas la préférence nationale, les marchés se trouvent entre les mains des entreprises marocaines. Aujourd’hui, la majorité de nos prestataires sont des entités marocaines. Ces dernières ont un avantage compétitif de taille : elles connaissent nos méthodes, notre système de travail et ont souvent un palmarès avec nous.
Quel est le modèle économique actuel d’ADM ? Donne-t-il des résultats ?
Le modèle qui a marché jusqu’ici consiste en un montage dans lequel l’Etat assure 25% de l’investissement et les 75% restants sont financés grâce à la dette. Une fois l’ouvrage construit, le péage permet de payer et le principal et la dette. Sauf que les autoroutes ne sont pas toutes rentables. A ce jour, sur les 1800 km de réseau, 800 sont à l’équilibre, tandis que 1000 km sont déficitaires et n’arrivent pas à payer leur dette. Nous faisons une péréquation pour l’Etat qui va nous aider à garantir l’aménagement du territoire. Avec la restructuration financière, nous avons réussi à trouver un business mdoel qui permet un niveau de service pour les usagers et à payer les charges de l’ensemble (intérêts et principal).
En quoi consiste-t-il ?
Nous avons fait un reprofilage de la dette pour l’étaler sur 30 ans. Par le passé, nous avions des maturités entre 10 et 15 ans maximum. De manière récurrente, nous faisons des levées obligataires dans ce sens. L’objectif est que les recettes futures paient le service de la dette et le capital. Aujourd’hui, sur le plan Compte de produits et de charges (CPC), la société affiche un résultat positif, mais elle est déficitaire sur le plan de la trésorerie. Nous nous endettons pour payer les intérêts et nous re-profilons la dette pour qu’il n’y ait plus de gap de trésorerie. Heureusement, nous bénéficions actuellement d’une fenêtre d’opportunité caractérisée par des taux d’intérêt bas sur les longues maturités. C’est le meilleur moment de faire cet exercice. Grâce à ce modèle, nous arrivons à viabiliser les 1800 km que nous avons en gestion. Le client devient au centre de la vision d’ADM. Ce modèle semble être le bon, d’autant plus que la société n’a pas vraiment d’autres choix.
Si ADM réussit à garantir la viabilité du réseau déjà en exploitation avec tant de contraintes et de gymnastique financière, comment elle pourra assurer l’extension du réseau autoroutier, sachant que le pays a de grands besoins sur ce plan ?
Nous ne pouvons pas dire qu’ADM est endettée, elle ne peut pas réaliser d’autres infrastructures. Mais la vision future et les projets d’extension relèvent des prérogatives des ministères de l’équipement et des transports et de celui de l’économie et des finances. Certes, ADM travaille en concert avec ces départements mais sous leur leadership. Pour moi, il existe toujours des solutions pour l’aménagement du territoire dans la mesure où les besoins sont là. Il doit y avoir des idées innovantes qui tranchent avec l’existant. Aujourd’hui, plusieurs scénarios sont en gestation. Une chose est sûre : pour tous ces projets, il faudra des ressources financières. Pour le reste, nous savons exactement ce qu’il faut faire. Plusieurs choix s’offrent pour assurer les fonds. Nous sommes en train d’étudier leur pertinence et ensuite s’engager de part et d’autre pour un contrat programme avec l’Etat.
Sur un autre registre, ADM sera présente dans ces nouveaux chantiers mais pas à travers le modèle actuel. Notre expertise sera mise à profit dans l’exploitation et la construction. C’est le cas par exemple de l’autoroute Marrakech-Béni-Mellal-Khénifra qui vient d’être annoncée par le ministre de l’équipement et des transports.
Quel est l’état d’avancement de l’autoroute Casa-Berrechid ?
Pour ce projet de triplement Casa-Berrechid, les deux phases préparatoires sont presque achevées. Elles ont coûté 400 MDH et ont été réalisées par des prestataires tous marocains. Nous avons veillé à commencer par des travaux qui ne gênent pas énormément le trafic et les usagers. Nous retardons la gêne occasionnée le plus possible. La deuxième phase, qui nécessitera plus de patience des usagers, va commencer à partir de janvier pour un coût de plus de 2 milliards de DH. Nous comptons lancer une campagne radio pour informer les usagers surtout concernant les déviations d’itinéraires.
De grands projets seront attendus pour cette année…
Effectivement. L’année 2020 verra l’annonce de la nouvelle autoroute en site propre de Tit-Mellil-Berrechid sur 30 km (de Tit-Mellil passant par Deroua vers Berrechid). Elle nécessitera plus de 2 milliards de DH. Un autre grand projet qui doit également être lancé cette année est l’autoroute Guercif-Nador West Med. C’est une voie de 105 km, à réaliser par ADM pour le compte du ministère de l’équipement. Elle va lier le port à l’autoroute pour un coût de 4,5 milliards de DH financé par l’Etat. Les études et autres tâches préalables au projet seront faites par ADM.
Enfin, l’autoroute Casablanca-Rabat continentale qui lie le contournement de Rabat au contournement de Casa sur 60 km sera également entamée cette année. Elle coûtera 5 milliards de DH. Nous sommes en train de finaliser les études la concernant.
Comment vous assurez-vous de la qualité des ouvrages, des livrables des prestataires et quel suivi en faites-vous ?
C’est autour de cet enjeu que nous insistons sur l’écosystème pour l’amener à un niveau acceptable de livrable. Dans nos CPS, nous sommes très regardants sur la qualité. Sur le terrain des laboratoires, nous faisons des contrôles et des suivis faits par nos équipes. ADM est appelée à stimuler le secteur privé et non pas à assurer tous les corps de métier. Nous nous fixons comme objectif de rehausser le niveau de l’écosystème de nos prestataires, des laboratoires, des bureaux d’études, etc. Dans ce sens, ADM porte un intérêt particulier au suivi des ouvrages. Dans ce sens, nous avons conclu un partenariat avec les Japonais pour la formation d’une vingtaine d’ingénieurs à la technologie Ninja. Ces derniers auront la responsabilité de suivre les ouvrages d’art de la société de manière permanente. En effet, le Japonais a une loi qui oblige le concessionnaire autoroutier à contrôler à l’œil nu tous les ouvrages d’une certaine altitude (et non pas avec des drônes ou autres dispositifs). Ce process doit être plus soutenu au fur et à mesure que les ouvrages d’art vieillissent. Il y va de notre responsabilité de rendre l’infrastructure pérenne. Lorsque ADM avait 25 ans, la société des autoroutes japonaise avait 50 ans et parlait d’une durée de vie de 100 ans pour ses ouvrages. Dans leur esprit, il est possible d’entretenir au-delà de cet âge.
