Pouvoirs
Ces hauts cadres qui ont décidé de rejoindre les partis
RNI, Istiqlal, USFP, PJD et PPS drainent
de plus en plus de cadres, hauts fonctionnaires et même chefs d’entreprises.
Des têtes d’affiche : Moncef Belkhayat, Saïd Sekkat, Amine Nejjar, Amyn Alamy, Ahmed Chami… et d’autres noms connus.
A chaque parti sa recette. L’impact du milieu associatif est également à prendre en compte.

Ils s’appellent Moncef Belkhayat, Saïd Sekkat, ou encore Amine Nejjar. Le premier est directeur du pôle commercial chez Meditelecom, le deuxième secrétaire général de la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI) et le troisième directeur général adjoint du CIH. Tous les trois ont intégré, depuis peu, le Parti de l’Istiqlal. D’autres acteurs économiques connus se sont découvert une sensibilité plus à gauche.
Ahmed Chami, ex-patron de Microsoft Afrique du Nord, et Amyn Alami, patron de Casablanca Finance Group, sont ainsi devenus membres de l’USFP, de même que Seloua Belkeziz Karkri, présidente d’honneur de l’Association des femmes chefs d’entreprises (Afem), dont le père et le frère étaient connus pour leur activisme politique, mais qui aura attendu de quitter son poste à la tête de l’association pour militer ouvertement pour le parti de la rose qu’elle a intégré il y a deux ans.
Si, en cette année électorale, les partis politiques, comme le montrent leurs programmes, font la cour aux cadres supérieurs et chefs d’entreprises, ces derniers ne sont apparemment pas insensibles à leurs avances. Depuis quelques mois, ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre leurs rangs, et les plus grosses formations ont beau avoir la cote, elles n’ont pas le monopole des têtes d’affiche : voici plus d’un an que Salaheddine Mouadib (Amendis) a rejoint les rangs du PPS.
De son côté, et depuis cinq mois, le Parti travailliste compte dans ses rangs Hammad Kessal, vice-président à la CGEM, qui a largement influencé son programme économique. Fatouma Benabdenbi, militante féministe connue et fondatrice d’Espace point de départ (Espod), a, pour sa part, opté pour le Parti de l’environnement d’Ahmed El Alami, qu’elle a rejoint il y a quatre mois. Elle y est aujourd’hui membre du bureau politique.
On reste discret sur sa nouvelle vocation
«C’est le début du traitement de la désaffection politique», ironise Nabil Benabdallah, membre du bureau politique du PPS et ministre de la communication. Toutefois, il est encore difficile de déterminer l’ampleur exacte de ce phénomène qui n’en est encore qu’à ses balbutiements : même si l’époque où l’appartenance à un parti était mal vue semble un peu dépassée, seule une minorité parmi ces cadres de haut niveau acceptent de voir leur couleur politique révélée au grand public. Craignent-ils de se voir accusés d’opportunisme, comme le soulignent certains ? En tout cas, même dans les partis on préfère rester discret, manière de jouer la surprise.
Une chose est sûre, le phénomène semble se développer : souvent basés à Casablanca, mais aussi dans le reste du pays, ces militants d’un genre nouveau se distinguent par des profils diversifiés qui viennent concurrencer les avocats et universitaires, profils beaucoup plus courants parmi les hauts cadres politiques marocains. Les entrepreneurs, les hauts fonctionnaires ou les médecins sont en effet nombreux à se lancer dans l’aventure partisane. «L’on trouve de tout, de grands patrons, de hauts cadres dans les grandes sociétés ou les multinationales à Casablanca, et des techniciens», indique Omar Abbadi, responsable communication à l’USFP, qui souligne que les nouveaux membres du parti de la rose comprennent, entre autres, des personnes travaillant dans le domaine des technologies de l’information ou de l’audiovisuel.
Au RNI, si le parti a enregistré l’arrivée, parmi ses membres, de doyens d’universités, de professeurs de l’enseignement supérieur, d’ingénieurs, de médecins et de pharmaciens, notamment dans des villes comme Kénitra, El Jadida ou Casablanca, le parti bleu, conformément à sa tradition, continue surtout d’attirer les hommes d’affaires. «Ce sont des hommes d’affaires qui attirent leurs pairs», résume Haj Ahmed Kraffes, ancien responsable administratif au RNI. Dans d’autres cas, ce sont les cadres qui approchent les partis, à titre individuel, et s’inscrivent ou se positionnent en tant que sympathisants une fois qu’ils se sont renseignés sur les positions des partis dans un certain nombre de domaines.
PJD : des militants par affinité conservatrice ?
Le PJD, lui aussi, est concerné par cette tendance. «Il y a lieu, à mon avis, d’établir une distinction entre deux types de cadres : ceux qui sont issus de la mouvance islamique, et le citoyen marocain aux affinités particulières qui rejoint le parti car il est à la recherche d’une formation qui reflète un minimum de valeurs partagées», indique Abadila Mae Al Ayanayne, membre de la commission des programmes du PJD.
Selon ce dernier, la deuxième catégorie, majoritaire, comprend des individus relevant, entre autres, des professions libérales, du secteur public, voire des hautes sphères de l’administration marocaine. Au parti islamiste, plus qu’ailleurs, la discrétion est de règle, certains sympathisants se refusant à prendre un engagement formel en s’inscrivant au parti, d’autres étant même gênés par l’usage de caméras lors des rencontres du parti…
Malgré toutes ces difficultés, l’impact positif de l’intégration de ces cadres dans les formations politiques n’est plus à prouver. Ainsi, si les partis bénéficient au niveau de leurs programmes d’avis informés, «les élites arrivent à transmettre des idées qu’il était difficile de faire passer auparavant», explique Fathia Bennis, vice-présidente de l’association 2007 Daba. Elle souligne qu’ainsi les professionnels parviennent à sensibiliser les formations politiques aux problèmes de leurs secteurs respectifs, voire à leur souffler des solutions.
L’arrivée de ces hauts cadres dans les partis politiques se voit attribuer des raisons diverses. Indirectement liée à l’évolution globale du pays et à l’ouverture politique, le phénomène aurait également été accéléré par la loi sur les partis politiques, avec la mise en place de quotas en faveur des femmes et des jeunes. La société civile semble par ailleurs avoir joué un rôle, dont l’impact reste à déterminer. Ainsi, 2007 Daba, qui s’est donné pour objectif d’amener 700 hauts cadres et 7 000 cadres moyens à intégrer des partis politiques, a procédé, entre autres, à l’organisation d’une série de rencontres en comités restreints.
Réunissant à chaque fois une quarantaine de cadres dans des domiciles privés, ces réunions auront permis de débattre sur la politique au Maroc, de prendre contact avec les formations politiques ou écouter les témoignages de pairs nouvellement inscrits dans les partis. «Nous nous sommes rendu compte que les élites rejetaient les partis politiques car ils ne les connaissaient pas, tout simplement», explique Fathia Bennis.
A son avis, «tout le monde critique la politique, mais pour changer les choses, il faut être dedans». L’intervention de l’association, qui se présente comme non partisane, a toutefois ses limites. «Ce que nous refusons de faire, c’est de conseiller vers quel parti aller», ajoute-t-elle. Ils seraient quand même une centaine de hauts cadres à avoir opté pour une couleur politique à la suite de telles rencontres.
Journées portes ouvertes, présentation de programmes, une occasion de recruter
Il faut dire que, de leur côté, les partis politiques ne sont pas restés inactifs. Ainsi, si les membres du PJD ont le «devoir», à titre individuel, de drainer de nouveaux adhérents, le RNI cueille aujourd’hui les fruits de la transparence de son congrès, qui a suscité des vocations, notamment chez les jeunes cadres, alors que l’Istiqlal, via ses séminaires sur la présentation de son programme électoral, a savamment orchestré son opération de séduction, misant sur le trio Douiri, Hejira, Ghellab, autant de profils auxquels les hauts cadres se sont identifiés, selon le politologue Mohamed El Ayadi.
Côté USFP, l’organisation de l’opération d’ouverture a permis au parti d’éliminer les barrières à l’inscription établies durant les années de plomb, permettant l’adhésion de 50 000 nouveaux membres aux profils très divers, dont une bonne partie âgés de 30 à 45 ans. L’on notera, parmi les nouveaux militants de moins de trente ans, nombre d’étudiants marocains à l’étranger, soit autant de cadres potentiels. Enfin, le PPS a opté pour une politique d’ouverture au niveau de ses structures elles-mêmes, en intégrant des dizaines de nouveaux militants dans son comité central.
Des cadres à la barre dès 2009 ?
Encouragés par la loi, hélés par les partis, influencés par les images de la mobilisation des élites françaises à l’occasion des élections présidentielles de juin dernier, il n’est pas étonnant de voir de nouvelles vocations éclore chez les cadres. Quel accueil leur réserve-t-on une fois qu’ils ont effectivement intégré les partis ? Dans certains cas, ces cadres, que l’on peut considérer comme bien placés pour jouer un rôle important dans les formations politiques, peuvent se retrouver face à des militants au bagage certes moins impressionnant mais qui, au fil des années, ont eu le temps de tisser des réseaux assez importants pour leur permettre de maintenir leurs situations…
Face à cette situation, certains cadres soulignent le fait qu’ils sont moins intéressés par la perspective de gravir quelques échelons supplémentaires au niveau de leurs carrières professionnelles, que par celle de se mobiliser pour la bonne cause. «Je suis haut cadre, et je n’aspire pas à avoir une fonction quelle qu’elle soit dans le public», indique Moncef Belkhayat. «Aujourd’hui, je travaille pour mon entreprise, et en même temps, je travaille pour mon pays», ajoute-t-il. Il souligne, toutefois, la nécessité pour les cadres désireux de s’investir dans la politique de faire preuve de modestie face aux militants plus anciens. «Il faut comprendre, insiste-t-il, que ce sont des gens qui ont milité pendant des années.»
Quoi qu’il en soit, ces cadres seront amenés tôt ou tard à intégrer le circuit des élections peut-être même dès les prochaines communales, indique Fihr Fassi, président de la section Istiqlal de Sidi Belyout. En attendant, si la tendance venait à se confirmer, l’effet pourrait bien se faire sentir à l’occasion des législatives de 2012, voire dès 2009 pour les prochaines élections communales.
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Au-delà de la période électorale, particulièrement propice aux inscriptions de nouveaux militants, plusieurs partis se sont lancés dans des opérations de long terme, destinées à garantir la présence de spécialistes dans des domaines divers: les associations professionnelles partisanes. Particulièrement utiles dans la mesure où elles permettent aux partis de constituer des réseaux de relations, elles ont pour avantage de rassembler les professionnels dans un certain nombre de domaines, sans que ces derniers soient pour autant obligés de devenir des militants. Les professionnels ne sont pas les seuls visés par ce genre de structure et les étudiants, qu’ils se trouvent au Maroc ou à l’étranger, sont également concernés par des cellules spécifiques. Objectif ? s’assurer à l’avance la sympathie de ces cadres en devenir… |
