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Pouvoirs

Charte communale, la réforme un an après ?

Sa mise en application a révélé des insuffisances et lacunes au niveau du texte.
Un comité d’experts planche sur l’efficacité de certaines dispositions.
En l’absence de textes précis, les présidents de communes se livrent à des lectures personnelles et parfois contradictoires.

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Se dirige-t-on vers une refonte de la charte communale, entrée en vigueur il y a tout juste un peu plus d’un an ? Beaucoup d’indices abondent dans ce sens quoique, du côté du ministère de l’Intérieur, Najat Zerrouk, directrice des Affaires juridiques auprès de la direction générale des Collectivités locales (DGCL), démente catégoriquement le principe de cette réforme. «Il est absurde de vouloir changer une charte qui n’est appliquée que depuis un peu plus d’une année. Nous la complétons par des circulaires ainsi que par d’autres lois qui verront bientôt le jour. Si problème il y a, il n’est pas à chercher dans la charte mais plutôt dans ceux qui l’appliquent.» Si le démenti de Mme Zerrouk est clair, elle reconnaît cependant pas qu’un comité d’experts planche actuellement, en réponse à une demande de la DGCL, sur l’effectivité et l’efficacité de certaines dispositions de la charte. C’est donc qu’il y a des dispositions qui posent problème !
Les problèmes, ce n’est pas ce qui manque. Selon Amal Mecherfi, professeur à la faculté de droit de Salé et spécialiste du droit des collectivités locales, «dès leur entrée en vigueur, il s’est avéré que des dispositions de la charte communale avaient besoin d’être revues. Pour certaines d’entre elles, les problèmes sont d’ordre structurel et ils nécessitent une réponse claire et urgente.» Mais pourquoi y a-t-il urgence alors que cela fait à peine une année que la charte est réellement pratiquée ?

Région, assemblée préfectorale, commune, arrondissement, qui fait quoi ?
Les signes avant-coureurs des dysfonctionnements sont apparus au lendemain de la constitution des nouveaux conseils communaux, notamment dans les villes dépassant 500 000 habitants, dont six fonctionnent sous le nouveau régime des arrondissements. A Rabat, par exemple, Fawzi Chaâbi, président de l’arrondissement du Souissi a mis neuf mois avant de pouvoir disposer de locaux et de fonctionnaires pour mener à bien sa mission. Omar Bahraoui, président du conseil communal de Rabat, a refusé de céder le lieu de la commune de Youssoufia (où doit siéger également l’arrondissement du Souissi) malgré les injonctions du wali. «Il signait même à ma place», se plaint Fawzi Chaâbi.
Un problème d’une autre nature s’est posé cette fois-ci à Fès. Une guerre de tranchées a opposé pendant plusieurs mois le wali de la région à Hamid Chabat, président du conseil communal de Fès. «Il est anormal qu’on soit soumis à une double tutelle. On est contrôlé avant par le wali et après par la Cour des comptes. C’est une véritable aberration», s’insurge M. Chabat.
Mais les conflits de compétences entre la commune et les arrondissements ne sont que la partie visible de l’iceberg. En effet, les attributions des communes de plus de 500 000 habitants et de moins de 500 000 habitants sont les mêmes : propres, transférées et consultatives. Le même type de fractionnement et de catégorisation est adopté par la loi 79-00 sur les préfectures et les provinces, et la loi 47-96 sur la région. Le même squelette et la même architecture. Le problème qui se pose est celui de savoir qui fait quoi, puisque les collectivités locales des trois niveaux (régions, assemblées préfectorales et provinciales, communes) interviennent dans les mêmes domaines, sans savoir où commencent et où s’arrêtent les compétences des unes et des autres.

Les élus ont dû se débrouiller avec les moyens du bord
Il y a également enchevêtrement dans les compétences entre les collectivités locales et l’Etat. Ahmed Bouachik, professeur à la faculté de droit de Rabat et directeur de la REMALD (Revue des études marocaines en administration locale et développement), résume : «Ce chevauchement de compétences ne va pas dans le sens du renforcement des attributions des communes, notamment urbaines et rurales. Il ne va pas non plus dans le sens d’une bonne répartition des tâches entre l’Etat et les collectivités locales, entre la région et les communes urbaines et rurales, entre la région et les provinces et préfectures».
Au ministère de l’Intérieur, on reconnaît volontiers que plusieurs problèmes ont accompagné la mise en place de l’unicité de la ville et qui sont dus, semble-t-il, à la nouveauté du statut. Argument que certains observateurs n’hésitent pas à rejeter, parlant d’ambiguïté du texte. Selon Amal Mecherfi, devant l’imprécision du texte, les élus ont procédé différemment. Ainsi, certains présidents ont donné de larges attributions aux arrondissements. Hamid Chabat est parmi ceux-ci. «Dans le cadre de la politique de proximité, nous avons accordé aux arrondissements les compétences en relation directe avec les problèmes des citoyens», précise-t-il. D’autres ont choisi la solution intermédiaire. Ils ont conféré les attributions aux arrondissements, sans toutefois leur accorder les moyens. Omar Jazouli, président du conseil communal de Marrakech, a choisi quant à lui une autre voie. «Nous nous sommes réunis entre présidents d’arrondissements et nous avons interprété les textes à notre façon pour essayer de combler les lacunes. Ensuite, nous avons signé un protocole d’accord et nous l’avons soumis au wali, en attendant que le ministère règle le problème. Ceci a permis à la machine de démarrer et de bien marcher», explique-t-il. Il est vrai que les élus sont comptables devant les citoyens de la bonne marche de leur commune. Ces derniers se soucient peu des batailles juridiques et des approximations du législateur.

Certains problèmes ne peuvent être réglés par de simples circulaires
A rappeler que ce n’est que le 18 octobre 2004, soit un an après l’entrée en vigueur de la charte communale, que le ministère de l’Intérieur a émis deux circulaires pour essayer de régler ces problèmes. La circulaire 133 a réglementé la gestion du personnel communal, les délégations et les autorisations d’exercer certaines professions. Alors que la circulaire 135 régit l’ordonnancement de l’enveloppe budgétaire qui est mise à la disposition de l’arrondissement.
Mais, selon certains juristes, le problème est trop profond pour être réglé par de simples circulaires. La difficulté, selon M. Bouachik, ne se pose pas qu’à ce niveau-là : «Il faut absolument que l’environnement juridique de la charte communale soit harmonisé. C’est-à-dire qu’il faut se doter de mesures d’accompagnement pour faciliter l’application du texte en modifiant des textes qui datent de l’ancienne charte de 1976, comme la fiscalité locale, l’état civil, l’urbanisme, la police administrative (exercée dans un chaos juridique) et d’autres encore».
En effet, le ministre de l’Intérieur avait promis aux parlementaires, lors de la présentation de la charte communale, une batterie de lois visant à faciliter l’application de la charte. Ainsi, le projet sur la fiscalité des collectivités locales devrait être mis sous peu dans le circuit législatif. Par contre, les élus attendent toujours la refonte du texte sur les biens communaux. Le nouveau texte qui devrait remplacer celui qui date du Protectorat aura pour but d’introduire les évolutions récentes sur la domanialité publique, notamment la vente et l’acquisition du patrimoine immobilier des communes. Un autre texte se fait également attendre. Il concerne la fonction publique locale. Aujourd’hui, c’est le statut opposable aux fonctionnaires de l’Etat qui s’applique au personnel des collectivités locales avec, toutefois, des dispositions particulières régies par le décret de 1977. La loi sur la gestion déléguée (gérance et concession) est, elle aussi, toujours dans les cartons du ministère de l’Intérieur.
Après une année de pratique, aussi bien les élus, les juristes que le ministère de l’Intérieur se rendent compte que certaines dispositions de la charte doivent être revues dans le sens d’une plus grande précision et d’une harmonisation. Alors, réforme ou pas ? En tout cas, il y a des choses à changer, tout texte juridique ne valant que par sa clarté.

Omar Jazouli, maire de Marrakech : «Nous nous sommes réunis et avons interprété les textes pour essayer de combler les lacunes. Ensuite, nous avons signé un protocole d’accord que nous avons soumis au wali en attendant que le ministère règle le problème.»

Les élus attendent toujours la refonte du texte sur les biens communaux. Il devra remplacer celui qui date du Protectorat.

Pour que la charte communale fonctionne, son environnement juridique doit être harmonisé, notamment en matière de fiscalité, d’état civil, d’urbanisme,…