SUIVEZ-NOUS

Pouvoirs

Les coulisses d’un remaniement

Driss Jettou a bouclé son opération en une semaine.
Taïeb Ghafès, Najima Tay Tay et Najib Zerouali considérés comme des erreurs de casting.
Khalid Alioua et M’hamed El Khalifa victimes de leur manque d’humilité.
La pêche, l’environnement et l’artisanat sacrifiés sur l’autel des contraintes partisanes.

Publié le


Mis à jour le

rub 5342

Driss Jettou a enfin relifté son équipe, 19 mois après son arrivée à la tête du gouvernement. Mardi 8 juin, en milieu de journée, le Souverain nommait, sur proposition du Premier ministre, cinq nouveaux ministres. Dans la foulée, quatre autres ont vu leur portefeuille soit changer soit s’élargir, tandis que neuf titulaires au sein du gouvernement Jettou I étaient remerciés. Le gouvernement Jettou II compte ainsi 34 membres. Certes, quatre de moins qu’auparavant mais la cure d’amaigrissement tant attendue n’a pas été au rendez-vous.
34 membres, cela reste beaucoup. Difficile, du moins à l’heure actuelle, de faire mieux. En effet, les contraintes politiques d’une équipe au sein de laquelle cohabitent pas moins de six partis imposaient, d’une part, de garder un équilibre raisonnable entre les technocrates et les partisans, et, d’autre part, de ne pas bousculer la répartition des sièges entre formations politiques. Déjà, en mars dernier, Jettou avait approché les chefs de partis pour tenter de ramener son équipe à 31 membres. Devant les difficultés posées par les uns et les autres, il avait remis son projet à plus tard. Par la suite, la reconfiguration – toujours à l’ordre du jour – avait été subordonnée à l’éventualité, pour le Maroc, de remporter l’organisation de la Coupe du monde 2010. Le rêve brisé, il n’y avait plus de raison d’attendre, surtout que le gouvernement Jettou I était une machine à deux vitesses, au sein de laquelle des titulaires de départements jugés stratégiques (par rapport au programme du Premier ministre) n’arrivaient pas à suivre le rythme.
Visiblement, Jettou avait son idée derrière la tête puisqu’il ne lui a pas fallu plus d’une semaine pour boucler son opération. Entre le 28 mai et le 4 juin, les concertations sont allées de pair avec le travail au sein du cabinet. Cette fois-ci, le Premier ministre a quelque peu forcé la main aux partis en venant avec une liste toute faite de partants et une autre, plus large, de remplaçants potentiels. Restait à trouver l’équilibre politique grâce au jeu de regroupement de départements. Un puzzle complexe qui a accaparé tout le week-end et une partie du lundi. C’est ce qui explique que nouveaux ministres et permutants n’ont été informés que le 7 juin à 23 heures qu’ils devaient se rendre le lendemain, mardi, à Marrakech, pour l’audience royale, alors que, d’habitude, ils sont informés trois ou quatre jours auparavant.

Les Télécoms et les Droits de l’homme : mission terminée

Si le plus grand perdant, en valeur relative, du remaniement du 8 juin est le RNI, il n’en demeure pas moins que le changement répondait d’abord à deux soucis : poursuivre le recentrage par pôles entamé avec le premier gouvernement et améliorer l’efficacité de certains départements en remplaçant leurs titulaires. Driss Jettou en a profité au passage pour se défaire de deux ministères qui n’avaient plus de raison d’être. Le premier est celui des télécoms, secteur pratiquement libéralisé et qui, provisoirement, restera sous la tutelle d’une direction au sein du département du Commerce et de l’Industrie. D’ailleurs, il n’est pas exclu que cette direction disparaisse à terme, l’existence d’un régulateur (ANRT) étant largement suffisante pour pourvoir le secteur en normes et en arbitrage. Le second département passé par pertes et profits est celui des Droits de l’homme. Un ministère qui a rempli sa mission, mais qui, surtout, se retrouve aujourd’hui sans chantiers, surtout que le pays dispose déjà d’un Conseil consultatif en la matière et que l’Instance Equité et Réconciliation est chargée de solder le compte des années de plomb.
En analysant la logique des regroupements effectués, on trouve de tout. Tantôt c’est le souci du respect de l’équilibre politique qui a prévalu, tantôt c’est la recherche de synergies. Dans certains cas ce sont les deux à la fois.
Ainsi en est-il du super ministère regroupant à la fois l’Education nationale (primaire et secondaire), l’Enseignement supérieur, la Recherche scientifique et l’Alphabétisation. Si les tenants d’un département unique regroupant tous les stades de l’enseignement avancent la raison d’une vision plus cohérente, les partisans de la séparation ne manquent pas d’arguer qu’une bonne coordination suffit et que l’enseignement supérieur étant l’ultime étape avant l’arrivée sur le marché du travail, il doit avoir une stratégie à part. Un argument renforcé par le fait que le Maroc a lancé, il y a peu, la réforme de l’Université. En fait, les deux systèmes se valent et de par le monde, il n’est pas prouvé que l’un ou l’autre soit plus efficace. Tout est question d’hommes. Or, au sein du tandem Khalid Alioua-Habib Malki, la coordination n’existait tout simplement pas. Le premier a donc été sacrifié. A Alioua, on reprochait notamment son attitude hautaine et son arrogance envers ses collègues et, plus grave, envers le corps enseignant qu’il était censé fédérer pour réussir sa réforme. Son manque d’action lui a également été fatal. Des filières à fabriquer des chômeurs ont été maintenues tandis que d’autres, porteuses, n’ont pas été créées. Bref, il manquait de vision et, de surcroît, catalogué comme appartenant au clan Youssoufi, son départ arrangeait l’USFP. Exit donc Alioua.

Des regroupements incohérents pour faire plaisir aux partis

La sortie de Alioua aura provoqué des dommages collatéraux. Omar El Fassi, ministre délégué en charge de la Recherche scientifique devenait orphelin de tutelle. Lui aussi, juge-t-on, n’a pas été à la hauteur de la tâche en n’ayant pas su établir des passerelles entre entreprises et université. Et si ST Microélectronics et Matra ont créé des centres de recherche au Maroc, ce n’est pas à son initiative. Enfin, comme il fallait se délester d’un ministre PPS, l’occasion était toute trouvée. C’est ainsi que Nabil Benabdellah a pu sauver sa peau.
Enfin, il faut noter qu’au sein de l’enseignement, le remplacement de la RNIste, Najima Ghozali Tay Tay, en charge de l’Alphabétisation, par un autre titulaire est le seul changement qui n’a pas été motivé par des calculs partisans. Anis Birou, son remplaçant, est lui aussi RNIste. Si Mme Tay Tay a fait les frais du remaniement, c’est tout simplement parce que sa nomination a été une erreur de casting. Choisie à l’origine en raison de son profil d’animatrice associative, elle s’est révélée être en deçà des espérances. Constamment assistée par l’équipe Jettou, jugée trop brouillon, elle n’a finalement pas su se prendre en charge. Cela sans compter sa manie, en conseil de gouvernement, de vouloir donner son avis sur tout, ce qui avait le don d’irriter le Premier ministre.
Autre erreur de casting, Tayeb Ghafès, le ministre des Pêches. Cet ancien banquier, que l’on dit pétri de qualités, a eu la malchance de tomber sur un secteur auquel il n’a pas su s’adapter, où il fallait de l’entregent pour fédérer les acteurs d’une branche de l’économie en pleine recomposition.Il s’est montré extrêmement rigide voire borné, même vis-à-vis du Premier ministre. Abderrazak El Mossadeq, appelé en renfort pour superviser le dossier de la pêche, en mars dernier, a fini par jeter l’éponge. Ghafès n’en faisait qu’à sa tête. Et si on porte à son crédit la décision d’avoir prolongé, en dépit des pressions, l’arrêt de la pêche au poulpe afin de préserver la ressource, il y a aussi lieu de noter à sa charge l’absence d’un schéma-directeur clair pour appliquer une stratégie déjà tracée.
Le départ de Ghafès aura bénéficié au Mouvement populaire. Mohand Laenser, qui avait en charge l’Agriculture et le Développement rural, récupère ainsi la Pêche. Dans le schéma initial de Driss Jettou, c’est l’Union Démocratique (UD) qui devait inaugurer son entrée au gouvernement en héritant du portefeuille de Ghafès. Sauf que le parti a été incapable de fournir des ministrables à la hauteur (voir page 51) et, comme la coalition de la mouvance populaire tenait à avoir un poste supplémentaire, le regroupement s’est imposé, une manière d’éviter l’inflation.
L’Agriculture et la Pêche dans un même moule ? Une cohabitation dictée par des considérations politiques, et qui n’est pas forcément la meilleure des solutions. Certes, on pourra toujours arguer que le point commun entre les deux secteurs est l’agroalimentaire, mais la comparaison s’arrête là. On compte également sur les capacités d’homme de compromis de Laenser pour réussir là ou Ghafès a échoué. Mais le patron du Mouvement populaire a-t-il la volonté de s’impliquer ? On ne peut déjà pas dire que l’impact de son action, à l’Agriculture, soit palpable…
Dans le lot des regroupements incohérents, le tandem Pêche-Agriculture n’est pas la seule exception du gouvernement Jettou II. Adil Douiri, ministre du Tourisme, hérite des activités de l’Artisanat et de l’Economie sociale, au détriment de son collègue et camarade de parti, l’Istiqlalien M’hamed El Khalifa. Ce dernier, estime-t-on, n’a pas pu s’insérer dans la dynamique préconisée par Jettou. Avec peu d’actions à son crédit, jouant les trouble-fête lors des réunions du gouvernement et, surtout, adoptant une attitude de baron, refusant de se plier à la discipline de groupe, il aura eu plus de succès lors de son passage au département de la Fonction publique, quand il était ministre au sein du gouvernement Youssoufi II.
Exit El Khalifa. La logique d’équilibre politique, là encore, prévaudra et c’est Adil Douiri qui devient super-ministre. Quelle logique entre le Tourisme et l’Artisanat ? On pourrait, en cherchant bien, se dire que ce sont justement les touristes qui consomment les produits hand made fabriqués par nos artisans et qu’il faudrait une synergie entre les stratégies. Sauf que… le département de l’Artisanat et Economie sociale au Maroc regroupe également tous les petits métiers (2 millions d’actifs) à l’instar de celui d’épicier ou de coiffeur. Pour peu que l’on pense à proposer dans les packages touristiques des coupes de cheveux, forcément moins chères qu’en Europe, le tour est joué. Bref, un regroupement qui, loin d’être idéal, obéit a des considérations partisanes pures.

Petits calculs et grandes manoeuvres

En revanche, d’autres regroupements sont plus réussis. Ainsi en est-il de celui du Commerce et de l’Industrie avec la Mise à niveau. Une suite logique qui nécessitait toutefois de trouver, dans l’optique de Driss Jettou, un industriel, proche du milieu des affaires, doté d’une expérience réussie dans la mise à niveau et ayant assez de charisme pour vendre le Maroc aux investisseurs étrangers. Un cahier des charges assez fourni qui réduisait la liste des possibilités à un seul homme en fait : Salaheddine Mezzouar, le patron des textiliens, qui avait su transformer le secteur en deux années seulement. Ex-candidat aux élections professionnelles à Settat, sous la bannière RNI, Mezzouar, qui peut être assimilé à un partisan «dormant», a remplacé Rachid Talbi Alami qui, n’ayant pas démérité, s’est retrouvé à la tête du ministère des Affaires économiques et générales. Pourquoi Abderrezak El Mossadeq a-t-il fait les frais du remaniement ? Proche de Jettou, il était pourtant celui dont le départ semblait le moins probable. Selon des sources bien informées, le Premier ministre a d’ailleurs tout fait pour le garder. Jusqu’au vendredi 4 juin, il était encore sur sa liste. On ne sait pas pourquoi exactement il n’a pas été maintenu à son poste. Seule certitude, au sein du gouvernement, il ne faisait pas l’unanimité et, lui ausi était jugé arrogant. Abderrezak El Mossadeq reviendra probablement, dit-on, à la tête de l’administration des Douanes…
Autre configuration réussie, celle d’un portefeuille regroupant le Développement social et la Solidarité. La raison sous-jacente se situe dans la recherche d’une plus grande efficacité dans la politique de proximité, élément-clé du programme de Jettou. Auparavant rattachée au département de l’Emploi, l’Action sociale, malgré quelques actions qui relèvent plus de l’initiative du cabinet de Jettou, était une activité marginale pour Mustapha Mansouri. S’ajoute à cela le fait que d’autres acteurs occupaient le terrain. L’Agence de développement social, l’Entraide nationale, le ministère de l’Intérieur… Pour faire face à l’éparpillement des efforts, il fallait un chef d’orchestre. Le Premier ministre le trouvera en la personne de Abderrahim Harrouchi, ancien ministre de la Santé et, surtout, acteur associatif engagé dans les actions de civisme et de développement. Pourquoi lui ? L’explication est à rechercher dans la polémique sur le rôle qu’a joué l’Etat suite au séisme qui a frappé Al Hoceima le 24 février dernier. En dépit d’efforts colossaux, le gouvernement Jettou a été accusé de n’avoir pas réagi à temps, ni de manière organisée. Et ce sont surtout les ONG qui se sont vu tresser des lauriers. En optant pour Harrouchi, le Premier ministre pense avoir fait un choix intelligent. L’homme a une expérience ministérielle, connaît bien le terrain du social et ses rouages et, plus important, a une image médiatique que l’Etat entend récupérer à son profit. Jettou avait besoin de l’image de Harrouchi.
Enfin, autre homme choisi pour son profil, Mohamed Bouassaïd, ex-directeur des Entreprises publiques et de la Privatisation. Doté d’une formation solide (voir page 54), ce dernier, qui a fait ses premières armes dans le privé avant d’être récupéré par la machine étatique, a eu le mérite d’avoir appliqué avec succès ses méthodes à l’administration. Il héritera donc du lourd dossier de la modernisation du secteur public, dans lequel Najib Zerouali s’est empêtré. Il fallait un homme qui connaisse bien l’administration mais qui ne la subisse pas. Le choix (trois personnes figuraient sur la liste de Jettou) s’est donc porté sur Boussaïd.
Que retenir, en fin de compte, du remaniement ministériel ? Le Premier ministre avait besoin de booster trois secteurs qu’il juge stratégiques et qui étaient à la traîne : l’industrie, le social et la réforme de l’administration. Il a trouvé les hommes qu’il lui fallait. Le reste s’est fait selon des choix plus ou moins heureux, en fonction des contraintes politiques. Certains secteurs comme la pêche et l’artisanat ont été relégués au second plan. Ils ne sont pas les seuls, l’environnement n’est pas jugé non plus prioritaire. Et, puisqu’on avait deux responsables (un ministre et un ministre délégué) qui, de toute manière, ne s’en occupaient pas vraiment, on a estimé logique d’en garder un seul qui peut, tout aussi bien, ne pas s’en occuper convenablement. Manière de réduire les frais…

Jettou, cette fois-ci, a quelque peu forcé la main aux chefs de partis en proposant une liste toute faite de partants et une autre de remplaçants potentiels.

Pourquoi Harrouchi ? Echaudé par les critiques sur sa gestion du dossier Al Hoceima, l’Etat entend récupérer à son profit l’image d’un associatif qui sait vendre ses idées.

Pour réformer l’Administration, il fallait un homme qui la connaisse bien mais ne la subisse pas. Mohamed Boussaïd, qui a fait ses premières armes dans le privé, cadrait avec le profil recherché. Il a été coloré RNI …