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Santé : pourquoi les Marocaines optent pour la césarienne
La césarienne s’impose dans des cas comme un retard de croissance du fœtus, un accouchement par siège ou encore lorsque le poids du bébé est supérieur à 4,5 kg, une hypertension artérielle… Nombre de femmes optent pour l’accouchement médicalisé pour satisfaire leurs caprices ou pour une vie sexuelle épanouie. Une bonne affaire pour les cliniques privées.

Les gynécologues et la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) doivent continuer à travailler dans le cadre des conventions nationales existantes. Le ministère de la santé a ainsi tranché pour mettre fin au bras de fer engagé, depuis une semaine, entre les gynécologues obstétriciens et la CNOPS. La décision du ministère de la santé met certes fin au différend entre les praticiens et la CNOPS mais ne clôt pas le débat sur la pratique de la césarienne au Maroc, eu égard à son coût. Selon les données de la CNOPS, les dépenses relatives à cet acte versées par la caisse sont passées de 13 MDH en 2006 à 130 MDH en 2017. Et le Maroc est largement au-dessus de la moyenne mondiale (voir encadrés). Partant de là, une interrogation s’impose : les Marocaines préfèrent-elles la césarienne à l’accouchement par voie basse ? Est-ce une tendance mode ou bien une intervention médicalement justifiée ?
Selon Saad Agoumi, gynécologue et membre du Collège syndical national des médecins spécialistes du privé, «la césarienne est une indication médicale que le médecin prescrit à sa patiente dans un double objectif, à savoir éviter à la mère des problèmes de santé et éviter à l’enfant un handicap lourd devant être géré toute sa vie et pris en charge sur une longue durée par une caisse d’assurance maladie».
Médicalement, la césarienne s’impose, indique Amine Bititi, gynécologue, obstétricien à Casablanca, dans plusieurs cas parmi lesquels un bassin étroit, un retard de croissance du fœtus, un accouchement par siège ou encore lorsque le poids du bébé est supérieur à 4,5 kg, une hypertension artérielle de la maman et parfois lorsque la maman le désire.
«Personnellement, pour ce dernier cas, je fais, en collaboration avec la sage-femme, un travail de sensibilisation pour convaincre la mère d’accoucher par voie basse et plusieurs ont changé d’avis. Et je peux même vous dire que certaines mamans qui avaient déjà subi une césarienne ont par la suite accouché normalement. L’an dernier sur les 900 accouchements effectués, j’en ai fait 35 avec utérus cicatriciels», dit le Dr. Bititi.
La facture est d’environ 10000 DH contre 3 500 DH par voie basse
Ce qui revient à dire, comme cela est recommandé par l’OMS, que la césarienne ne doit être prescrite qu’en cas de besoin médical.
Mais, sur le terrain, on constate un excès de prescription. S’agit-il alors d’une opération juteuse pour les cliniques ou d’une tendance mode des Marocaines ? Selon une sage-femme du CHU Ibn Rochd de Casablanca, travaillant également à mi-temps dans une clinique privée, «l’accouchement par voie basse a baissé de manière significative en milieu urbain, au cours des vingt dernières années. Les cliniques privées sont plus touchées par ce phénomène que les hôpitaux. Les cliniques optent en effet de plus en plus pour la césarienne pour des considérations financières et pour des questions de gestion de leur activité, notamment libérer rapidement les chambres et pouvoir faire un grand nombre d’accouchements, puisque la durée de séjour ne dépasse pas 4 jours alors qu’en Europe par exemple elle est de huit jours et même plus s’il y a des complications». Il s’agit donc d’un véritable modèle économique, tenant compte à la fois des contraintes de gestion des structures et des recettes financières.
Aujourd’hui, sur le marché, un accouchement par voie basse coûte en moyenne 3500 DH et nécessite une hospitalisation n’excédant pas les 24 heures, alors que la césarienne est facturée trois fois plus cher, soit une moyenne de 10000 DH et une hospitalisation d’une durée de quatre jours. Ce qui est, de l’avis de cette sage-femme, «beaucoup plus rentable pour les cliniques lorsque les patientes nanties prennent une suite et qu’elles ont un accompagnant. Par ailleurs, il faut noter qu’il y a aussi les honoraires, 500 DH, du pédiatre qui passe chaque jour pour voir le bébé alors que parfois ce n’est même pas nécessaire». Saad Agoumi apporte une autre explication. «La césarienne, avant d’avoir un prix qui est facturé par la clinique, a un coût et aujourd’hui tous les organismes sociaux refusent de le calculer. Le coût, il faut le dire, est dépendant de la qualité de l’opération», dit-il.
Un accouchement est toujours risqué
Et certaines femmes aujourd’hui n’hésitent pas à payer le prix pour une césarienne dite de convenance ou encore de confort. Ainsi, la sage-femme du CHU Ibn Rochd, explique qu’une fois «une patiente de la clinique a programmé son accouchement pour que le bébé ait la même date d’anniversaire que son papa !». Une autre, poursuit-elle, «a choisi d’accoucher le samedi pour faire coïncider le baptême le samedi suivant !».
D’autres optent pour la césarienne pour des considérations «hautement intimes». Ainsi, une gynécologue de Casablanca, qui requiert l’anonymat, témoigne avoir demandé, pour elle-même, une césarienne pour préserver sa vie sexuelle. «Je veux éviter les risques d’altération de mes organes génitaux présentés par un accouchement par voie basse afin de ne pas altérer mes rapports sexuels et d’avoir une vie intime épanouie…», plaide-t-elle. Beaucoup de femmes, en effet, craignent une distension du vagin suite à un accouchement normal car cela peut gêner leurs relations sexuelles. Selon cette gynécologue, l’accouchement normal peut entraîner une descente des organes génitaux. Et elle citera une étude menée en Suède en 2012 qui révèle d’autres répercussions de l’accouchement normal. Ainsi, 40% des femmes qui ont accouché par voie basse ont souffert plus tard d’incontinence urinaire, contre seulement 29 % des femmes qui ont subi une césarienne. L’incontinence est due aux dommages causés au niveau des muscles du pelvis, des nerfs et des ligaments à la sortie du bébé. Il y a certes de multiples risques liés à l’accouchement par voie basse, et le plus grave est évidemment celui de mourir. De fait, un accouchement est toujours risqué. Avec une césarienne on peut également craindre un décès par complication chirurgicale, des problèmes infectieux, des risques liés à la cicatrice utérine, le placenta accreta. Il faut, recommande Amine Bititi, «informer les femmes car la césarienne doit être médicalement indiquée et il faut les sensibiliser même lorsqu’elles sont décidées à opter pour une césarienne de convenance. Si elle n’est pas médicalement indiquée, celle-ci se décide au cas par cas et sur la base de bons arguments…».
Au-delà du confort sexuel recherché par certaines patientes, de plus en plus de Marocaines évitent l’accouchement par voie basse et exigent la césarienne pour s’assurer le confort de programmer l’accouchement évitant les douleurs inutiles ainsi que les naissances surprises présentant plusieurs imprévus. Mais la césarienne leur évitera de prendre en charge une grosse partie des dépenses. Souvent, les assureurs remboursent un accouchement médicalisé et s’abstiennent d’en faire autant pour l’accouchement normal. Ainsi, par exemple sur une facture totale de 11000 DH, la patiente ne paiera que 3000 DH. Alors que pour un accouchement par voie basse facturé à 6 000 DH, le remboursement sera de l’ordre de 2 500 DH.
Si l’on parle du confort de la maman, il faut aussi évoquer le confort du corps médical qui la recommande pour des considérations de planification de sa journée de travail. Pour un obstétricien, il est beaucoup plus simple de planifier une césarienne : cela prend trente minutes, alors qu’un accouchement normal peut durer des heures…
Une pratique moins tolérée chez les classes populaires
Toutes ces considérations et ces calculs ne sont pas de mise lorsque l’on parle à des femmes du milieu populaire. En effet, selon la sage-femme «plus on descend dans l’échelle sociale, moins une césarienne est acceptée». Et de poursuivre: «Mes années d’expérience au CHU permettent de constater que dans les milieux populaires, une vraie femme met au monde son enfant dans la douleur. Il faut souffrir pour bien ressentir l’instinct maternel et elles pensent que la douleur consolide la relation mère-enfant» .
Accoucher sans douleur ou avec césarienne n’est même pas envisagé chez ces femmes, en dépit des inconvénients d’une épisiotomie. Mina, jeune maman, rencontrée au CHU, dit n’avoir pas pensé à la césarienne car «c’est dangereux et on peut mourir de l’anesthésie ou d’une hémorragie». Mina a pensé aux risques de la césarienne, elle dit, un peu gênée, n’avoir jamais pensé aux conséquences sur sa vie intime. «J’ai déjà accouché deux fois et c’est mon troisième enfant et j’ai des rapports normaux avec mon mari. On fait juste attention avant le retour des couches mais sinon on est satisfait de ce côté-là !».
Dans le milieu rural, l’attachement à la tradition et l’éloignement des infrastructures sanitaires aidant, la césarienne est très peu pratiquée. Les femmes dans le rural sont quasiment toutes pour un accouchement par voie basse et de préférence à la maison pour plus d’intimité.
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[tab title= »Conflit Cnops/cliniques : l’Anam instaure le statu quo » id= » »]Le gestionnaire de l’AMO du secteur public a décidé de «conditionner le paiement de toute césarienne à la production d’un rapport médical justifiant médicalement le recours à cette pratique». Une décision prise sur la base du constat fait par la caisse révélant «le taux anormalement élevé du recours à la césarienne». Ce taux était, selon les indications de la CNOPS, de 35% en 2006, puis il a bondi à 43% en 2009 juste après le relèvement du tarif national de référence de 6 000 à 8 000 DH. La caisse indique également que le secteur privé représente 90% du nombre d’accouchements et 66% des naissances se font par césarienne contre 25% dans le secteur public. La réaction des gynécologues ne s’est pas fait attendre: dans un communiqué, ils annoncent qu’à partir du 1er mai, ils n’accepteraient plus les prises en charge délivrées par la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS). De ce fait, les gynécologues du privé appellent les patientes à payer désormais les frais de soins et se faire rembourser par la suite par la CNOPS. Il est à préciser que le refus de la prise en charge ne concerne pas seulement les accouchements par césarienne mais aussi tous les actes médicaux et soins prodigués aux assurées de la CNOPS.
Les syndicats des médecins ne se sont pas arrêté à la publication du communiqué mais ont saisi, par écrit, toutes les parties impliquées, notamment le chef du gouvernement, le ministre de la santé et le directeur général de l’Agence nationale de l’assurance maladie et le Conseil national de l’ordre des médecins. Une opération de lobbying qui a été payante puisqu’ils ont eu gain de cause. Suite à une réunion tenue mercredi 24 avril, les pouvoirs publics ont rappelé à l’ordre la CNOPS. Celle-ci a, selon le ministère da la santé, outrepassé ses prérogatives en prenant de façon unilatérale sa décision sans se référer au régulateur de l’AMO. Suite à l’arbitrage du ministère de la santé, les patientes assurées de la CNOPS peuvent souffler, étant donné que les médecins sont revenus sur la décision de refus des prises en charge délivrées par la caisse.[/tab]
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[tab title= »Au Maroc, au moins cinq accouchements sur dix se font par césarienne » id= » »]L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui recommande un taux de 15% de la césarienne, a dénoncé le niveau atteint au Maroc par rapport au taux de l’ensemble des actes chirurgicaux. Le Maroc, selon l’OMS, explose le plafond avec plus de 50%. À l’instar du Brésil – champion du monde des césariennes avec un taux de plus de 80% -, le Royaume connaîtrait une forte médicalisation de l’accouchement. Ainsi, sur dix accouchements, six se font par césarienne. Par ailleurs, selon un rapport publié en 2018 par l’organisation onusienne, le taux du Maroc dépasse la moyenne enregistrée dans certains pays comme la Turquie, la France, le Japon, l’Allemagne, l’Espagne (27%). Il est aussi plus élevé qu’en Égypte (55,5 %), Argentine (43,1 %) ou Colombie (36,9 %).[/tab]
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