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Idées

Les faux pas du textile

La proximité géographique sur laquelle on mise n’offre
pas d’avantages en matière de coût du transport et, de toutes
les façons, ce coût ne représente pas grand-chose dans le prix de revient d’un produit fini…

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On le savait. On savait que l’avenir de nos milliers d’entreprises du textile et de leurs salariés se jouait en 2005. Hier, c’est l’amont – le tissage et la filature – qui a été sacrifié par absence de vision. Aujourd’hui, c’est l’aval de la filière – la confection et la bonneterie – qui est menacé. Hier comme aujourd’hui, l’industrie marocaine du textile est confrontée à la capacité des pouvoirs publics et des acteurs privés d’anticiper les mutations liées à la mondialisation, sachant que la spécialisation des différents segments de la filière devrait s’accentuer sous l’effet de la concurrence internationale. C’était à nous de proposer une vision du futur pour la première industrie en termes d’effectifs. Ceci signifie que les entreprises et l’Etat devaient s’efforcer de s’adapter au nouvel environnement. La réaction a été lente, trop lente.
Déjà, au début de la décennie écoulée, on avait sous-estimé la capacité des pays de l’Est à devenir un véritable pôle textile. L’intégration de la zone dans les circuits industriels européens du secteur a été rapide. Actuellement, la sous-traitance représente plus de 50% des capacités de production en République tchèque, 58 % en Hongrie, et jusqu’à 90-95% en Croatie. Au lieu de sous-traiter, les donneurs d’ordre préfèrent parfois l’implantation directe. C’est ce qu’ont fait par exemple Archimode et Levi-Strauss en Pologne, Pierre Cardin et Steilmann en Roumanie, ou encore Chantelle et Lafuma en Hongrie. Face à cette percée, on brandissait un faux argument : le positionnement de ces pays est plutôt orienté vers le moyen-haut de gamme, le bas de gamme restant l’apanage des pays du Sud.
On savait aussi qu’au niveau mondial, la libéralisation du secteur pourrait mettre en cause le processus de développement de nos exportations. C’est en 1995 que l’accord de l’OMC sur le textile et les vêtements a fixé la levée des restrictions quantitatives aux échanges, à l’horizon 2005. Depuis, des études prospectives annonçaient une forte progression de la Chine dans le secteur. L’adhésion de la Chine à l’OMC allait profondément remodeler la carte des échanges mondiaux. Les gains d’économies d’échelle assurés par un vaste marché intérieur et l’abondance d’une main-d’oeuvre bon marché donnent à ce pays-continent un avantage décisif sur les produits bas et moyen de gamme. Les exportations chinoises compteraient actuellement pour plus de 47% du total mondial (contre moins de 20% en 1995).
Face à cette déferlante, on avançait un autre faux argument : la proximité géographique restera le principal atout du Maroc car elle permet de répondre en moins d’une semaine aux commandes de réassort des circuits de distribution. Mais la proximité est une notion relative. Si la distance améliore la compétitivité hors-prix car elle permet une réponse rapide, elle n’offre pas d’avantage en coût (l’acheminement par bateau depuis Shanghai peut être moins onéreux que le transport depuis Casablanca). Le coût du transport représente entre 1 % et 3% du prix de revient du produit fini. Les articles de moyen de gamme «supportent» le surcoût du transport aérien, aussi le circuit court peut s’organiser à grande distance. L’intensification de la concurrence chinoise ne pouvait donc que peser sur le textile national, doté d’une structure de spécialisation similaire.
On savait enfin qu’à la différence des pays asiatiques, qui ont redéployé leur main-d’oeuvre du textile vers l’électronique, mais aussi des pays de l’Est vers certains secteurs industriels comme l’automobile, le Maroc ne dispose pas d’autres secteurs industriels dynamiques pour absorber les emplois du textile. Comme on ne pouvait délocaliser des sites productifs en Chine, à l’instar des pays développés d’Asie du Nord-Est, il nous appartenait de privilégier des niches et l’émergence de filières, que l’investissement direct étranger pourrait le cas échéant favoriser. Il fallait disposer d’une stratégie pour mettre en œuvre ces choix. Elle a mis du temps pour se mettre en perspective. On était trop occupé à négocier une baisse des coûts des facteurs : les cotisations salariales, le coût del’énergie, la fiscalité et j’en passe… Quand le Maroc s’éveillera-t-il à l’essentiel : anticiper, être proactif plutôt que réactif ?