Carrière
Les jeunes doivent démystifier l’acte d’entreprendre
Le système éducatif est un des principaux blocages, les jeunes ne sont pas assez sensibilisés à la création d’entreprise.
Le dispositif d’accompagnement des porteurs de projets existe, mais il
est encore peu performant.
Les jeunes doivent savoir
qu’on ne réussit pas forcément du premier coup et qu’il
faut apprendre à capitaliser sur les échecs.

Zakaria Fahim Past-président du Centre des jeunes dirigeants (CJD)
L’idée de projet peut être bonne, mais, correspond-elle au profil de son porteur ? Il ne suffit pas d’être bon technicien ou bon connaisseur du secteur pour prétendre devenir chef d’entreprise.
Absence de passerelles entre le monde de l’éducation et celui de l’entreprise, manque d’accompagnement, soucis financiers… Un jeune a aujourd’hui du mal à se mettre dans l’habit d’un créateur d’entreprises.
Pour Zakaria Fahim, past- président du Centre des jeunes dirigeants (CJD), ils ne doivent pas s’isoler, s’ils décident de se lancer dans l’aventure. Aujourd’hui, rappelle-t-il, il existe un panel d’institutions ou de structures qui peuvent apporter un appui technique mais aussi psychologique, leur donner, en quelque sorte, une assurance dans leur projet.
La Vie éco : Quelle perception ont les jeunes de l’entrepreneuriat ?
Zakaria Fahim : L’entrepreneuriat est très mal appréhendé chez les jeunes par désinformation ou manque d’information. Pour beaucoup, c’est encore une affaire d’élite, de gros sous, de réseaux… et d’aventures périlleuses. Aujourd’hui, je pense qu’il faut changer cette mauvaise image, démystifier l’acte d’entreprendre. L’entrepreneuriat se conjugue avec la jeunesse. Dans les pays développés, on encourage les jeunes à devenir des gazelles et plus tard des éléphants. Ici, on en est encore au stade de la souris.
Je pense qu’aujourd’hui, il existe une réelle volonté politique d’encouragement à la création d’entreprise grâce notamment aux mesures d’accompagnement mises en place. Mais ce n’est pas suffisant. L’enseignement ne suit pas. Il existe un réel décalage entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise. Du coup, les jeunes pensent tout de suite au salariat.
Est-ce par crainte ?
Ils expriment une certaine crainte parce qu’ils ne sont pas préparés. Comme je viens de le souligner, il n y a pas de passerelles entre les jeunes et le monde de l’entreprise. Il faut savoir montrer la voie à ces jeunes. Quand vous leur racontez les parcours brillants de dirigeants issus de milieux modestes, ils restent ébahis et comprennent que tout est possible. Il faut leur vendre du rêve. Aujourd’hui, on ne sensibilise pas assez les jeunes dans les lycées, les écoles et les universités sur l’importance de l’entrepreneuriat.
Autre facteur de la frilosité : la crainte de l’échec. Des études scientifiques aux Etats-Unis ont montré que les personnes qui réussissent ont connu au moins trois échecs dans leur parcours. On ne réussit pas forcément du premier coup, mais on apprend à capitaliser sur les échecs et à mieux rebondir.
Avec du recul, je pense que si cette frilosité existe, c’est par manque d’accompagnement. Malgré toutes les mesures prises, on n’a pas encore trouvé la bonne formule pour faire émerger une pépinière d’entrepreneurs. Souvent, les projets tombent à l’eau parce que leurs porteurs n’ont pas été bien conseillés. Néanmoins, les bons exemples ne manquent pas. Aujourd’hui, dans le cadre du CJD, nous sommes en train de finaliser une convention avec d’anciens cadres de grandes structures qui ont accepté de nous aider dans l’accompagnement de jeunes promoteurs.
C’est pourquoi la promotion de l’entrepreneuriat passe par un bon développement «du réseau des réseaux». Il faut que les anciens soient au service des jeunes et que ces derniers aient l’humilité d’apprendre des anciens.
Je considère qu’aujourd’hui un jeune créateur doit bénéficier d’informations et de conseils clairs sur les étapes et les voies qui s’ouvrent à lui. C’est l’une des missions du CJD mais aussi des organismes d’accompagnement pour faciliter la tâche à une large population. Il faut aussi enseigner aux jeunes créateurs l’art d’entreprendre. C’est un métier qui s’apprend tous les jours.
Hormis le financement, quelles sont les difficultés rencontrées par les jeunes ?
Ils ne savent pas encore vendre leurs projets même s’ils sont bons. Ce qui veut dire qu’ils ne sont pas bien accompagnés en amont dans leur démarche. C’est aussi par manque de confiance. Un porteur de projet doit avoir le courage d’aller frapper à toutes les portes et ne pas hésiter à chercher l’information là où elle se trouve. Il lui faut aussi apprendre à s’adapter et à se remettre en cause. Beaucoup croient dur comme fer à leur projet et ne sont pas prêts à regarder d’autres champs d’intervention.
Autre difficulté : l’adéquation homme/projet. L’idée de projet peut être bonne, mais correspond-elle au profil de son porteur ? Il ne suffit pas d’être bon technicien ou bon connaisseur d’un secteur d’activité pour prétendre être chef d’entreprise. Il ne faut pas croire qu’une même idée de projet peut marcher pour tout le monde.
Les promoteurs négligent malheureusement trop souvent cette étape pour se concentrer uniquement sur la faisabilité économique, commerciale et juridique du projet. C’est une erreur ! La maturation d’une idée doit impérativement tenir compte d’éléments plus personnels. Pour réussir un projet, il faut savoir le formaliser et présenter les arguments.
Les jeunes ne doivent pas s’isoler dans leur aventure. Aujourd’hui, il existe un panel d’institutions ou de structures qui peuvent leur apporter un appui technique mais aussi psychologique. En tant que force de réflexion, le CJD est là pour aider ces jeunes à se poser les bonnes questions et à résoudre eux-mêmes leur problématique. On leur recommande aussi de ne pas choisir des métiers parce qu’ils croient qu’ils y gagneront beaucoup d’argent mais des métiers en adéquation avec leur personnalité. C’est important !
Que faire pour le financement ?
C’est la grande problématique. Aujourd’hui, les lignes spécialisées pour les PME restent insuffisantes. Au CJD, nous militons pour une démultiplication de ces lignes pour une large population. Même si certaines banques ont compris l’intérêt de soutenir les petits porteurs, beaucoup d’entre elles ne jouent pas le jeu.
Il existe aussi les business angels et capital-risqueurs qui ne sont accessibles qu’à certains projets, généralement innovants. Il ne faut pas non plus oublier les incubateurs qui peuvent être des partenaires importants.
Vous avez évoqué de nombreux problèmes. Au niveau de votre association, qu’avez-vous fait de concret pour y remédier?
Une des fiertés du CJD est d’avoir mis en place le guide du jeune entrepreneur. C’était une réponse aux différentes attentes des jeunes qui ignoraient les étapes de création. Aujourd’hui, plus de 15 000 exemplaires ont été distribués au niveau des universités et des chambres de commerce et d’industrie. Nous sommes aussi en train d’établir une convention avec le ministère de l’intérieur pour que ce document soit également disponible auprès des Centres régionaux d’investissement (CRI) et l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences (Anapec). Nous avons également mis en place l’examen du permis de conduire du jeune créateur. C’est un outil didactique et ludique qui sert à tester les connaissances du jeune créateur sur les étapes de création. Il est disponible auprès de nos partenaires, notamment auprès des centres «Moukawalati», universités et chambres de commerce. Nous essayons de le généraliser auprès d’autres partenaires. L’idée de cet examen est de faciliter l’acte entrepreunarial mais aussi de permettre aux jeunes qui ont réussi le test d’avoir des services à des prix bonifiés auprès de nos partenaires (entreprises privées et publiques).
Par ailleurs, l’école de l’entrepreneur est le socle de nos actions. Parce qu’elle va nous permettre de nous rapprocher du monde de l’éducation. Si nous travaillons en tandem avec des enseignants chercheurs, nous pouvons vraiment mettre en place des modules adaptés à la problématique locale, avec une vision d’entrepreneur.
