Affaires
Chambres de commerce : le grand ménage est entamé
Mise sur les rails en mars 2018 après plusieurs années de gestation, la réforme des Chambres de commerce, d’industrie et des services (CCIS) a effectivement été entamée début 2019. Sur un budget de 452 MDH, plus des deux tiers seront alloués au financement de projets d’intérêts économiques pour renflouer les caisses des 12 Chambres du Royaume. Représentants de commerçants et patrons de TPE et PME estiment que sans dépolitisation des Chambres, la réforme n’aura pas l’impact escompté.

Longtemps attendue, la réforme des Chambres de commerce, d’industrie et de services (CCIS) sort enfin des tiroirs. Déclinée en plans de développement – dont les conventions ont été paraphées en mars 2018 – pour un budget de 452 MDH, cette réforme a effectivement démarré avec le lancement des appels d’offres d’assistance technique. En effet, la Fédération des CCIS et les douze Chambres du Royaume vont, d’ici quelques semaines, désigner des prestataires pour les accompagner dans leur chantier de transformation. Un chantier qui a été mis en branle par une convention cadre, signée par le gouvernement et la Fédération des CCIS, en avril 2014, en présence du Souverain.
«Les appels d’offres d’assistance ont été lancés, début 2019, à l’issue d’une série de réunions entre présidents et directeurs des CCIS et responsables du ministère du commerce et de l’industrie et celui des finances, pour cerner et cadrer la feuille de route établie en mars 2018», précise d’emblée Omar El Moro, président de la Fédération des CCIS, sous les couleurs du RNI.
Des doutes sur un changement de fond
Instauration d’un modèle de nouvelle gouvernance, implémentation de prestations orientées clients et génératrices de revenus (veille, guichets), mise en place d’une organisation efficace et d’outils de management, repositionnement de la fédération… Pas moins d’une douzaine de missions seront remplies par les prestataires externes, selon les dossiers d’appels d’offres, dont LaVie éco a pris connaissance. En fait, celles-ci sont en phase avec les recommandations d’une étude réalisée en 2015 par le cabinet Mazars Maroc.
Toujours selon Omar El Moro, cette première étape sera conclue incessamment pour que les travaux de diagnostic et d’accompagnement démarrent en mars prochain.
Qu’en est-il de la répartition de l’enveloppe allouée au grand chantier de réforme des CCIS ? A cette question qui se pose avec acuité, notre interlocuteur fait savoir que 130 MDH serviront à réviser la gouvernance et l’organisation des Chambres, et à mettre en place de nouvelles prestations. Le reste est dédié au financement de projets d’intérêt économique présentés par chaque Chambre. Il s’agit, entre autres, de parcs industriels locatifs, de parcs d’expositions, de zones d’activités et de business centers.
Pour sa part, le gouvernement s’était engagé à la révision des listes électorales et à l’amélioration de l’environnement juridique et réglementaire des institutions consulaires avec, notamment, la révision du statut des CCIS, de leur code électoral et du statut du personnel. Des engagements décisifs pour la simple raison qu’observateurs et professionnels s’accordent à dire que la politisation des Chambres consulaires est à l’origine de tous les maux. Contactés à plusieurs reprises par La Vie éco pour s’enquérir de leur mise en œuvre, la direction de la communication relevant du ministère du commerce et de l’industrie n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Il faut dire que les dysfonctionnements et les tares qui empêchent l’émergence de Chambres consulaires performantes et autonomes à même de contribuer au développement économique sont connues. L’étude de Mazars Maroc s’y est longuement attardée (voir encadré). Politisation accrue des Chambres devenues un simple tremplin des notables pour atterrir à la Chambre des conseillers, personnel au profil non adapté, prérogatives dispersées entre le patronat et les collectivités, élections entachées d’irrégularités (listes électorales inondées par des commerçants inactifs et soupçons de fraudes)… sont autant de griefs qui reviennent dans les propos des dirigeants d’organisations professionnelles sondés par La Vie éco.
La recette de Moulay Hafid El Alami pourra-t-elle changer la donne ? C’est ce que souhaitent nos interlocuteurs, tout en restant sur leurs gardes. A l’unisson, ils appellent à la dépolitisation des Chambres consulaires, la source de tous les maux qu’ils énumèrent (voir avis d’organisations professionnelles).
De son coté, le chef de file des présidents des CCIS estime que tous les ingrédients sont réunis pour un changement profond. «L’engagement ferme du ministère du commerce et des présidents, le contenu et l’enveloppe des plans de développement, sans oublier la mobilisation des équipes, font que nous sommes très confiants», énumère-t-il.
Affaire à suivre.
[tabs][tab title = »Avis d’expert, Abdellah El Fergui Président de la Fédération marocaine des TPE-PME »]
«Nous avons été surpris par le manque flagrant de transparence dans l’organisation des élections»
Premièrement, nous tenons à préciser que nous n’avons pas été associés, malheureusement, ni au chantier de réforme des CCIS ni aux autres grands projets. D’ailleurs, nous l’avons souligné dans nos récentes réunions avec le département de tutelle, la DGI et la douane, au sujet du dossier de la facturation électronique. Pour revenir aux CCIS, il est clair qu’elles ne jouent pas leur rôle. Ces Chambres ont des locaux, paient leur personnel, disposent d’un budget, sans que nous voyions de résultat sur le terrain. Récemment, une Chambre de commerce étrangère voulait s’associer à une Chambre locale sur l’axe Casablanca-Rabat pour l’’implantation d’une antenne marocaine dans leur pays, mais ils n’ont pas trouvé d’interlocuteur. C’est un exemple parlant de l’inaction et la déconnexion de ces entités, censées contribuer au développement économique. A Casablanca, 80% des membres sont des commerçants dont certains sans activités. Pour que les TPE et PME y accèdent, il faut s’encarter au sein de partis politiques. Nos membres ont essayé de se présenter sans étiquette, en vain. Nous avons été surpris par le manque flagrant de transparence dans l’organisation des élections. Nos candidats n’ont même pas eu les voix correspondant à leur vote personnel et celui de leurs sympathisants. Il est urgent de dépolitiser les CCIS pour que la réforme en cours réussisse.[/tab][/tabs]
[tabs][tab title = »Avis d’expert, Mohammed Amghar Membre du bureau du Syndicat national des commerçants et des professionnels (SNCP) »]
«Nos Chambres sont à la traîne sur plusieurs plans»
La réduction du nombre des Chambres de 28 à 12 est une injustice à l’égard de ressortissants dans plusieurs provinces. Ce premier pas de réforme qui voulait accompagner la régionalisation n’a fait qu’affaiblir l’attractivité des CCIS, puisque beaucoup de ressortissants n’ont ni le temps ni les moyens de faire plusieurs dizaines, voire des centaines de kilomètres, pour se rendre à la Chambre de leur région. Dans les pays avancés, ceux-ci gèrent des ports et des aéroports, assurent l’arbitrage, valident des contrats et l’indication géographique des produits, produisent des données (cartographies, études, expertises..). Mieux, ils négocient les accords commerciaux et les Lois des finances. Au Maroc, une partie des prérogatives, connues mondialement pour être du ressort des Chambres de commerce, relèvent de la CGEM et des communes. Cet état de fait complique la collecte d’informations et des données économiques par les Chambres. Autre problème: l’incapacité des ressources humaines des Chambres à assurer les missions qui leur sont assignées. Plusieurs générations de fonctionnaires au profil inadapté ont été recrutées massivement. En gros, nos Chambres sont à la traîne sur plusieurs plans, y compris par rapport à nos voisins arabes, comme la Tunisie ou les pays du Golfe. La réforme en cours n’aura pas d’impact si les Chambres ne sont pas dépolitisées et le cadre légal revu pour élargir leurs prérogatives.[/tab][/tabs]
[tabs][tab title = »Le diagnostic et les recommandations de Mazars »]Comme nous l’annoncions en 2015, la toile de fond de l’étude menée par Mazars était l’amélioration des recettes financières des CCIS, en partant du postulat que le mal vient essentiellement du manque de moyens financiers. En effet, celles-ci se limitent encore aujourd’hui à 10% perçus sur l’impôt sur les sociétés et les cotisations des membres. Pour renflouer les caisses des Chambres, Mazar a concocté un catalogue de services à déployer en fonction des attentes des acteurs économiques de chaque région (écoles, formation professionnelle, accompagnement sur le plan commercial et marketing…). Élément poignant du diagnostic : l’absence des PME et des grandes entreprises. Exemple : sur les 3 000 membres de la CCIS Casablanca-Settat, seulement 20% sont des entreprises. Autre tare et non des moindres : des ressources humaines sous-qualifiées ou au profil inadapté.[/tab][/tabs]
