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Emploi : Entre relance et équilibre par le marché, où placer le curseur ?

Le taux de chômage a franchi en 2017, pour la première fois depuis onze ans, la barre symbolique des 10%. C’était l’année où le niveau des créations d’emplois fut le plus élevé depuis cinq ans. La remontée du chômage a coïncidé avec le rétablissement des équilibres macroéconomiques.

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Evolution du Taux d’emploi (HCP)

Cela a tout l’air d’un paradoxe : en 2017, le niveau des créations nettes d’emplois fut le plus élevé des cinq dernières années, et, dans le même temps, le taux de chômage franchit cette année-là, pour la première fois depuis onze ans, la barre symbolique des 10% !

Cette évolution, contrastée certes, n’a de paradoxal, cependant, que l’apparence. Au fond, l’explication est simple: le volume d’emplois créés, soit 86 000, est inférieur à la population active additionnelle qui était de 135 000. Résultat : 49 000 actifs sont venus gonfler la population en chômage qui s’accroît ainsi de 4,2%, alors que le nombre d’emplois, lui, n’a augmenté que de 0,8%.

En d’autres termes, l’économie, ces huit dernières années notamment, n’a pas créé suffisamment d’emplois pour se rapprocher du niveau de progression de la population active. Celle-ci a augmenté chaque année de l’ordre de 115000 actifs, en moyenne, entre 2000 et 2016, alors qu’en parallèle, la dynamique de l’emploi est assez heurtée, s’apparentant dans son évolution…au relief des montagnes russes. On a pu voir, par exemple, qu’en 2012 seulement 1000 emplois nets ont été créés, puis 21 000 en 2014, puis une perte nette de 37 000 en 2017…Moyennant quoi, et si on a bien calculé, le nombre d’emplois nets créés entre 2010 et 2017 est limité à une moyenne de 42 000 par an, un niveau extraordinairement faible en comparaison avec les 156 000 postes nets créés chaque année entre 2000 et 2010.

Au regard de cette faiblesse des créations d’emplois, le taux de chômage aurait pu être beaucoup plus élevé n’était la baisse continue du taux de participation, des femmes et des jeunes en particulier. De 53,1% en 2000, le taux d’activité national a en effet reculé à 46,7% en 2017, alors même que, transition démographique oblige, la population en âge de travailler (15 à 59 ans) a considérablement augmenté, représentant aujourd’hui près de 63% de la population totale du Maroc.

Déséquilibre structurel entre l’offre et la demande

Une fois le constat établi, la question qui turlupine les analystes d’ici et d’ailleurs est celle de savoir comment réduire le taux de chômage pour le ramener sinon à un niveau dit de plein emploi (autour de 4%), du moins à des proportions qui ne s’en éloignent pas trop. Et d’abord, y a-t-il des recettes pour y parvenir ? A l’évidence, il n’existe pas de recettes miracle pour lutter contre le chômage, il existe seulement des visions, des doctrines dont la mise en œuvre se traduit, suivant les cas, par des résultats plus ou moins favorables.

La première de ces doctrines est celle dite “libérale”. Les partisans de celle-ci considèrent, en gros, que l’emploi, c’est d’abord et avant tout une affaire d’équilibre entre la demande de travail (des entreprises) et l’offre de travail (des demandeurs d’emploi). De ce point de vue, l’emploi est un bien comme un autre qui s’échange sur le marché du travail, moyennant un prix, le salaire en l’occurrence. Et quand le chômage advient, on dira alors qu’il y a déséquilibre entre l’offre et la demande. Ce déséquilibre peut s’exprimer, par exemple, par l’inadéquation des qualifications des offreurs de travail aux besoins des entreprises, ou encore par la rigidité des législations et réglementations sociales (comme la difficulté à licencier, par exemple). Ce type de déséquilibre est généralement de long terme, il est donc structurel, contrairement au déséquilibre conjoncturel, lié, lui, à une baisse de l’activité.
Typiquement, le chômage au Maroc relèverait d’un déséquilibre profond du marché du travail ; il serait donc structurel. C’est en tout cas l’avis des institutions comme le FMI, la CGEM et même, depuis quelques années mais de façon moins prononcée, des pouvoirs publics.
Suivant cette doctrine, ce type de chômage est incompressible, il se rencontre même en période de forte croissance, il n’y aurait donc pas lieu de le combattre par des politiques de relance, lesquelles ne feraient que précipiter le pays dans une spirale inflationniste mortelle. La solution la plus indiquée dans ce cas serait de corriger les imperfections du marché du travail en adaptant la formation aux besoins des entreprises et en flexibilisant autant que faire se peut les relations de travail (travail temporaire, travail partiel, CDD, allègement des procédures et des indemnités de licenciement…).
La deuxième doctrine, dit keynésienne, du marché du travail, est à l’opposé de la première. Cette doctrine, pour faire vite, ne donne pas cher de la rationalité des agents économiques ou de la concurrence parfaite, sur lesquelles reposent principalement les théories libérale de l’économie. Elle met l’accent surtout sur la demande anticipée des entreprises, d’où l’importance des politiques de relance.

La remontée du chômage date de 2014

Évolution du Taux de Chômage au Maroc (HCP)

 

Au Maroc, le gouvernement Benkirane et son successeur paraissent assez favorables à la vision libérale de l’économie, ils ne s’en cachent pas d’ailleurs. Et s’ils n’ont pas, pour l’heure, modifié la législation du travail, comme le recommandent le FMI et le patronat, c’est seulement parce que les syndicats s’y opposent fermement. Et cependant, mis à part ce dossier (réforme du code du travail pour y introduire plus de souplesse), cette majorité, dès son avènement début 2012, a orienté son action dans le sens de la compression de la demande. A sa décharge, elle arrive aux affaires au moment où les déficits jumeaux étaient élevés, conséquence précisément d’une politique favorable à la demande, pratiquée par ses prédécesseurs, qui plus est, dans un contexte marqué par les retombées de la crise économique internationale de 2007/2008.

Au-delà de tout dogmatisme, il est loisible de constater, en examinant les indicateurs du marché du travail, que le fort recul du chômage a eu lieu durant la première moitié de la décennie 2000. Il recule de 13,4% en 2000 à 9,7% en 2006. Entre 2007 et 2013, le taux de chômage a été maintenu à une moyenne annuelle de 9,2%. Durant ces deux périodes, un effort important a été consenti au profit de l’investissement et de la consommation. Et c’est d’ailleurs en appuyant sur ces deux leviers que les effets de la crise internationale, transmis via le rétrécissement de la demande étrangère, ont été plus ou moins jugulés et que le chômage a été contenu à moins de 10%.

La remontée du chômage, suivant ce que donnent à voir les statistiques officielles, date exactement de 2014. Et cette date correspond justement à l’apparition des premiers effets de la politique de redressement progressif des équilibres macroéconomiques (via notamment la suppression, progressive au départ, des subventions des produits pétroliers). Clairement, un chômage élevé, surtout dans un contexte guère inflationniste, paraît idéal pour la réalisation ou la préservation des équilibres macroéconomiques. L’économie marocaine est dans ce schéma : pendant que le chômage remonte à 10%, le déficit courant tombe de 9,5% du PIB en 2012 à 2,1% en 2015 pour augmenter légèrement à 3,6% en 2017. Le déficit budgétaire, lui, a été ramené de 6,8% du PIB en 2012 à 3,5% en 2017. On peut sans exagérer parler, à ce propos, de performances historiques, en considérant la rapidité avec laquelle ces déficits ont été réduits.

Au-delà des imperfections du marché du travail, dont certaines sont réelles indépendamment du fait qu’elles appartiennent à la doctrine libérale, la persistance du chômage à hauteur de 9,2% en moyenne, d’abord, puis sa progression à 10%, ne sont-elles pas, peu ou prou, la conséquence de cette…marche forcée pour le rétablissement des équilibres macroéconomiques ? Si oui, des politiques budgétaire et monétaire plus souples ne s’imposent-elles pas pour soutenir la demande intérieure, en particulier la consommation des ménages et, ainsi, donner un coup de pouce à la croissance économique? Il est bien vrai que le problème de la demande intérieure (consommation et investissement), dans le cas du Maroc, est qu’elle est grande consommatrice de produits importés. Si on n’y prend pas garde, les réserves internationales peuvent vite fondre, comme neige au soleil. Mais alors, que faire ? Si la solution était simple, cela se saurait. Pratiquement l’ensemble des pays est confronté à ce dilemme. Mais entre les arbitrages du marché, seul, et le recours aux instruments budgétaires et monétaires, il y aurait peut-être un point d’équilibre à trouver, mais lequel ?