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Chakib Alj : «L’industrie meunière est asphyxiée par les surcapacités»
L’atomisation du secteur est un frein à la mise à niveau. Les minotiers réclament la révision du système de subvention de la farine nationale de blé tendre. Le soutien de l’Etat à la branche pâtes et couscous, la seule à exporter dans le secteur, est requis.

La minoterie industrielle est dans une situation compliquée. C’est en substance le constat que l’on retient des propos de Chakib Alj, président de la Fédération nationale de la minoterie. Dans cette interview, il passe en revue tous les motifs des difficultés du secteur.
Comment se porte le secteur meunier en 2018 ?
Sa situation est jugée très critique et traverse une période très difficile, qui se traduit par un nombre croissant d’unités en redressement ou en liquidations judiciaires, tandis que les unités qui demeurent opérationnelles terminent l’année avec des résultats négatifs. Cette situation résulte d’une surcapacité avérée du secteur, conjuguée avec la persistance d’un système de subvention qui date des années 80, et dont la réforme tarde à se mettre en place.
De plus le secteur est très atomisé et dispersé géographiquement avec une implantation, pour certaines unités excentrées, qui a répondu plus à des considérations sociopolitiques qu’économiques, si bien que ces unités doivent leurs survies à la farine subventionnée. Les recommandations du PMV évoquent la nécessité de consolidation au niveau de l’aval de la filière céréalière, pour faire émerger de grands opérateurs qui peuvent tirer le secteur vers le haut. Pour cela, la réforme du système actuel est inévitable.
Faut-il déduire de votre diagnostic que votre business va réellement mal ?
Absolument, au point que le système bancaire a fini par classer le secteur meunier parmi les activités à haut risque. En fait, il y a eu de gros investissements au début des années 2000. Les banques ont beaucoup prêté durant cette période. Aujourd’hui, l’industrie se trouve asphyxiée par les surcapacités.
Concernant la farine nationale de blé tendre (FNBT), mis à part la baisse du contingent de 10 à 6,5 Mq, rien n’a bougé dans ce dossier depuis des années. Préserver ou pas le système de farine subventionnée est du ressort du gouvernement. Pour notre part nous réclamons, en tant qu’industriels qui ont énormément investi dans le secteur, la réforme globale du système de subvention, ou du moins, en attendant cette libéralisation, réviser les dispositions de la circulaire N 6 qui définit les modalités de répartition des contingents de FNBT.
On parle beaucoup de détournement. Qu’en est-il exactement ?
L’étendue de ce fléau est exagérée parfois. En tout cas, les cas de détournement ne relèvent pas de notre responsabilité, d’autant plus que nous sommes les premiers à réclamer la réforme de ce système. Mais, comme je l’ai déjà dit, rien n’a évolué depuis 30 ans. Il est temps de changer ce système révolu. Les moulins, le marché et les consommateurs d’il y a 30 ans n’ont rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. De nouveaux investisseurs dans l’industrie et la boulangerie sont rentrés dans l’équation. Ceci rend urgent la restructuration et la mise à niveau du secteur.
Quels sont les effets pervers du système actuel de subvention ?
Outre la cohabitation forcée d’une farine subventionnée à côté de farines libres, dont la différence de prix n’est pas justifiée par la différence de qualité, il y a également une multitude de problèmes liés respectivement au ciblage, à la politique à la frontière, à l’encadrement administratif (prix, emballage, contrôle, …). En plus de ces contraintes, il y a lieu de citer également le problème de la fixation des contingents. Un moulin qui fait 10 000 tonnes par mois dispose d’un quota de 250 tonnes. Un autre qui ne fait que 500 tonnes par mois a le même contingent, et ceci résulte des règles fixées par la circulaire N 6 qui définit un contingent minimum garanti de 2500 q, quel que soit le niveau des écrasements.
Il y a eu des annonces, ici et là, faisant état d’une refonte imminente, sans que rien ne se produit concrètement …
Tout à fait. Rien de concret n’a encore été fait, bien que les pouvoirs publics soient convaincus de la nécessité de procéder à cette réforme pour assurer un meilleur ciblage de la subvention, tout en supprimant les effets pervers du système qui menacent la performance du secteur, voire sa survie. Nous sommes dans le flou total. Le secteur ne sortira de cette léthargie qu’à travers des mesures courageuses. Pour nous, les opérateurs structurés doivent être encouragés, ceux qui ne le sont pas doivent être accompagnés pour se reconvertir ailleurs. La situation actuelle met tout le monde dans le même panier. D’ailleurs, les efforts en matière d’investissement et de marketing ne sont pas valorisés, ce qui pénalise ceux qui veulent faire progresser ce marché.
Et l’impact du PMV dans la céréaliculture sur l’industrie ?
Il n’y pas eu d’impact direct sur l’aval industriel. S’agissant de l’amont productif, nous remarquons qu’il y a une amélioration notable de la qualité et de la quantité. La disponibilité et la régularité ont été améliorées. Les rendements ont également évolué. Sur des expériences réussies d’agrégation, le rendement est passé de 10 à 40 q. En arrivant à ce stade de rendement à l’échelle nationale, le Maroc peut assurer sa souveraineté et devenir autosuffisant Enfin, le blé local est mieux perçu par les minotiers, ce qui donne un coup de pouce à l’attrait du secteur et à l’investissement dans son amont. La dynamique du PMV doit être maintenue au-delà de l’année 2020. Le défi qu’il faut relever maintenant et dans les années à venir concerne la commercialisation, et la mise à niveau des organismes de stockage, à qui revient la charge de mieux valoriser la production nationale.
La filière pâtes et couscous compte parmi celles qui bénéficient du contrat programme du secteur agro-alimentaire. Y a-t-il de nouveaux projets ?
Ce secteur se développe, et nous pensons que le contrat programme va inciter les industriels à développer leur activité à l’export notamment. D’ailleurs, cette filière est la seule dans le secteur des industries céréalières à exporter des produits marocains en Europe, en Afrique et aux Etats-Unis, d’où la nécessité pour l’Etat d’aider ces industriels à mieux organiser leur marketing à l’international.
Auparavant, même le secteur meunier exportait de la farine en Algérie, en Libye et en Afrique, mais aujourd’hui tous ces pays se sont équipés.
n Comment appréciez-vous l’évolution de la consommation ?
En quantité, ça stagne. En qualité, il y a une évolution remarquable. Le mode de consommation change. La femme au foyer fait de moins en moins de pain à la maison. Les boulangeries industrielles ont pris le dessus. La biscuiterie se développe aussi.
Qu’en est-t-il des investissements dans le secteur en 2018 ?
Depuis 2014, date de suppression de la FNBT pour les nouveaux moulins, on a enregistré pratiquement un arrêt de nouvelles créations, mais malheureusement cette décision a été prise avec un certain retard, bien après l’exacerbation du niveau de la surcapacité.
Aujourd’hui, nous sommes plus préoccupés à rentabiliser et consolider nos investissements consentis pendant des années et la meilleure manière de les relancer est d’entamer la réforme le secteur.
En attendant cette réforme globale, les instances dirigeantes de la FNM, tentent de relancer le processus d’assainissement du marché des farines, à travers l’adoption de mesures liées aux bonnes pratiques commerciales et la réduction du risque commercial. Nous sommes persuadés qu’un tel effort sera facilité par le lancement parallèle de la réforme par les pouvoirs publics.

La minoterie en chiffres
