Pouvoirs
Le drame des jeunes filles sans domicile fixe
Sur les 2 000 sans-abri que compte la capitale économique, 14% sont des filles âgées de 12 à 18 ans. Elles ont en moyenne quatre grossesses à leur actif. Les associations appellent à une politique nationale de prise en charge.

Une vision globale et nationale pour la prise en charge des sans-domicile fixe (SDF). C’est ce dont le Maroc a besoin en urgence aujourd’hui afin de permettre une prise en charge en bonne et due forme de cette catégorie de la population. C’est le constat qui ressort lorsque l’on se penche sur cette problématique. Sur le terrain à Casablanca, des associations, organismes d’entraide sociale et autres centres de protection sociale ainsi que des âmes charitables interviennent pour aider les sans-abri. Mais, explique Dr Wafaa Bahous, directrice du Samu social de Casablanca, «les approches diffèrent, et les intentions aussi, ce qui empêche une prise en charge adéquate et maintient, voire entretient, la vulnérabilité de ces sans-abri». Des sources associatives reconnaissent que «certes, les gens, chacun de son côté, veulent faire du bien, mais en raison de l’ampleur de ce phénomène des sans-domicile fixe et la gravité de leur situation, il faut aujourd’hui pour le pays et pour construire une société saine et équilibrée, canaliser cette aide en vue de son optimisation afin que la rue ne soit plus une option en particulier pour les enfants…».
Les diverses associations croient en effet en l’éradication de ce phénomène et elles croient surtout en la possibilité d’avoir «Zéro enfant dans la rue». Si l’on retient les chiffres annoncés par le Haut commissariat au plan (HCP), il y aurait 7 226 sans-abri au Maroc. Un chiffre qui est en quasi-stagnation par rapport au recensement de 2004 selon lequel ils étaient 7 308 personnes à vivre dans la rue. Sur les 7 226 SDF, 6% sont des enfants âgés de moins de 15 ans. A Casablanca, selon le Samu social, on compte 2000 SDF dont 90% pourraient faire partie de la population active. C’est-à-dire qu’ils devraient avoir un travail ou alors être à l’école. Et 10% seulement de cette population ont réellement, selon des sources associatives, besoin d’un assistanat. Mais ce qui est plus important à retenir pour Casablanca, c’est que 50% des sans-abri sont des enfants mineurs et 14% sont des jeunes filles. Il est à noter que l’arrivée des filles parmi les SDF est assez récente puisqu’elle remonte à 2010. Il faut souligner que leur âge varie de 12 à 18 ans. Et, plus dramatique encore : elles ont en moyenne quatre grossesses à leur actif !
Face à cette situation désastreuse, le milieu associatif et en particulier les organismes intervenant dans la métropole économique interpellent les pouvoirs publics, notamment le ministère de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social. Celui-ci, il faut le signaler, planche, depuis 2013, sur le projet d’une «Politique publique de l’intégration et de la protection de l’enfance» qui est placé sous la houlette de l’Entraide nationale. Mais, note Dr Bahous du dossier, «le projet avance très lentement et l’on attend alors que dans la rue il y a urgence et les jeunes sont de plus en plus exposés à des dangers et des risques divers, essentiellement les abus sexuels et les addictions !».
Un comité de réflexion en projet à Casablanca ?
En attendant la politique ou la stratégie nationale pour la prise en charge des sans-domicile fixe, Wafae Bahous estime «qu’il est nécessaire de lancer une réflexion pour l’organisation de la prise en charge des sans-domicile fixe à Casablanca». Cela peut se faire dans le cadre d’un comité qui réfléchira aux mesures à mettre en place pour venir en aide aux SDF et en particulier les femmes et les enfants. «Aujourd’hui, plusieurs associations interviennent dans la rue et surtout en hiver en menant des actions contre le froid. Distribution de repas, dons de vêtements et de couvertures, etc., parant ainsi aux besoins immédiats de cette population vulnérable. Mais, pour parer à l’errance dans la rue, il faut des actions plus ciblées, prolongées dans le temps et qui leur permettrent de retrouver leur dignité et de ne plus rester dans la rue !», raconte la directrice du Samu social.
La réflexion devra, selon nos sources, être menée autour de la coordination des actions pour plus d’efficacité. Ainsi, on avance que tout d’abord il serait utile de placer «le Projet de politique publique pour l’intégration et la protection de l’enfance» sous la houlette du chef du gouvernement afin d’engager non seulement le ministère de la solidarité et de la famille mais aussi d’autres départements ministériels concernés par cette problématique. Notamment les ministères de la santé, de la justice et des habbous et affaires islamiques. Ce qui permettrait, dit-on au Samu social, d’alléger les procédures et autres démarches administratives afin de faciliter la prise en charge médicale et psycho-sociale des enfants et des femmes sans-abri en vue de leur intégration familiale et sociale. L’idée est de créer des centres spécialisés, remettre à niveau les centres existants en précisant leurs tâches et missions et en les dotant des moyens humains et matériels nécessaires.
Au-delà de la coordination et des aspects techniques de la prise en charge des SDF, l’accent doit être mis sur les volets de la sensibilisation et de l’éducation des citoyens. «C’est le pilier de toutes les actions sociales à mener dans ce sens et c’est à ce niveau-là que l’implication du ministère des habbous et des affaires islamiques est nécessaire et incontournable. Il faut expliquer aux citoyens que donner de l’argent aux SDF ne résout pas le problème mais au contraire favorise la précarité, l’entretient et maintient la rue comme option de vie», souligne Dr Bahous. L’idée est simple, selon cette même source, «il s’agit d’expliquer aux gens, via les prêches du vendredi ainsi que dans les programmes d’alphabétisation et autres actions menées dans les mosquées, que la sadaqa doit être faite de façon intelligente et non pas donnée au tout-venant dans la rue et aux ronds-points et feux rouges de la ville. On peut imaginer que cette aumône puisse aller dans une caisse ou un fonds gérés par le ministère. Les fonds collectés seraient alors utilisés pour financer des programmes pour l’intégration sociale des enfants et de leurs mères». Aujourd’hui, Il faut reconnaître que lorsque les gens donnent de l’argent, leur geste est placé dans une relation que l’on peut appelée verticale c’est-à-dire avec Dieu. Autrement dit, pour faire une bonne action et s’assurer «une place au paradis». Alors que le donateur devrait plutôt concevoir son don dans une relation horizontale, c’est-à-dire qui pourrait être bénéfique à d’autres personnes et à la société de façon globale.
Les garçons sont laveurs de vitres et les filles se prostituent…
Le message, pour des raisons religieuses, est certes difficile à faire passer mais il faut essayer et faire preuve de persévérance. «Les SDF refusent d’intégrer leurs familles, les institutions ou encore les centres de protection sociale car ils se sont habitués à la liberté, voire l’anarchie de la vie dans la rue. Mais celle-ci dispose de ses propres règles du jeu, notamment la loi du plus fort et de son lot de misère», analyse une source associative. Pour ceux qui ont un «travail», généralement les garçons s’adonnent à diveres tâches sous payées (5 à 9 dirhams) comme laver les autocars à la gare de Oulad Ziane, porter les bagages des voyageurs ou encore cirer les chaussures. Les filles, quant à elles, sont employées dans les mahlabates aux environs de la gare pour faire la vaisselle ou préparer harcha et msemmen en contrepartie d’un salaire journalier qui ne dépasse pas les 15 dirhams. «Pour celles qui veulent ‘‘améliorer’’ leurs revenus, il y a la prostitution. La passe serait à 50 ou 60 dirhams. Cet argent est destiné à entretenir leurs bébés ou à acheter leurs drogues !», nous explique-t-on.
On remarquera, par ailleurs, que le bébé n’est pas un fardeau pour la jeune mère qui, selon une assistante sociale, «l’utilise pour faire pitié et soutirer quelques dirhams qui lui permettront d’acheter sa drogue ou autre chose…». Notre source estime que, parmi les pistes à retenir, «il y a le rôle majeur du ministère de la santé via ses centres de santé au sein desquels il faut faire de la sensibilisation et de la prévention. Parler des rapports non protégés et de leurs conséquences et procéder à la distribution des contraceptifs oraux et des préservatifs». Selon des assistantes sociales, cela est difficile à mettre en place en raison des considérations religieuses condamnant tout rapport extra conjugal et de la stigmatisation sociale des mères célibataires. Or, il s’agit d’une réalité qu’on ne peut malheureusement plus cacher. A Casablanca, par exemple, les associations avancent que le nombre d’enfants SDF a triplé depuis 2006. Par ailleurs, elles soulignent qu’«une jeune femme dans la rue aujourd’hui, c’est un bébé SDF neuf mois plus tard…».
[tabs][tab title = »Casablanca compte 16% des sans domicile fixe du Maroc »]Le pays compterait, selon le HCP, 7.226 sans-abri. Un chiffre qui ne reflète pas, pense-t-on dans le milieu associatif, tout à fait la réalité. Car les personnes vivant dans la rue sont beaucoup plus nombreuses. Cette inexactitude vient du fait, explique le responsable d’un centre de protection sociale à Casablanca, que les organismes chargés de faire les recensements n’ont pas la même définition du sans-abri. Cette source précise que le sans-domicile fixe n’est pas celui qui a passé deux ou trois jours dans la rue mais plutôt celui qui y vit plus longtemps et qui fait des allers-retours entre sa famille, le centre et la rue. Autrement dit, qui rechute dans la rue après ses diverses tentatives d’intégration. Selon les statistiques du Haut commissariat au plan, l’axe Tanger-El Jadida abrite le tiers des sans-abri du pays (33%) dont presque la moitié (15,9%) vit dans l’agglomération de Casablanca. Viennent ensuite les villes de Tanger-Tétouan-Al Hoceima avec 14%, Fès-Meknès avec 12,4%, l’Oriental avec 12,4% et Rabat-Salé-Kénitra avec 11,6%. Les régions de Marrakech-Safi et Souss-Massa se trouvent dans une situation intermédiaire avec respectivement 8,9% et 8%. La répartition par sexe révèle que les hommes représentent 86,7% des SDF et les femmes sans-abri, plus vénérables, représentent une part de 13,3%. Mais il n’y a pas que des adultes dans la rue, les enfants représentent 6% de cette population. Ces enfants sont en général enfantés par des sans-domicile fixe, se sont enfuis des orphelinats ou des familles dans lesquelles ils ont été placés. Les femmes, quant à elles, sont rejetées par les parents suite à une grossesse non désirée ou bien elles fuient un époux violent. On retiendra, par ailleurs, que les personnes âgées de 70 ans et plus représentent 3,8% des sans-abri. Par ailleurs, un SDF sur trois est en situation de handicap, soit une part de 32%. Ils sont plutôt de sexe masculin et vivent principalement en milieu urbain. Soit 28,4% contre 3,6% seulement en milieu rural.[/tab][/tabs]
