Idées
Structurer une politique d’association en cabinets d’avocats
Axel Jurgensen, Associé et Responsable Afrique, Day One.

Il y a encore quelques années, l’association constituait le «Graal» recherché par tous les jeunes et moins jeunes collaborateurs des cabinets d’avocats d’affaires, prêts à mettre les «bouchées doubles» et à ne pas compter leurs heures pour espérer atteindre ce statut à leurs yeux synonyme tant d’indépendance vis-à-vis des clients, que de suppression de liens hiérarchiques et d’élévation sociale. Aujourd’hui, avec l’apparition d’une nouvelle génération aspirant à un plus grand équilibre entre la vie de famille et la vie professionnelle, la donne a quelque peu changé. Si les jeunes recrues aspirent encore largement à l’association, elles ne sont plus prêtes à y sacrifier leur énergie à n’importe quel prix : elles exigent désormais plus de visibilité et de lisibilité sur les critères et le parcours pouvant les mener à cette association, faute de quoi elles se tournent bien souvent après quelques années vers des directions juridiques ou l’ouverture de leur propre cabinet.
Conscients de cette évolution et de la nécessité d’y apporter une réponse afin de ne pas devenir de simples «écoles de formation» des futurs responsables et directeurs juridiques en entreprise, nombre de cabinets d’avocats d’affaires ont œuvré ces dernières années à structurer ou repenser leur «politique d’association». Quels éléments clés les cabinets d’avocats doivent-ils prendre en compte dans la mise en place d’une telle politique et comment structurer le processus d’association d’une manière efficiente ?
Le premier élément de réflexion doit s’articuler autour des objectifs de la politique : quels sont les buts premiers recherchés dans sa mise en place, celle-ci sera-t-elle bien alignée avec le positionnement du cabinet, sa stratégie clients, les compétences disponibles en interne, etc. ? Une telle réflexion conduira notamment à définir la forme souhaitée pour la politique envisagée : s’agira-t-il d’une procédure écrite, formalisée dans les statuts ou a minima présentée à tous les collaborateurs, ou demeurera-t-elle, même mieux structurée, une pratique informelle au sein du cabinet ?
Le second élément de réflexion est relatif à la détermination des grades au sein du cabinet. Il s’agit ici d’abord de définir les différents grades avant d’être associé pour donner de la visibilité aux avocats en interne et des perspectives : collaborateur junior, senior, confirmé, manager, etc. Puis, il s’agit de définir les différents grades d’associés : equity, non-equity (un associé ne détenant aucune part du capital); voire également des grades intermédiaires entre l’associé et le collaborateur : counsels, of counsels. Davantage que les grades en eux-mêmes, l’un des points clés à cet égard est de bien différencier les grades qui constitueront des étapes obligatoires (par exemple, est-il obligatoire de passer par le statut de counsel, puis d’associé non-equity, pour prétendre au statut d’associé en equity ?) des grades intermédiaires et non obligatoires. Il importe également de bien réfléchir dès cette étape au modèle de rémunération des associés (lock-step vs. eat what you kill) qui aura nécessairement un impact sur l’échéance de la «full partnership».
Certains cas particuliers doivent également être envisagés à ce stade : celui de l’avocat technicien non développeur, par exemple, qu’on peut souhaiter récompenser et garder dans la structure du fait de la qualité de son travail avec les clients, sans qu’il remplisse les critères d’apport d’affaires souvent nécessaires à l’association «en equity». Il importera de définir la politique du cabinet sur le devenir de ces profils au sein du cabinet, et d’éventuellement définir un grade spécial d’associé ou un grade intermédiaire pour ceux-ci. De la même manière, le cas particulier de l’avocat (associé ou non) arrivant d’un autre cabinet doit être discuté. Intégrera-t-il l’association suivant le même process que l’avocat interne ? Les critères d’association seront-ils les mêmes qu’en interne ou un process et des critères différents doivent-ils être mis en place pour l’association dite «en latéral» ?
Le troisième élément de réflexion porte sur les critères d’association en eux-mêmes, qui peuvent être d’ordre technique, commercial (développement clients), humain (adéquation avec la culture et les valeurs du cabinet) ou bien encore de management et d’excellence opérationnelle (gestion de l’équipe et des dossiers). Les critères d’association retenus doivent bien sûr être relatifs à la spécificité et à la vocation des grades précédemment définis par le cabinet.
Une fois les objectifs de la politique, les grades et les critères d’association définis, vient le temps de la structuration du process de désignation des nouveaux associés. Ce process se décline généralement en 4 phases, chacune d’elles appelant plusieurs interrogations et réflexions corrélatives à mener :
• Phase 1 : L’identification du potentiel. Il s’agit ici de définir, d’une part, la fréquence de la revue des potentiels en interne, et, d’autre part, de déterminer qui est en charge de l’identification des potentiels. S’agit-il d’une demande émanant de l’avocat lui-même ? D’une proposition par les pairs ? Ou d’une proposition effectuée par l’associé du département concerné ?
• Phase 2 : La validation du potentiel. Une fois le candidat potentiel identifié, il convient de définir le processus de validation de la candidature. Qui valide ? S’agit-il, du Managing Partner, de l’ensemble des associés, ou bien encore d’un comité au sein du cabinet (stratégique ou «ad hoc») ? Les candidats proposés intègrent-ils un programme «haut potentiel» ou encore une «partner pipeline» avant validation de leur candidature ? Y a-t-il un «sponsor» pour chaque candidat et, si oui, quel est son rôle exact dans le processus ?
• Phase 3 : L’évaluation du potentiel. Comment celle-ci va-t-elle s’effectuer ? Campagne interne du candidat, rendez-vous avec tous les associés, dossier de présentation, business plan, présentation du candidat par le «sponsor», présentation par le candidat de son projet, entretien avec le managing partner, grand oral devant un comité «ad-hoc» sont autant de modalités et d’étapes d’évaluation possibles du candidat, en fonction des souhaits du cabinet.
• Phase 4 : Le vote. Il s’agit dans cette dernière phase de définir les modalités du vote, tant pour l’association en interne que pour l’association en latéral. Qui vote ? Le vote s’effectue-t-il à l’unanimité des associés, à la majorité simple ou à la majorité qualifiée ?, etc.
La structuration de la politique d’association doit prendre en compte l’ensemble des éléments précités. La différence d’approche d’un cabinet à un autre proviendra essentiellement de la taille du cabinet, de l’existence d’un réseau international, ou encore de la disposition des fondateurs à «partager» le cabinet. «In fine» se pose ici aussi en filigrane la question de la transmission du cabinet… C’est pourquoi il est essentiel que la politique d’association s’inscrive dans une cohérence globale entre la stratégie du cabinet, son positionnement et ses valeurs.
