Affaires
Relance du crédit : les banques se hâtent… lentement
Le GPBM et Bank Al-Maghrib indiquent qu’une réunion d’évaluation sera organisée. La résistance des banquiers à ne pas divulguer leurs secrets maison en matière de notation des clients semble encore l’emporter sur les bonnes intentions du secteur à partager des informations.

C’était le 26 janvier 2016. Face à une nette décélération du crédit (hausse de l’encours limitée à 3,5% entre 2012 et 2015 contre des croissances à deux chiffres auparavant), Bank Al-Maghrib, la CGEM et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) s’étaient réunis pour décider de mesures fortes à même de mieux financer l’économie. Le constat fait à cette date était que les banques disaient ne pas recevoir assez de dossiers bancables et que les entreprises se plaignaient de la difficulté d’accès au financement. Entre les deux versions, la réunion avait pour objectif d’analyser la situation et de sortir de l’impasse. Quatre grandes actions avaient été alors décrétées, dont certaines devaient être «appliquées immédiatement».
D’abord, les trois parties prenantes avaient convenu de rendre effectif l’accès des entreprises à leur notation au sein des banques et motiver les décisions de rejet des demandes de crédits. L’objectif étant de permettre aux emprunteurs de prendre connaissance de leurs faiblesses et de les améliorer avant d’introduire leurs requêtes. Aussi, les établissements bancaires avaient-ils été appelés à conclure des accords et conventions avec différents secteurs pour mieux servir les besoins de tous les opérateurs. Ensuite, décision avait été prise de financer le butoir de TVA par un mécanisme sécurisé de cession des créances aux banques. Enfin, les parties avaient mis à l’étude la mise en place d’un fonds de restructuration des entreprises en difficulté. En plus de ces mesures précises, il avait été convenu de transmettre au chef du gouvernement un mémorandum traitant de divers aspects problématiques qui ont trait au financement. Ce mémorundum devait évoquer les délais de paiement, la participation des PME aux marchés publics, le statut de l’auto-entrepreneur, le financement des collectivités territoriales et d’autres thématiques. Plus de deux ans après, où en est-on ?
Contacté par nos soins, un haut responsable de la confédération patronale informe que les commissions régionales constituées pour suivre les actions programmées n’ont pas chômé. «Sauf que le gros du travail restant à accomplir atterrit actuellement chez les banques sous la houlette du GPBM», confie-t-il. El Hadi Chaibainou, directeur général du GPBM, souligne de son côté, que les banques mènent un travail de fond pour faire aboutir les mesures retenues. «Il y a des actions qui sont déjà mises en œuvre sans qu’il y ait de communication officielle autour», relève-t-il. Pour le reste, le DG du GPBM explique que les trois parties prenantes s’entendent encore sur le cadre de déploiement des mesures arrêtées. «Nous travaillons de concert avec Bank Al-Maghrib et la CGEM. Les trois parties vont dresser le point des réalisations le moment opportun», annonce-t-il sans plus de détail. Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, informe en marge du dernier conseil de la Banque centrale qu’une réunion spécifique de mise au point sera tenue afin de dresser le bilan des réalisations.
Hormis les déclarations plutôt évasives des parties prenantes au dossier, le bilan est plutôt mitigé. Des mesures ont été opérationnalisées, d’autres accusent un retard, tandis que des actions n’ont pas eu carrément droit de cité. Retour sur l’avancement des quatre grands chantiers de la relance du crédit bancaire.
Dans le secteur bancaire, les responsables sondés rapportent à l’unanimité que le chantier de la notation de la clientèle Corporate est bien avancé. Actuellement, les opérateurs discutent du mode opératoire et les critères sous-jacents de l’évaluation du risque des entreprises. L’adoption serait imminente.
Leila Channawi Tahiri, présidente de la commission Financement de la CGEM, déplore que ce dispositif structurant n’est pas encore mis en œuvre sur le terrain. Elle estime qu’il s’agit d’une mesure cruciale, étant donné que le secteur doit disposer de la même appréciation du risque et du même rating d’une entreprise donnée. Avoir les mêmes critères permettra d’éviter que les banques accordent des notes différentes, ce qui influencera les conditions de crédit et par conséquent engendrera une saine concurrence. Le rating est un moyen idéal à la disposition des entreprises pour se faire une idée exacte de leurs forces et faiblesses. Concrètement, la notation sera accessible en agence à la demande de l’entreprise. L’accès à la grille sera systématique et gratuit pour toutes les entreprises clientes. Les banques ont été aussi invitées à motiver tout refus de financement par une lettre explicative adressée à l’entreprise.
A en croire quelques banquiers, il existe des établissements de la place qui communiquent déjà, de manière officieuse, les motifs de rejets à leur clientèle, notamment pour que le renouvellement d’une demande soit concluant. Mais de là à officialiser la démarche, il semble que la résistance des banquiers à ne pas divulguer leurs secrets maison l’emporte encore sur les bonnes intentions du secteur. Difficile de faire plier une corporation aussi forte !
Cette mesure part du constat qu’une offre bancaire négociée avec une fédération sectorielle et confectionnée à sa mesure en fonction de la nature de son activité permettra de répondre exactement aux besoins de financement de tous les opérateurs et touchera, ce faisant, le grand nombre. Ce qui devrait mettre fin aux doléances répétitives relatives aux difficultés d’accès au financement. «Nous avons une vraie démarche de sectorisation à la CGEM», explique Mme Channawi Tahiri. Elle confie que sa commission pousse de plus en plus les banques à aller dans ce sens.
A ce jour, ces conventions sectorielles de financement ont été déployées dans le textile. BAM s’est félicité déjà des résultats probants obtenus grâce à cet accord. La même année le secteur automobile a aussi bénéficié d’une offre bancaire dédiée grâce à un accord sectoriel sous la houlette du ministère du commerce et de l’industrie. D’autres secteurs seraient en passe de signer des accords avec les banques, notamment les mines, les IT, et l’aéronautique selon la commission Financement de la CGEM. Cela dit, la responsable de la CGEM confie que souvent ces conventions sont vidées de leur matière. «Les banques retombent aussitôt dans leurs travers et appliquent des politiques rigoureuses d’octroi au cas par cas et notamment en matière d’exigence en garantie», commente-t-elle.
Il s’agit du chantier unique qui a abouti entièrement. Le 5 février, le mécanisme de financement, par le secteur bancaire, des arriérés de TVA des entreprises détenus sur l’Etat, a démarré officiellement. Neuf banques ont été impliquées, en l’occurrence BMCE BOA, BMCI, Attijariwafa bank, Crédit du Maroc, Société Générale, CIH, Crédit Agricole, BCP et Arab Bank. Ce moyen permettra aux entreprises privées de récupérer, à leur demande, leurs arriérés de TVA qui s’élèvent à plus de 10 milliards de DH. Les arriérés cumulés par les entreprises publiques seront traités par la suite et au cas par cas. L’opérationnalisation du nouveau mécanisme a été actée grâce à des conventions signées le 24 janvier 2018 par les banques, le ministère de l’économie et des finances, la Direction générale des impôts (DGI) et la Trésorerie générale du Royaume (TGR).
Le nouveau dispositif donne la possibilité aux entreprises de recevoir des avances sur leurs créances de TVA validées par la DGI. Une attestation (de la même nature qu’un droit constaté dans les marchés publics), qui sera délivrée par la DGI, matérialisera le crédit et servira de ticket auprès de la banque. Les banques vont mobiliser les créances des entreprises à une quotité pouvant atteindre 100%. Elles se tourneront par la suite vers le Trésor. Après, le remboursement des établissements bancaires s’effectuera sur une période de 5 ans, au fur et à mesure des remboursements de l’Etat, avec un taux d’escompte de 3,5% supporté par les entreprises. L’administration fiscale vient de fixer les détails techniques pour la liquidation du butoir selon le nouveau mécanisme à travers une note circulaire.
Sur ce volet, rien n’a filtré pour le moment. Selon des sources bancaires, ce fonds est toujours à l’étude. Il cible en principe le soutien aux très petites, petites et moyennes entreprises et aux entreprises intermédiaires solvables, mais en difficultés conjoncturelles. Les discussions semblent buter sur des détails techniques, notamment les sources de financement du fonds, les critères d’éligibilité des bénéficiaires et les interconnexions avec les dispositifs de garantie étatiques déjà en place, notamment ceux de la CCG offrant des crédits de restructuration pour les PME.
En attendant, les encours du crédit bancaire se sont inscrits en hausse de 3,2% à fin janvier 2018, à 825 milliards de DH. Ils affichent une croissance de 8% par rapport à fin janvier 2016, date de la tenue de la réunion.
