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Tourisme médical : le Maroc cherche sa voie

L’essentiel de l’activité porte sur la chirurgie esthétique et la prise en charge de patients de l’Afrique subsaharienne. La capacité litière et le nombre de structures sont insuffisants. L’Etat n’a pas encore défini une stratégie claire pour encourager les investissements.

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C’est une niche en pleine croissance, notamment dans quelques pays d’Europe Centrale et Orientale et la Turquie. La Tunisie avait aussi commencé à y gagner des points avant que la crise politique ne vienne perturber le marché. Cette niche n’est autre que le tourisme médical où le Maroc semble trop timide malgré les initiatives individuelles sur la chirurgie esthétique. C’est donc pour l’organiser et lui donner les moyens de se développer que des acteurs du domaine ont décidé, il y a deux ans, de créer la Fondation marocaine du tourisme médical. «Il existe un besoin urgent de mettre en place une stratégie nationale pour cette niche touristique et la doter d’un cahier des charges clair et précis. A titre d’exemple, un voyageur de santé n’est pas un voyageur normal. Il a besoin de places spécifiques dans l’avion. D’où le rôle que peut jouer la RAM dans le développement du secteur», remarque Khaled Choulli, consultant en développement stratégique à la clinique internationale de Marrakech et cheville ouvrière de la fondation qui compte déjà plusieurs cliniques.

D’après un classement de 2016 du journal Medical Tourism Index, qui a répertorié les 41 destinations mondiales du tourisme médical, le Maroc figure à la 31e position et se classe au 3e rang parmi les pays francophones après le Canada et la France.

Mais en réalité, ce palmarès est trompeur vu les potentialités du secteur.  «La Tunisie arrivait à attirer 300 000 patients par an dans le cadre du tourisme médical, notamment grâce aux marchés algérien et libyen sans compter les Européens qui viennent pour la chirurgie esthétique», commente Khalil Daffar, directeur du Africa Medical tourism Expo, manifestation dédiée au tourisme médical et de bien-être qui sera organisée en 2018 au Bénin, au Congo et en Algérie, après trois éditions marocaines.

Des conventions signées avec les pays d’Afrique de l’Ouest

Le terme très marketing du tourisme médical recouvre deux types de patients. En premier lieu, les patients qui vont dans un pays étranger pour des interventions de chirurgie esthétique, des cures thermales ou autres et consomment par la même occasion des nuitées d’hôtels et des prestations touristiques. En second lieu, on retrouve les malades transférés pour des soins plus ou moins lourds comme les interventions chirurgicales ou des traitements d’oncologie, de cardiologie, des greffes, de traumatologie et de gastro-entérologie. «Ce deuxième volet représente un marché très intéressant pour le Maroc sur lequel certains établissements se positionnent, profitant de la présence de déserts médicaux dans le continent», souligne M. Khalil. A titre d’exemple, l’hôpital Cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyan à Casablanca a accueilli 3 500 patients de l’Afrique subsaharienne en 2017. Ce qui correspond à 20 à 30% des patients qui ont fréquenté l’établissement durant cette année.

Pour attirer autant de monde, l’hôpital a signé des conventions de partenariat avec plusieurs Etats d’Afrique de l’Ouest, notamment le Sénégal, le Gabon et la Côte d’Ivoire, comme il coopère avec des particuliers. Par exemple, trente patients arrivent de Bamako tous les mois à travers ce second réseau. «Ils arrivent hélas quand leur état est déjà compliqué, souvent au stade terminal», déplore Fama Idrissa Coulibaly, étudiant et intermédiaire pour l’établissement.

Dr Abdelmoumen El Alaoui, responsable du développement à l’international et du marketing à l’Hôpital Cheikh Khalifa à Casablanca, met en évidence les prix «abordables» des prestations facturées par l’hôpital dont le statut est à but non lucratif. De plus, ses conventions avec des compagnies d’évacuation sanitaires et d’assurance locales, européennes et américaines facilitent les prises en charge. «Nous avons récemment accueilli un patient américain de Boston qui a opté pour une chirurgie de la main à l’hôpital Cheikh Khalifa faute de RDV dans des délais raisonnables aux Etats-Unis. Il a ainsi subi l’intervention en ambulatoire et profité d’un séjour touristique dans le pays organisé par nos soins», confie-t-il. Mais la demande provient surtout d’Afrique subsaharienne.

Peu d’investissements après l’ouverture du capital des cliniques aux non-médecins

La Clinique internationale de Marrakech (100 lits) réalise, quant à elle, 25 à 30% de son chiffre d’affaires grâce aux patients étrangers (touristes européens et patients subsahariens) et espère atteindre 300 lits dans 4 ans. «Nous avons ouvert un centre international de médecine esthétique, réparatrice, laser et de mésothérapie. Pour le moment, nous avons une clientèle locale. Mais le Maroc demeure 50% moins cher que l’Europe», déclare M. Choulli.

Le tourisme médical fait même prospérer d’autres activités, comme l’aviation d’affaires qui offre des prestations d’évacuation sanitaire. A titre d’exemple, Air Océan, compagnie créée en 2015 (trois avions), réalise en moyenne 50% de son chiffre d’affaires dans cette activité. «Nous réalisons 70% de nos évacuations vers le Maroc et 30% vers l’Europe. En Afrique, la demande provient surtout du Niger, du Cameroun, du Gabon et de la Mauritanie», déclare Mohamed El Messaoudi, le directeur général. Pour opérer au Maroc, l’avion doit être équipé en oxygène et en civière médicale, entre autres. En Europe, il existe des compagnies spéciales d’avions ambulance. Mais pour mieux tirer profit du tourisme médical, le Maroc se doit d’investir dans les infrastructures. Le nombre de cliniques spécialisées équipées et capables d’accueillir les patients internationaux est limité. «Ce n’est pas avec quelques cliniques à Casablanca et une ou deux à Marrakech qu’on peut développer le tourisme médical au Maroc. Il est nécessaire de se doter de grandes et moyennes structures modernes âgées de moins de cinq ans pour espérer se positionner dans le secteur. Il faut impérativement faciliter les implantations de cliniques notamment par le biais d’allègements fiscaux», analyse M. Daffar. De fait, quelques frémissements sont perceptibles depuis l’adoption de la loi 113-13 autorisant l’ouverture du capital des cliniques privées à des non-médecins, mais cela reste insuffisant pour lancer le secteur. Le groupe français Elsan (80 établisements) vient d’ouvrir la Clinique verte de Bouskoura d’une capacité de 136 lits. A en croire M. Daffar, Narayana Health, une chaîne d’hôpitaux indiens, «compte ouvrir un établissement pluridisciplinaire et développer l’oncologie».