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Société

Lutte contre l’analphabétisme : le Maroc doit redoubler d’efforts…

Avec 734000 inscrits annuellement, le rythme de l’alphabétisation reste lent. Les programmes portent essentiellement sur l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du Coran. Les bénéficiaires, en particulier les jeunes et les femmes, veulent une formation qualifiante… Une refonte de la stratégie nationale s’impose.

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Analphabetisme 1

Les efforts déployés contre l’analphabétisme demeurent insuffisants. C’est le constat établi lors des Assises nationales de l’alphabétisation organisées, il y a une semaine, à Skhirat par l’Agence nationale de lutte contre l’analphabétisme. Le recul de l’analphabétisme est certes notoire puisque, selon les récentes statistiques, son taux est passé de 43% en 2004 à 32% en 2014, mais le rythme est toujours lent. Les assises qui se sont déroulées sous le thème de «L’alphabétisation : équité, engagement et partenariat», ont été l’occasion de faire le point sur ce phénomène, d’une part, et d’examiner les pistes d’amélioration, d’autre part. Toutes les parties impliquées, notamment les intervenants des secteurs public et privé, les partenaires financiers et techniques, les acteurs représentant les conseils élus, les associations et les coopératives sont mobilisés en vue de poursuivre la lutte contre l’analphabétisme et d’en réduite le taux à moins de 10% d’ici 2026. Comment y arriver ?

Une feuille de route a été adoptée afin d’accélérer le rythme de réalisation en éradiquant l’analphabétisme chez 1,2 million de bénéficiaires par an d’ici 2026, en renforçant l’opération de transition vers une alphabétisation qualifiante et variée, en améliorant la qualité de l’intervention, en garantissant un financement suffisant et durable et en instaurant une bonne gouvernance. Selon des observateurs, la réalisation de ces objectifs nécessite l’implication non seulement de l’Etat mais également du secteur privé et des associations. 

Donc des mesures précises et déterminées doivent être prises d’ici 2026 pour l’éradication de ce fléau qui coûte cher à l’individu en premier lieu et à la société en général.

Selon des témoignages recueillis auprès d’inscrits à des cours d’alphabétisation à Casablanca, l’analphabétisme conduit à une marginalisation sociale certaine. Selon ses propos, Mina vit cette exclusion quotidiennement: «Dans ma famille, tous mes frères ont été à l’école, ont des diplômes et ont un travail. Moi, je suis le seul enfant, parce qu’une fille, à ne pas avoir été à l’école. Lors de réunions familiales, je suis à l’écart, surtout lorsque les discussions sont en français…Je me sens également dépassée lorsque je ne comprends pas les informations à la télévision. Mon mari m’explique en darija certains termes. Et je suis également mal lorsque je fais mes courses toute seule et que je n’arrive pas à lire les promotions et les offres, surtout chez BIM le vendredi…». Ce sont toutes ces frustrations qui ont fait que Mina a tenu à s’inscrire, depuis une année, au cours d’alphabétisation. «Je ne veux pas de diplôme, je veux juste, lorsque je suis avec les gens, comprendre toute seule et pouvoir participer aussi…».

Quel est le résultat de cette première année d’alphabétisation ? Notre témoin reconnaît qu’elle a appris, même si des difficultés subsistent, à lire et à écrire les lettres et les chiffres. Elle a appris les petites sourates du Coran. Mais ses exigences sont autres. «Je ne sais pas s’il est possible d’avoir des cours sur l’actualité, ce qui se passe dans le pays, dans le monde et des cours sur nos droits», dit Mina qui pense que les cours d’alphabétisation restent limités à l’apprentissage des lettres et des chiffres.

L’analphabétisme touche, selon les chiffres officiels, 8 millions de Marocains. La proportion d’analphabètes connaît des disparités en fonction de la tranche d’âges, du lieu de résidence, du sexe et de l’activité professionnelle. Concernant ce dernier point, on retiendra que 40% de la population adulte active n’ont aucun niveau scolaire. Ce qui empêche, selon le patron d’une entreprise textile, «les salariés d’avoir un rythme de promotion normal au sein de l’entreprise. Nous avons mis en place, en partenariat avec un donneur d’ordre britannique, un programme de scolarisation pour les personnes ayant le certificat d’études ou un brevet. Cela a permis le redéploiement interne d’une vingtaine de personnes. D’autre part, nous avons un cours d’alphabétisation qui a permis à des ouvrières de suivre des formations techniques développées par notre partenaire étranger»

L’alphabétisation qualifiante pourrait réduire l’exclusion sociale et économique…

Pour ce patron, la stratégie de lutte contre l’analphabétisme doit comporter un volet qualification pour réduire la marginalisation de la population concernée. Cette proposition figure parmi les recommandations des Assises nationales de Skhirat. En effet, les participants ont retenu trois pistes d’amélioration : la convergence des différents programmes d’alphabétisation, la mise en place d’une alphabétisation qualifiante et un suivi des bénéficiaires. A la coopérative Al Hanaa, dans la région de Ouarzazate, la présidente, Fatma Oubihi, s’est déjà engagée sur cette voie : «Les femmes membres de la coopérative productrice de lait et de fromage suivent depuis quatre ans des cours d’alphabétisation et de formation qualifiante. Elles sont encadrées par des jeunes filles de la région». En effet, cette coopérative dispense des cours d’alphabétisation en fin de journée pour ses membres. Et deux fois par semaine, elles assistent à des formations dispensées par des techniciens en élevage pour les initier aux normes de qualité et à la production de dérivés du lait. «Ce programme a permis à trois jeunes filles de la coopérative de se faire embaucher par une unité industrielle à Marrakech. Ce qui est, pour nous, un succès car elles ont pu s’intégrer dans le monde du travail», avance la présidente de la coopérative. 

La présidente de la coopérative Al Hanaa tout comme l’industriel du textile soulignent l’importance de l’amélioration des programmes d’alphabétisation. Cela contribuera à l’amélioration des conditions de vie des bénéficiaires et en particulier les femmes, lorsque l’on sait que le taux d’analphabétisme atteint 40% en moyenne de la population féminine. L’amélioration des programmes changera certainement la vie de la population rurale puisque 47,5% des analphabètes vivent dans les campagnes contre 22,6% dans les villes.

Globalement, faut-il le rappeler, l’objectif du programme d’appui à la réforme de lutte contre l’analphabétisme au Maroc est d’en réduire le taux d’au moins 3 points par an, en particulier chez les jeunes de 16 à 35 ans et les femmes, tout en contribuant à une amélioration des conditions de vie et de la participation économique, sociale et politique des populations socialement défavorisées. Pour cela, il faudrait, de l’avis de certains spécialistes de la question, se pencher sur la gouvernance et la gestion des programmes d’alphabétisation. Et cela devrait aller vers une convergence des actions de l’ensemble des intervenants.

Aujourd’hui, les programmes d’alphabétisation relèvent de quatre types d’intervenants : les ministères (les affaires islamiques, l’agriculture et la pêche, la jeunesse et les sports et l’artisanat) et les institutions publiques (Entraide nationale, Forces armées royales, Forces auxiliaires et collectivités locales) au profit des bénéficiaires de leurs services ; les associations dans le cadre de partenariats avec des Organisations non gouvernementales ; l’Education nationale et enfin les entreprises privées.

Forte implication des ONG dans la lutte contre l’analphabétisme…

Selon des statistiques communiquées par l’Unesco, la répartition des programmes d’alphabétisation par types d’opérateurs montre une forte implication des organisations non gouvernementales dans le processus. Ainsi, 52% des bénéficiaires suivent les programmes des ONG et associations, les opérateurs publics, quant à eux, viennent en deuxième position avec 42%. Le ministère de l’éducation nationale au troisième rang avec 5,8% et enfin le secteur privé avec 0,3% des bénéficiaires. Les programmes d’alphabétisation déployés au Maroc sur les dix dernières années ont concerné 6 millions de personnes. Le nombre de bénéficiaires a crû régulièrement entre 2002 et 2012 pour passer de 286 000 à plus de
734 000 personnes en 2016.Cette  progression annuelle est toutefois jugée encore insuffisante par les participants aux Assises nationales. Et pour l’accélération du rythme de ces programmes et atteindre 1,2 million de bénéficiaires par an, plusieurs axes ont été retenus : élargir les partenariats avec la société civile, renforcer les opérations de sensibilisation auprès des populations cibles, améliorer la qualité des programmes et développer des passerelles entre l’alphabétisation et les autres composantes du système éducatif. Tout comme il est nécessaire de mobiliser davantage de moyens financiers qui s’élèvent actuellement à 400 millions de dirhams par an dont 200 millions sont octroyés par l’Union Européenne qui soutient la stratégie nationale d’alphabétisation depuis dix ans. L’on retiendra que le coût unitaire d’alphabétisation est de 450 DH par bénéficiaire.

[tabs][tab title = »Comment leur vie a changé grâce aux cours d’alphabétisation« ]

Zineb

Zineb, cinquante-huit ans, au milieu de deux amies, lit aisément un texte en arabe. Cela fait quatre ans qu’elle suit des cours d’alphabétisation au sein d’une mosquée de l’avenue 2 Mars à Casablanca. «Je réussis chaque année, j’ai fait de grands progrès et toute ma famille est fière de moi», se félicite Zineb avec beaucoup d’émotion. Son mari et ses trois enfants l’ont soutenue, ajoute-t-elle, car «mon analphabétisme me complexait et surtout m’a empêchée de suivre la scolarité de mes enfants, de les aider à faire leurs devoirs alors que le papa travaillait et ne pouvait les suivre. De plus, je suis la seule dans ma famille de six enfants à ne pas avoir été à l’école». Et pour cause, Zineb est la plus jeune de la famille et sa grand-mère maternelle, veuve, l’a adoptée. «J’étais gâtée, j’avais tout ce que je voulais, notamment les vêtements et les jouets, mais ma grand-mère ne voulait pas que j’aille à l’école. Elle disait que les maîtres frappaient les enfants et qu’il y avait d’autres risques…», explique Zineb qui en veut quelque part à sa grand-mère et surtout à ses parents d’avoir autorisé son adoption. Aujourd’hui, tout cela est derrière elle, Zineb a appris à écrire et elle aide les enfants de ses voisins à lire et à apprendre le Coran. Zineb a bien évidemment scolarisé ses quatre enfants dont les deux grands, 26 et 23 ans, sont en médecine. Le troisième fait des études de droit et la toute dernière passe le bac cette année. Belle revanche sur l’analphabétisme, selon Zineb…

Khadija

Autre mosquée, autre bénéficiaire du programme d’alphabétisation : Khadija, soixante ans, divorcée et mère de deux enfants actuellement à l’étranger pour leurs études. «L’abandon de l’école a détruit toute ma vie. Mes parents m’ont marié à un cousin lointain venu de Berkane s’installer chez nous pour faire ses études à Rabat. J’ai raté mon certificat d’études primaires et j’ai arrêté, sur décision de mon père, l’école. A 16 ans, j’étais fiancée à mon cousin qui avait entamé des études de médecine. Nous nous sommes mariés et avons eu deux enfants, mais, après dix ans de mariage, il a commencé à me reprocher mon illettrisme et refusait que je l’accompagne chez ses amis et connaissances… Pire encore, il a eu une relation avec une autre femme, professeur dans un lycée, et nous avons fini par divorcer…». Pour cette femme, semi analphabète, les cours d’alphabétisation, qui lui ont été recommandés par une amie, l’ont aidé à amortir le choc de son divorce et surtout à l’occuper après le départ de ses enfants. Mais elle souhaiterait avoir une formation qualifiante car, dit-elle, «j’ai du temps et je voudrais l’occuper intelligemment. Je pense que l’Etat devrait améliorer les programmes d’alphabétisation en incluant des formations pratiques. J’aimerais travailler et avoir un revenu…».

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