Culture
Sexualité : quelle représentation dans la littérature marocaine ?
Thèses de doctorat, travaux et publications universitaires, essais et romans, la littérature marocaine a labouré le champ sexuel en long et en large. Pourtant peu d’ouvrages sortent des bibliothèques universitaires pour rencontrer le grand public…

La récente médiatisation de faits divers liés aux pratiques sexuelles des jeunes Marocains a mis en évidence une banalisation accrue de la violence à l’égard des femmes. Qu’elle soit réelle ou dans le discours, «on est dans une tendance nettement misogyne qui encourage la violence à l’égard des femmes», affirme l’écrivain et journaliste Sanaa El Aji. Pour elle, s’attarder sur la question de la sexualité n’est pas un luxe. C’est même une urgence qu’il n’est pas judicieux de reporter indéfiniment en raison de la concomitance avec d’autres problèmes socioéconomiques. «La sexualité est présente dans le quotidien, quand la dame va chez le boucher, quand le garçon et la fille vont au collège. Tous les aspects de la vie quotidienne sont sexualisés», ajoute Sanaa El Aji.
Pour sa part, cette dernière dévoile très prochainement les travaux de sa thèse sur la question. «Sexualité et célibat au Maroc», qui paraît aux Editions de la Croisée des chemins, apporte un éclairage supplémentaire qui vient s’ajouter aux multiples travaux universitaires sur la question.
Un autre ouvrage sur la question est attendu dans la semaine. Celui de Leila Slimani, «Sexe et mensonges», paru aux éditions les Arènes, qui traite spécifiquement les différents aspects de la sexualité féminine.
La coïncidence des sorties avec l’actualité brûlante va probablement attiser le débat autour de la sexualité. «Un débat qui va vite retomber si l’on ne prend pas de réelles mesures pour l’inscrire dans la durée, en vue d’instaurer une politique d’éducation sexuelle au Maroc», commente Sanaa El Aji.
Le sexe dans les livres
La sexualité, l’éducation sexuelle et le corps intéressent le lecteur marocain. «Quand il y a débat sur ces questions-là, il y a toujours foule. Au terme des rencontres, on déplore souvent l’absence d’ouvrages abordant ces questions. Pourtant, des livres sur la sexualité des Marocains existent», assure notre interlocutrice. En effet, les essais et thèses sociologiques qui traitent de la sexualité sont légion au Maroc. Le sociologue Abdessamad Dialmy fait partie des quelques experts entendus souvent sur la question, notamment grâce à son blog spécialisé. Mais la plupart des ouvrages restent confinés à la solitude sur des étagères universitaires. Autre problème : la plupart de ces livres sont écrits en français, offrant à une minorité l’accès à des recherches et des travaux crédibles, à même d’expliquer les réelles tendances en la matière. «A cela s’ajoute le problème majeur de la lecture au Maroc qui devrait être jugulé grâce au débat et à la rencontre avec le public», ajoute Sanaa El Aji.
Côté roman, «la présence de la sexualité dans le texte est omniprésente. Je pense au ‘‘Livre du sang’’ d’Abdelkébir Khatibi qui traite d’hermaphrodisme, à ‘‘Mélancolie arabe’’ d’Abdellah Taïa, aux différents livres de Mohamed Leftah, où il décrit la sexualité marginale dans les milieux codés de la nuit. ‘‘Harrouda’’ de Tahar Benjelloun a été justement applaudi et dénoncé en raison de ce rapport au sexe. Dans ‘‘Messouda’’ d’Abdelhak Sarhane, dans ‘‘Le pain nu’’ de Mohamed Choukri et j’en passe!», commente le journaliste et écrivain Abdallah Bensmain. C’est dire que la littérature marocaine n’a jamais connu de tabou sur la question, depuis la naissance du roman marocain et jusqu’à aujourd’hui. Malgré la crise de la lecture, des romans à caractère sulfureux suscitent toujours le débat, ne serait-ce que dans les médias. «Il est vrai que ce genre de romans est souvent libérateur au niveau de la parole, mais est-ce pour autant formateur ? Je me pose toujours la question», se demande le journaliste.
Le manuel d’éducation sexuelle
Mais est-ce le rôle du roman d’informer et d’éduquer en matière de sexualité? «Je pense que la responsabilité incombe d’abord à la famille et à l’école, puis dans un troisième temps aux médias. Ces trois cellules ne jouent pas suffisamment leur rôle pour définir des concepts comme le viol, les rapports consentants, le harcèlement. Ou pour en finir avec les idées complètement erronées par rapport aux normes sexuelles : l’obsession de la performance, de la taille du sexe et tout plein de mythes qui ne font que consacrer les frustrations et les complexes», souligne Sana El Aji.
Sur le plan scolaire, des voix ne cessent d’appeler à l’intégration de l’éducation sexuelle dans le programme scolaire. Parmi elles, celle de Nadia Kadiri, ex-professeure de psychiatrie au CHU de Casablanca, qui a publié «Le manuel d’éducation sexuelle» chez Le Fennec en 2009. L’ouvrage «a été réalisé pour permettre aux jeunes d’être informés et de s’épanouir au niveau de leur santé sexuelle (composante de la santé physique et mentale)», précise-t-on en quatrième de couverture. On y découvre que la jeune fille entame sa vie sexuelle sans y être préparée, que la culture sexuelle des adolescents se fait par la pornographie, que la menace des infections sexuellement transmissibles est très importante, ainsi que d’autres informations adaptées au jeune lectorat. Rien de bien choquant, ce qui pose des points d’interrogations quant au mutisme des responsables.
«Il faut interroger le ministère de l’éducation nationale qui affiche une résistance réelle à l’intégration de manuels d’éducation sexuelle, alors que le besoin est là. Le jour où il y aura une volonté politique de créer des cours d’éducation sexuelle, les spécialistes adapteront le contenu à l’âge des élèves. Il n’y a rien d’extraordinaire à cela. Mais pour la majorité des décideurs, malheureusement, éduquer à la sexualité, c’est appeler à la débauche. Alors que de toute les manières, on est tenté par la sexualité, par les tabous. Autant que ce soit encadré par la science pour faire comprendre les risque qu’il y a», argumente la spécialiste.
De son côté, Abdallah Bensmain observe que «de notre temps, il n’y avait rien sur la sexualité non plus. Cela n’a pas fait de nous des frustrés sexuels. Je pense sincèrement que la question des violences sexuelles se situe à un autre niveau que celui de l’éducation. Ce n’est que le reflet d’une violence socioéconomique qui devient de plus en plus banale»…
