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Partis : que se passe-t-il au PJD ?

La crise est bien plus profonde qu’il ne paraît. Ses dirigeants le reconnaissent, mais à demi-mot. Les institutions sont gelées, les déclarations officielles se font rares et, entre-temps, les militants règlent leurs comptes à travers les réseaux sociaux. Une réunion interne sera organisée dans les jours à venir pour tout déballer avant le congrès prévu la fin de l’année.

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Que se passe-t-il au juste au PJD ? Le parti islamiste est-il, à son tour, en train de vivre une crise profonde ? Sa situation actuelle va-t-elle influencer son parcours et conditionner son avenir ? Quid de son prochain congrès ? Et d’un éventuel prolongement de mandat de Benkirane, l’actuel secrétaire général ? Officiellement, le PJD n’a pas de réponse. C’est ce que nous affirme le secrétaire général-adjoint et véritable bras droit de Benkirane, Slimane El Omrani. Le parti qui avait pourtant, souvent, réponse à tout et qui n’a jamais eu peur de communiquer, préfère s’emmurer dans le silence. Entre-temps, ses militants ne se privent pas, eux, de laver leur linge sale en public, sur les réseaux sociaux. Car, comme l’affirme Abdelali Hamieddine, conseiller parlementaire et membre du secrétariat général, le PJD a bien connu «un séisme». Le parti «est actuellement en crise et dans une impasse puisqu’il dirige le gouvernement.Une grande partie de ses membres est déçue de la manière dont ce gouvernement a été formé et ne sont pas satisfaits de son rôle au sein de cette majorité», explique-t-il. Et cela «remonte à la période des négociations de formation du gouvernement menées par Benkirane. Pendant ces six mois de blocage, des différends ont commencé à pointer entre dirigeants, notamment à propos de la méthodologie de négociations et tout le processus de formation du gouvernement», ajoute Hamieddine. «Depuis le départ de Benkirane, les instances du parti ont été gelées, le secrétariat général ne se réunit plus comme d’habitude. Ce qui est, somme toute, normal, vu la situation que traverse le parti actuellement». Le membre du secrétariat général et ministre de l’énergie et des mines, Aziz Rebbah, sans aller jusqu’à affirmer l’existence de crise, estime, lui, que sur cette question, «les avis sont partagés». Naturellement, reconnaît-il, «les inconstances de formation du gouvernement ont eu un impact direct et palpable sur le parti». Maintenant, explique le ministre, le parti fait face à une situation complexe : «D’abord, la personne qui dirige  le gouvernement n’est pas celle qui gère le parti. C’est une première dans l’histoire du Maroc et c’est un cas relativement rare ailleurs dans le monde. Le fait qu’Abdelilah Benkirane, le secrétaire général du parti, ne soit pas à la tête du gouvernement a eu un impact indéniable. C’est donc à la fois une donnée liée à la situation interne du parti comme au volet institutionnel représenté par le gouvernement. C’est une situation inédite pour notre parti».

Déséquilibre profond

En même temps, ajoute Aziz Rebbah, «la situation sociale que connaît le pays exige une action du PJD mais dans le sens de préserver les équilibres. Cela en œuvrant à la fois pour satisfaire les demandes légitimes de la population et les impératifs de l’autorité de l’Etat, de la sécurité des citoyens et de leurs biens et de la stabilité du pays». Ce sont, conclut le ministre, «des questions fondamentales qui ont un impact sur le parti, mais pas au point de provoquer des déséquilibres profonds dans ses institutions». Cela dit, «nous allons gérer tous ces différends selon ce que prévoient les statuts et surtout dans un esprit d’unité et de solidarité», tranche le ministre d’un air confiant. Un peu trop confiant peut-être. En effet, l’avenir du parti dépend non seulement de de la manière de gérer cette crise, mais également d’une refonte totale de ses fondements. Tout dépendra, affirme Abdelali Hamieddine, du comportement du parti vis-à-vis de cette situation dans les semaines, voire les mois, à venir. En effet, annonce-t-il, une réunion interne, une sorte de conclave, est prévue dans quelques jours. «Nous allons débattre de tout et en toute franchise et essayer de sortir avec un consensus», ajoute-t-il. Et de preciser : «Les différends qui opposent militants et dirigeants ne sont pas personnels, ils sont fondamentalement politiques. Cela dit, certains dirigeants ont peut-être commis des erreurs dans leurs déclarations, mais les médias ont gonflé un peu trop leur portée». Le différend est donc fondamentalement politique et non personnel. Cela ne veut pas dire non plus qu’il y ait des clans, se rattrape-t-il. Le membre du secrétariat général reconnaît, néanmoins, que «la façon de penser des dirigeants diffère selon qu’ils soient au gouvernement ou à l’extérieur. Les membres du gouvernement ne peuvent pas prendre certaines positions que leur statut ne leur permet pas. Ils ne peuvent pas contester la formation de ce gouvernement, ni le rôle du PJD au sein de l’équipe gouvernementale. De même que l’obligation de réserve les empêche souvent de faire part de leurs opinions et positions. En revanche, ceux qui sont à l’extérieur n’ont pas ce genre de contraintes. Ils peuvent critiquer et dénoncer tout ce qui, à leurs yeux, ne correspond pas à leur conviction, y compris les conditions de formation de l’Exécutif». C’est déjà un premier clivage. Il va être accentué davantage lorsqu’il sera question de décider s’il faut ou non prolonger le mandat de l’actuel secrétaire général. Aziz Rebbah l’a évoqué, le fait que le secrétaire général ne soit pas chef de gouvernement est une contrainte que le parti doit gérer.

Opposition ou majorité ?

Le problème est bien plus profond et risque même de diviser la formation. Il s’agira de décider s’il faut soutenir de manière inconditionnelle le gouvernement pour contenter ceux parmi les dirigeants qui sont dedans et déplaire aux proches de Benkirane ou le contraire. Que faire, après, du bilan du gouvernement? Faudra-t-il le cautionner et capitaliser dessus pour la prochaine campagne électorale ou le rejeter et en même temps rejeter sa part de responsabilité dans la gestion des affaires publiques? Ce sont des interrogations auxquelles les dirigeants du parti doivent répondre sans plus tarder. En même temps, l’éventualité d’un troisième mandat pour Benkirane supposerait une réorganisation de ses instances dirigeantes, notamment le secrétariat général. En effet, si Benkirane est reconduit, il risque de se retrouver, au secrétariat général, face à ce qu’on peut désigner comme «le clan des ministres» dont l’intérêt est auprès du chef du gouvernement. Les ministres sont, en effet, membres ès qualité du secrétariat général. Ils représentent aujourd’hui la moitié des membres. D’où ce projet d’amendement que l’on compte proposer à Benkirane ou ses proches pour mettre fin à cette pratique. Si ce texte est présenté et adopté, les ministres doivent d’abord se faire élire pour siéger au secrétaire général. Bien sûr, Aziz Rebbah n’ira pas jusqu’à reconnaître cette réalité. Il affirme néanmoins que «maintenant, il est vrai que les ministres, de par leur mission, travaillent beaucoup plus avec Saad-Eddine El Othmani et sont beaucoup plus en contact avec lui, mais c’est seulement parce que c’est lui le chef du gouvernement. Nous veillons à ce qu’il y ait une différence entre la gestion gouvernementale et la gestion du parti». Pour éluder cette problématique, certains dirigeants proposent de tourner le dos au gouvernement. En ce sens, affirme Abdelali Hamieddine, «il existe au sein du parti un point de vue selon lequel ont ne peut rien attendre, en termes de réformes, de l’actuel gouvernement. Ce qui risque d’affecter le PJD qui le dirige. Dans ce cas, autant plancher sur la préservation de l’unité du parti et le prémunir autant que possible des retombées de la gestion du gouvernement. Etant donné cette situation particulière, les tenants de cette position estiment que la reconduction de Benkirane pourrait aider le parti à dépasser cette étape. De toute façon, cela reste un point de vue». Pour l’heure, rétorque Aziz Rebbah, «c’est encore prématuré d’aborder cette question. De toutes les manières, ce sont les institutions qui vont trancher, et ce, abstraction faite des avis et des impressions des personnes. Ce sont les institutions qui décident».

En attendant, le parti islamiste semble choisir la fuite en avant. Le PJD est en manque de cause mobilisatrice pour galvaniser les foules et pour détourner l’attention de ses bases sur sa crise interne. Il ne peut plus compter sur ses attaques contre le PAM, nous ne sommes plus en période électorale, ni contre «Tahakkoum», concept qu’il a inventé de toutes pièces et en a fait son cheval de bataille, ni sur promesses électorale de lutte contre le «Fassad». Il a eu cinq années pour cela et on ne peut pas dire qu’il ait pu changer quoi que ce soit en ce sens. Pour cela il n’a pas trouvé meilleure alternative que l’affaire des cinq membres de sa jeunesse accusés d’apologie de terrorisme et jugés par le tribunal chargé des affaires de terrorisme à Salé.

Ascenseur en panne

C’est une question hautement prioritaire au point que Slimane El Omrani, secrétaire général adjoint, évoque ce sujet, au Parlement, au moment où El Othmani présentait son programme gouvernemental. Le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme, Mustapha Ramid, n’a pas non plus échappé aux interpellations des députés de son parti au moment des débats du projet de Loi de finances. Ne parlons même pas du cas du ministre de l’intérieur et de celui de la justice. De même que des groupes de pression montés par le parti, notamment sur les réseaux sociaux, et la campagne médiatique pour influencer le cours de la justice. On peut dire que le parti n’a pas ménagé ses efforts sur cette affaire. Laquelle affaire a eu, comme effet d’induction, le silence de la milice électronique qui a causé tant de dégâts et fâché le parti avec presque tout le monde. C’est encore tôt pour s’avancer sur son sort, mais ce qui est sûr, c’est que, depuis, cette arme redoutable se fait très discrète et prive, en même temps, le parti de ses relais médiatiques les plus performants. Mais ceci ne résout pas les problèmes, surtout structurels du parti. Les cadres et militants se sentent perdus. Cela d’autant que la démocratie interne dont le PJD se fait tant une fierté de respecter à la lettre n’a pas été accompagnée de son corolaire qu’est l’alternance aux postes de responsabilité. On a beau mis en place un système infaillible de «cooptation» de candidats aux élections et aux postes du gouvernement, ce sont toujours les mêmes qui sont choisis pour diriger les villes, présider les régions, se porter candidats au Parlement ou proposé pour faire partie du gouvernement. La situation est telle que ce premier cercle du pouvoir au parti est de toutes les élections depuis 20 ans. Ceux qui ne se sont pas portés candidats, pour une raison ou une autre, sont néanmoins arrivés à faire élire, notamment sur la liste nationale, épouses, filles et même des collaboratrices. Ce qui est encore grave c’est qu’au lieu de se contenter d’un seul mandat, laissant leur chance aux autres membres, les élus et même les ministres du PJD continuent à cumuler les mandats. Tous les maires des grandes villes sont députés ou conseillers et ont même pu décrocher des postes de responsabilité au Parlement. D’autres sont à la fois parlementaires et responsables dans les régions ou dans les arrondissements.

Reconstruire le parti

C’est pour dire, explique cet analyste politique, que l’ascenseur social ne fonctionne plus depuis des années au PJD.

Ahmed Choukairi Dini, membre du conseil national, explique bien cette nouvelle sociologie du parti islamiste qu’il considère d’ailleurs comme l’une des causes, sinon la principale cause, de la crise que vit le parti. Il affirme que le PJD fait face à plusieurs défis. Le premier étant l’intégration de nouveaux venus, qu’il appelle «militants de butin» qui ne sont au PJD que pour les facilités qu’il offre pour accéder aux postes de responsabilités. Ils sont venus au parti sur le tard, ils n’ont pas été formés aux valeurs et à l’idéologie du parti. En d’autres termes, ils ne sont pas passés par le moule du MUR. Ils ne sont là que pour des postes et quand ils ne peuvent pas y accéder, ils se retournent contre le parti. En même temps, il ne peut pas non plus compter sur des profils pointus beaucoup intéressés par l’action politique que pour leur carrière professionnelle. Benkirane a d’ailleurs regretté maintes fois que ce genre de cadres ne fait pas assez confiance au PJD. Pas à un parti qui n’hésite pas à se référer en plein meeting électoral à Ibn Taymiya. L’autre contrainte à laquelle le parti fait face, toujours selon ce membre du conseil national, est liée au changement brusque dans le statut social des militants qui, grâce aux mécanismes de sélection interne, ont pu accéder aux postes de responsabilités hautement lucratifs: parlementaires, membres du gouvernement, présidents de conseil de grandes villes et de régions entre autres postes électifs très rémunérés. Ce qui a permis de relever certains militants à un rang social supérieur et créer en même temps des jalousies et des inimitiés entre militants naguère au même niveau socioprofessionnel. Mais le plus grand défi auquel le parti doit faire face sans plus tarder, c’est celui de réhabiliter les institutions du parti.

En effet, l’effort d’organisation et de modernisation du parti entrepris par Saâd-Eddine El Othmani, il y a une quinzaine d’années alors qu’il n’était que secrétaire général-adjoint, puis, lorsqu’il est devenu secrétaire général, a été réduit à rien en ces deux derniers mandats. El Othmani a pu doter le parti d’un cadre légal en mettant en avant les institutions et faisant passer, en même temps, le PJD d’un mouvement de prédication à un véritable parti politique structuré. En l’espace de deux mandats, son successeur en s’octroyant un statut de «zaïm» et de chef charismatique a fini par marginaliser les instances et transformer le parti en une sorte de confrérie dont le sort est intimement lié à celui de son guide. Ce n’est pas pour rien que, lors des élections partielles d’El Jadida, le parti a perdu plus de 17 000 voix entre les législatives du 7 octobre et les partielles du 4 mai. Une situation qui risque fort bien de se reproduire à Tétouan où le parti vient de perdre un nouveau siège.

[tabs][tab title = »Le PJD est-il un parti riche ?« ]En devenant chef de gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani devient également l’un des premiers contributeurs aux finances de son parti. C’est ainsi que le chef de gouvernement verse une cotisation mensuelle de 10 000 DH, contre 8 500 DH pour les autres membres du gouvernement. En effet, en se basant sur une résolution adoptée par le conseil national, les ministres de la formation islamiste, au nombre de 11, sont obligés de verser 8 500DH chaque mois, soit 500 DH de moins que les présidents des régions (deux au total). Quant aux députés (125élus), ils seront obligés de verser une cotisation mensuelle de 9 000 DH pour ce qui concerne les élus sur la liste nationale, alors que les élus dans les circonscriptions locales devront verser 7 500 DH mensuels. C’est la même somme dont sont également obligés de s’acquitter les élus de la deuxième Chambre, soit 15 conseillers. Bien sûr, pour éviter d’éventuels incidents de paiement, les parlementaires, alors encore candidats, sont obligés de signer un engagement en ce sens, et, une fois élus, il procèdent à un virement automatique correspondant à la somme des cotisations fixées au profit du parti. Pour rappel, le PJD, l’un des partis qui ne connaît jamais de problèmes de trésorerie, ne tolère pas que ses membres ne versent pas leurs cotisations mensuelles. Les statuts du parti, très sévères sur la question, prévoient même des sanctions allant jusqu’à la radiation. En plus des cotisations, le parti reçoit la plus grande part des subventions publiques. Le parti a ainsi reçu pour son dernier congrès, tenu en 2012, un peu plus de 3 MDH. Globalement, le PJD accapare, à lui seul, 33,64% du total des subventions accordées par l’Etat aux partis politiques, selon le dernier rapport de la Cour des comptes. En 2015, le parti tournait avec un budget de près de 54 MDH hors subventions électorales.[/tab][/tabs]