Culture
L’extrémisme religieux : enquêtes sur le radicalisme au Maroc
Le journaliste et auteur Hicham Houdaïfa vient de signer son deuxième livre dans la collection «Enquêtes», chez la maison d’édition «En toutes Lettres». Il s’agit d’une série d’enquêtes issues d’un travail de terrain sur le radicalisme au Maroc.

Interpellé par l’offre foisonnante, mais combien boîteuse, en matière d’analyse du radicalisme religieux, notre collègue journaliste Hicham Houdaïfa a entrepris de plonger dans les milieux radicaux au Maroc, afin de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises théories. Il n’est pas tant question d’exhaustivité, dans ce travail d’enquête, que de rigueur. Pour ce faire, un long travail de recherche a précédé chacune des neuf enquêtes qui constituent le livre.
De l’école à l’université
De l’école à l’université et de la ville à la campagne, en passant par d’illustres bidonvilles, le livre apporte un regard nouveau, détaillé et surtout dénonciateur quant à la réalité d’un phénomène grandissant et, à juste titre, inquiétant. Avec un temps d’analyse et un éclairage historique, «Extrémisme religieux» se place entre le reportage journalistique et l’essai sociologique. Une version arabe du même travail a été menée en parallèle par le journaliste arabophone Mohamed Sammouni.
«Si le radicalisme ne commence pas forcément à l’école, il y trouve un terreau fertile pour alimenter des idées extrémistes. L’école n’avance rien pour contrer l’offre de Daech, c’est-à-dire l’esprit critique et la culture», déclare Hicham Houdaifa.
Décidée et initiée par S.M. Mohammed VI, l’année dernière, la réforme des manuels scolaires de l’éducation islamique a été fortement saluée par la majorité. Pourtant, le temps qui lui a été dédié ne pouvait présager d’un bon résultat. Loin d’avoir réussi à épurer de tout ce qui pourrait appeler à la violence ou engendrer une méprise sur les fondements de l’Islam pacifique, la réforme n’a rien changé au mode d’enseignement, jugé ennuyeux et peu dynamique par les professeurs de la matière eux-mêmes. Ladite réforme n’a pas pris, non plus, en compte le corps professoral dont dépend très fortement l’enseignement de la matière. L’auteur rapporte une anecdote à ce sujet. Celle d’un garçon de dix ans, inscrit dans l’une des meilleures écoles privées à Casablanca, qui demande à son père de dire inchallah après l’assertion «sept est supérieur à quatre», car son professeur de mathématiques l’exige !
Quelques années plus tard, ce petit de dix ans a peut-être des chances d’atterrir à la Faculté d’Ain Chock où des professeurs universitaires tiennent plus de gourous prêcheurs que d’enseignants. «Je les nomme dans le livre parce qu’il faut que ça se sache. D’ailleurs, l’un des professeurs cités est déjà grand moufti qui appelle à l’interdiction de la mixité et la fréquentation du hammam public pour les femmes», assène Hicham Houdaifa. A l’opposé de ces noms, d’autres professeurs plus éclairés et davantage ouverts à la critique se voient boycottés, s’ils ne sont pas carrément menacés et ce, au vu et au su de tout le monde.
Syrie, niqab et Boulbtayen
Dans les autres enquêtes de «Extrémisme religieux», nous découvrons les origines des stars du djihadisme marocain dont certains occupent de hautes fonctions dans l’Etat islamique et passent, visiblement, pour des idoles auprès d’une jeunesse en perdition. Le nord du Maroc, plus particulièrement le quartier Bir Chifa à Beni Makada, est le champ choisi par le journaliste pour dresser un profil du djihadiste moyen. «Non que le nord du Maroc soit le seul touché par le phénomène, mais il existe dans la région une société civile très engagée dans l’accompagnement social, qui permettait de mieux cerner le phénomène». De Tanger à Sebta, il n’y a aucune barrière. C’est ce qui explique l’enquête dans le quartier périphérique et pour le moins délaissé d’El Principe à Sebta. Dans cet ancien quartier de trafic de stupéfiants, le radicalisme a fait son nid à l’abri de tout contrôle. L’abandon dans lequel baigne le quartier a rendu sa population complètement vulnérable au radicalisme religieux.
Le livre soulève également la polémique autour du niqab ou voile intégral qui s’est vu interdit par un communiqué du ministère de l’intérieur, il y a quelque mois. «Il me fallait aller chercher ces femmes en niqab, pour les connaître et en comprendre les motivations. J’ai découvert des femmes, pour la plupart, d’une grande précarité et d’une misère aussi bien culturelle que matérielle. Baignant dans l’inculture et/ou la soumission, elles sont également stigmatisées sur la place publique. Il faut absolument les sauver car elles sont tout aussi marocaines que nous», témoigne l’auteur.
Dans le milieu rural, Hicham Houdaifa est allé sonder les rituels de Boulbtayen, dit Bilmawen dans la région de l’Atlas. Ce rituel festif, qui fait suite au sacrifice de la fête d’Al Adha, s’est vu peu à peu interdit par des courants salafistes, sous prétexte qu’il relève du rite païen. D’autres manifestations, comme la belle danse d’ahwach, ont vu déserter la mixité et la joie de vivre. Cette radicalisation, les acteurs associatifs ruraux ne la voient pas d’un bon œil. Selon eux, c’est le fait de l’urbanisation qui en finit peu à peu avec ces joyeuses traditions.
