Affaires
Gouvernance : un rapport accablant pour l’Etat
Une enquête de l’Observatoire marocain de la Fonction publique: 1 800 citoyens et 111
experts et leaders d’opinion.
Corruption, pauvreté, enseignement et indépendance des pouvoirs
… Le Maroc a encore du chemin à faire.
Les institutions pointées du doigt à cause du clientélisme
face aux services publics.

A quelques mois des élections législatives, il est utile de s’interroger sur le niveau et la qualité de la gouvernance des institutions marocaines. Quel est leur niveau d’efficacité et d’utilité aussi, quel est le degré d’indépendance des différents pouvoirs les uns vis-à-vis des autres, quelles sont les principales entraves à la bonne gouvernance, les avancées réalisées par le Maroc lui permettent-elles d’affronter avec sérénité l’avenir… ? C’est à ces questions et bien d’autres que tente de répondre le rapport national sur l’évaluation du système de gouvernance au Maroc. Un travail scientifique purement marocain produit pour la première fois par les équipes d’experts et de chercheurs relevant de l’Observatoire marocain de l’administration publique.
L’objectif de cette étude menée entre août et septembre 2003, mais dont les résultats viennent juste d’être finalisés, est de mettre en évidence de manière neutre et objective les progrès, mais aussi les régressions s’il y a lieu de l’Etat marocain en matière de bonne gouvernance.
Un fossé entre les politiques et la population
En plus de 111 experts nationaux considérés comme des leaders d’opinion dans leurs secteurs respectifs, l’enquête a touché 1 800 chefs de ménage. Elle a été programmée sur une durée de vingt jours pour couvrir l’ensemble du territoire national, urbain et rural. Aujourd’hui, les résultats sont fin prêts et compilés dans un rapport qui n’a pas encore été rendu public.
D’emblée, le document plante le décor. Le processus de démocratisation et d’ouverture au Maroc au cours de la dernière décennie a profondément transformé les choix politiques et les mécanismes de prise de décision vers une plus grande participation des acteurs politiques et sociaux et le développement de nouveaux processus de prise de décision. De manière générale, l’enquête indique que les autorités marocaines manifestent une forte volonté à mettre en place une politique de bonne gouvernance en vue d’accélérer le rythme de réalisation des projets de développement économique et social. «Du moins, sur le plan du discours», commente un des membres de l’équipe chargée de la rédaction du rapport. Quoi qu’il en soit le bilan n’est pas totalement satisfaisant. Les ratages relevés par le rapport sont aussi nombreux et tout le monde en a pris pour son grade : gouvernement, administration, Parlement, partis politiques, entreprises publiques, enseignants, médias…
Ainsi, parmi les premières entraves à la bonne gouvernance, l’enquête auprès des ménages a révélé, on l’aura deviné, que la plus grave se trouve être la corruption qui a été classée au premier rang par 29,5 % des avis exprimés. Suivent de près le chômage (25,1 %) et la pauvreté (21,8 %) qui sont deux problèmes souvent liés dans une même problématique de développement. La domination de ces facteurs peut expliquer en partie la faible participation des citoyens aux affaires publiques révélée par l’enquête. Cette contribution est essentiellement exprimée par la participation aux élections (80,9 % des enquêtées) qui demeure insuffisante puisque le taux de participation aux élections tourne autour de 51 % seulement. Les autres formes de participation nécessitant un engagement plus ferme n’enregistrent que des taux faibles. C’est ainsi que la volonté de s’exprimer en prenant part à une réunion, un meeting ou une marche d’un parti politique n’est affirmée que par une minorité (8,4%) attestant encore une fois de la faible attractivité des partis politiques mais aussi de leur crédibilité. Tout aussi faible est également la mobilisation pour des actions participatives au sein de groupes en quête d’accélération d’un processus quelconque de réformes ou d’amélioration. L’interpellation des représentants élus est un recours insuffisamment exploité pour débattre des problèmes personnels ou communautaires vu qu’elle ne concerne que 20,6% des enquêtés. Le recours à la presse écrite, quant à elle, comme support de participation aux affaires de la communauté de résidence n’est actionné que de façon négligeable, avec un taux inférieur à 3 %.
Justice et Parlement, les mal-aimés
S’agissant plus particulièrement du pouvoir législatif, les critiques exprimées sont plus prononcées. Le Parlement est perçu comme étant peu efficace dans sa fonction de contrôle du gouvernement, particulièrement en matière de reddition des comptes. Un exemple significatif : les lois de règlement qui sont l’un des outils essentiels d’évaluation des conditions d’exécution des Lois de finances, n’y sont déposées que bien des années après leur exécution. S’agissant du degré d’indépendance du pouvoir législatif, les interviewés estiment largement (72 %) que cette indépendance est relative. En conclusion le rapport note clairement que l’efficacité du Parlement demeure limitée. La crédibilité de cette institution, mais aussi celle des partis politiques, a été davantage fragilisée après l’éclatement des scandales relatifs au renouvellement du tiers de la deuxième Chambre.
La justice n’est pas mieux lotie. Selon l’opinion de la population enquêtée, seulement 11 % estiment que l’organe judiciaire est fonctionnellement indépendant des autres pouvoirs, contre respectivement 33 et 23,9 % qui pensent que cette institution est moyennement ou peu indépendante. 8,3 % jugent la justice par contre totalement indépendante des autres pouvoirs. Le niveau d’intégrité de ce corps est un autre paramètre qui vient noircir davantage la réputation de la justice marocaine. Un jugement sévère, note le rapport, puisque 74 % des interrogés jugent la justice corrompue. «A noter que cette catégorie de fonctionnaires n’est pas la seule concernée par ce jugement», ajoute le rapport.
Autre volet important des relations du citoyen à l’Etat : l’accès aux services publics de base tels que l’éducation, la santé, le logement et les prestations d’eau et d’électricité. Un aspect analysé de près lui aussi par les équipes de l’Observatoire. L’examen des données de l’enquête relatives à cet aspect est sans ambages. L’analyse des opinions exprimées aboutit à deux conclusions principales. D’abord, le caractère élitiste de l’accès aux services publics. Seulement 3,7 % de l’effectif estiment que l’accès des citoyens à ces services est facile et permanent. Ensuite vient l’inégalité des chances et le clientélisme qui sont des facteurs d’inefficacité et de corruption au sein de ces services. A ce titre, 25 % des ménages interrogés sont convaincus que les citoyens ne peuvent accéder facilement aux services publics que s’ils appartiennent à des réseaux clientélistes, contre 36,1% qui ont déclaré que les citoyens ont généralement un accès facile. Concernant la mise de l’information à la disposition du public, les conclusions de l’enquête auprès des ménages font ressortir une sous-information manifeste des citoyens. 12,7% seulement d’entre eux considèrent que les informations récentes sur les réalisations du gouvernement sont librement disponibles et accessibles au public, contre 46,4 % qui pensent que les informations sont disponibles mais pas tout à fait accessibles.
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Le tassement des impôts directs, conjugué à la baisse tendancielle des droits de douane et à l’évolution erratique des recettes non fiscales liées pour l’essentiel au caractère aléatoire des recettes de privatisation a amené les pouvoirs publics à compenser ce manque à gagner par une augmentation des impôts indirects. Devant cet essoufflement, nombreux au Maroc sont ceux qui appellent à une «réforme de la réforme». Le rapport le souligne clairement : la politique fiscale devrait rechercher une plus grande efficacité dans la mobilisation des ressources par un élargissement de l’assiette fiscale. Au-delà des mesures de la politique fiscale, cette amélioration nécessitera des efforts visant à moderniser l’administration fiscale, en commençant par le renforcement des capacités de recouvrement des services des impôts. D’ailleurs, la simplification et l’harmonisation du système fiscal constituent le deuxième axe identifié par le rapport pour améliorer la gouvernance des finances publiques. «Les plus importants se rapportent à l’intégration dans l’IS et dans l’IR de plusieurs autres taxes cédulaires, à la mise en place d’une taxe unique IS/TVA ou IGR/TVA et la réduction du taux des droits d’enregistrement et de timbre» |
