Affaires
La gestion opaque de l’argent des syndicats…
Faute de membres, le gros du financement provient des subventions publiques. La représentation nationale est la principale clé de répartition. Les multiples tentatives de l’Etat pour assurer la transparence des comptes des syndicats ont échoué.

Le financement des organisations syndicales au Maroc est entouré de mystères et les syndicalistes font tout pour préserver le secret. En théorie, ce sont les cotisations des adhérents qui doivent faire vivre ces structures. Mais au Maroc, seuls 3% des actifs occupés sont affiliés à une organisation syndicale, selon l’enquête sur le marché du travail du Haut commissariat au plan (HCP) réalisée en 2014. Ces cotisations assurent à peine 10% à 15% des recettes -le montant de la cotisation annuelle étant fixé à 100 DH- contre 50% en France et 80% en Allemagne et en Italie. Le reste provient de la participation aux instances nationales et internationales dans le cadre de projets spécifiques. De plus, l’Etat prend en charge les frais de participation des syndicats aux conférences nationales et internationales et verse aussi des subventions.
Concrètement, dans le cadre de l’accord Muharram 19 (20 avril 2000), le ministère du travail a réservé un budget annuel de 1 MDH pour l’exécution des programmes prioritaires. Ces allocations sont passées à 3 MDH lors de l’accord du 26 avril 2011. S’y ajoute la subvention de la primature qui était de 15 MDH en 2015. Cette allocation a été fixée par l’article 424 du code du travail qui stipule que «les unions des syndicats professionnels peuvent recevoir des subventions de l’Etat en nature ou sous forme de contribution financière pour couvrir tout ou partie des frais de loyer de leurs sièges, des salaires de certains cadres ou du personnel détaché auprès d’elles, des activités relatives à l’éducation ouvrière organisées au profit de leurs adhérents». Le même article stipule que «ces subventions sont attribuées sur la base de critères fixés par voie réglementaire». Il s’agit d’abord du taux de représentation du syndicat à l’échelle nationale. En d’autres termes, le pourcentage du nombre des sièges obtenus par chaque centrale syndicale aux élections des bureaux syndicaux dans le secteur privé et public. Les syndicats éligibles à la subvention doivent obtenir au minimum 6% du total des sièges à l’échelle nationale. Le montant à recevoir est calculé sur la base du pourcentage obtenu.
L’organe de contrôle n’est toujours pas constitué
Pour pouvoir bénéficier de la subvention, les centrales doivent remplir d’autres conditions, en l’occurrence la capacité contractuelle, soit le nombre de conventions collectives négociées et conclues, et l’indépendance effective du syndicat. «Ces critères ne sont malheureusement pas pris en considération dans l’octroi des subventions», explique un haut fonctionnaire au ministère de l’emploi. La raison est que le nombre de conventions collectives signées chaque année a nettement reculé puisque les syndicats n’ont plus la même capacité de négociation. Concernant l’indépendance de la centrale syndicale, «le problème est encore plus complexe puisque certaines organisations considèrent que l’indépendance doit être vis-à-vis de l’Etat et des partis politiques, au moment où d’autres considèrent qu’elle doit être vis-à-vis de l’Etat et des entreprises», ajoute le haut fonctionnaire. Par conséquent, l’octroi de ces subventions est aujourd’hui basé uniquement sur la représentativité.
En revanche, la loi dispose que «ces subventions doivent être consacrées aux objectifs pour lesquels elles ont été allouées». Dans cet esprit, le contrôle de l’utilisation des subventions est exercé par une commission présidée par un magistrat et composée des représentants des départements ministériels concernés. Le problème est que cet organe qui devrait être composé du président de la Cour de cassation et des représentants du ministère de l’intérieur, ceux de l’emploi et ceux des finances «n’a pas vu le jour sous la pression des syndicats», regrette la même source. Pourtant, ce droit de contrôle est garanti par la Constitution de 2011 qui précise dans l’article 8 que «la loi détermine notamment les règles relatives à la constitution des organisation syndicales, à leurs activités et aux critères d’octroi du soutien financier de l’Etat, ainsi qu’aux modalités de contrôle de leur financement».
Les œuvres sociales, une tirelire bien gardée par les syndicats
Partant de là, Jamal Rhmani, ministre de l’emploi dans le gouvernement El Fassi, avait préparé un projet de loi visant à «mettre à niveau le champ syndical». Ce projet, qui devait compléter le projet de loi organique sur la grève, «n’a pas été versé dans le circuit législatif à cause de la forte contestation des organisations syndicales qui, à chaque fois, invoquent l’ingérence des pouvoirs publics dans la vie des syndicats, une pratique contraire à la Convention internationale de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical», explique une source bien informée.
Les raisons de cette aversion au contrôle sont nombreuses. «Face à la régression du nombre des adhérents estimée à 30% durant cette décennie, les syndicats comptent surtout sur la subvention de l’Etat», explique Abderrahmane Azzouzi, secrétaire général de la FDT. Et comme cette subvention est accordée en fonction de la proportion des sièges, ils «doivent en avoir au minimum 6% pour en bénéficier», indique El Kafi Cherrat, secrétaire général de l’UGTM. Et d’ajouter : «Cette condition a poussé les centrales à engager des démarches qu’on peut qualifier de commerciales afin d’assurer le maximum de présence dans les bureaux syndicaux, au point de réduire leur crédibilité et ne plus pouvoir régler les problèmes des salariés avec la même efficacité qu’auparavant».
Selon un DRH d’une grande structure publique, des arrangements sont effectivement possibles pour appuyer une centrale au détriment d’une autre en vue de garder un équilibre tacite. Concrètement, «les employeurs financent les syndicats dans le cadre des accords sociaux. Ils s’entendent sur un protocole d’accord social qui comprend des projets que l’entreprise finance de manière conventionnelle», explique-t-il. Ce financement se fait principalement à travers les œuvres sociales dont la gestion est souvent confiée aux syndicats. «Chez les offices, 0,25% du chiffre d’affaires annuel est réservé aux syndicats pour la gestion des œuvres sociales qui, pour rappel, restent rentables», ajoute un expert du domaine. Selon Miloudi Moukharik, secrétaire général de UMT, la question du financement relève d’un «débat bas de gamme». A l’en croire, «les syndicats, spécialement l’UMT, vivent grâce aux cotisations des adhérents dont le nombre ne cesse d’augmenter, mais également à la subvention de l’Etat qui ne fait que redistribuer l’argent du contribuable».
