SUIVEZ-NOUS

Société

Personnes âgées : Questions à Khadija Moussayer, Spécialiste en gériatrie

«Le vieillissement de l’organisme a des conséquences bien souvent sous-estimées au Maroc».

Publié le

Personnes agees2

La Vie éco : A partir de quel âge peut-on parler de personnes âgées ?   

«L’âge de la vieillesse» devrait en fait plutôt  se référer à un seuil physiologique biofonctionnel  couramment utilisé par les gérontologues : l’âge auquel il reste une espérance de vie de 10 ans, sachant que les premiers signes de perte d’autonomie apparaissent en général dix ans avant la mort.

Une enquête nationale en 2006 a montré à cet égard  que 80% des personnes âgées (PA) sont sans incapacité et capables d’exécuter l’ensemble des tâches quotidiennes et que seules 6,9 % des PA ont une incapacité lourde. A partir de cette étude, on peut estimer  d’ailleurs que l’entrée dans la vieillesse se fait réellement vers 67/68 ans, ce qui diminue par deux le nombre de personnes âgées «physiologiquement» ! Avec le progrès de la médecine et l’amélioration du niveau de vie, une personne de 70 ans est actuellement souvent en meilleur état qu’une personne de 50 ans dans les années 1950 ! Il serait d’ailleurs plus pertinent au niveau médical de séparer la population très hétérogène des plus de 60 ans en deux groupes: un troisième âge sans ou avec peu d’incapacité et un quatrième âge, en général à partir de 75 ans, avec incapacités, là où il faut mettre le maximum de moyens.

Quels sont leurs besoins spécifiques ?

Les conditions de vie des personnes âgées (et  en particulier des femmes) sont souvent précaires et leurs besoins sont immenses. En effet, plus de 7/10 sont analphabètes, 3/10 dépendent des autres pour les tâches de la vie quotidienne, 1/10 est considérée comme pauvre, et plus de la moitié  n’ont pas accès aux soins. Plus de 25 % enfin sont obligés de continuer à travailler pour assurer leur subsistance.

Quels sont les problèmes de santé les plus fréquents pour cette population ?

L’accroissement de la longévité s’accompagne de la multiplication de maladies spécifiques (la moitié  des PA étant atteinte d’au moins une maladie chronique).  Parmi les plus fréquentes, on peut relever : les pathologies neuro-dégénératives (maladie d’Alzheimer, de Parkinson… sans oublier les difficultés à mémoriser); l’hypertension et son corollaire, les accidents vasculaires cérébraux – AVC- et les maladies rhumatismales ainsi que l’ostéoporose. Parmi les principaux syndromes et facteurs de risque associés, on peut citer la dénutrition, la déshydratation, l’incontinence et surtout les troubles de la marche, les chutes et les fractures du col du fémur. Cette  fracture, fréquente, entraîne souvent  une perte d’autonomie et a des répercussions sur la santé générale. 

Y-a-t-il une spécificité médicale des personnes âgées ?

Le vieillissement de l’organisme a des conséquences, bien souvent, sous-estimées au Maroc, sur  la  prise en charge. Un exemple parmi d’autres : les PA sont plus fragiles  face aux médicaments (élimination rénale ralentie, accumulation dans les graisses et  passage plus agressif dans le cerveau … des médicaments). De façon générale, les médicaments restent  en plus grande quantité et plus  longtemps dans l’organisme. Le paracétamol s’élimine deux fois plus lentement, le diazepam (valium), quatre fois plus lentement (il faut 80 heures –
3 jours ! – pour éliminer la moitié de la dose donnée et, avec une prise quotidienne, le médicament peut s’accumuler jusqu’à l’intoxication). L’iatrogénie médicamenteuse est ainsi responsable d’une hospitalisation sur cinq chez les PA dans les pays développés !  Une étude réalisée  en France en 2015 par l’association

On peut dire  que 40 % des prescriptions médicales pour les PA étaient inappropriés et donc potentiellement dangereuses !  La situation ne peut être que pire au Maroc, d’autant plus que sévit une auto-médicamentation massive !

Vous êtes spécialiste en gériatrie, que peut-on dire de ce secteur au Maroc ?

La gériatrie, la médecine des personnes âgées, est encore une discipline  nouvelle au Maroc comme d’ailleurs dans beaucoup de pays étrangers, y compris parmi les plus développés : elle est née dans les années 2000 avec la décision du ministère de la santé d’envoyer en France une quinzaine de spécialistes en médecine interne  afin qu’ils acquièrent une seconde spécialité en gériatrie. Il y a aussi quelques spécialistes en gériatrie (sans être interniste) qui ont obtenu leur spécialité en France à partir de 2005, l’année où seulement elle est devenue une spécialité de plein exercice dans ce pays ! Il y a enfin plusieurs dizaines de médecins généralistes qui ont effectué  des formations complémentaires  en gériatrie.

Par ailleurs, les spécialistes en médecine  interne sont aussi par nature compétents sur l’ensemble des problèmes de santé des PA. Cette discipline est mal connue et même méconnue au Maroc alors que c’est la formation pluridisciplinaire et transversale la plus complète reposant sur une étude de tous les organes et des pathologies afférentes. La médecine interne a de ce fait vocation à assurer la prise en charge globale des malades dans les cas complexes  et ceux où le patient est atteint de plusieurs pathologies comme c’est souvent le cas des PA. Un problème là encore : il y a seulement environ 250 internistes pour tout le Maroc qui a choisi, peut-être à tort, de se calquer sur le modèle français, c’est-à-dire une spécialité  élitiste à effectifs réduits.