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Affaires

Retard du plan pélagique, frictions avec les professionnels, M. Laenser s’explique

Le ministre promet de rendre public le plan pélagique dans les plus brefs délais.
La gestion du secteur répond aux impératifs de préservation
de la ressource.
Pour lui, la mise à niveau est une priorité liée à l’aspect
qualitatif et conditionne l’accès aux marchés étrangers.

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Mohand Laenser Ministre de l’agriculture et des pêches maritimes
Les gens se trompent. Les ports marocains sont incapables d’accueillir un million de tonnes de plus. La capacité actuelle est de 1 million de tonnes alors que nous en pêchons déjà 800 000.

Pour le ministre des pêches maritimes, le passage à l’acte nécessite d’abord une préparation minutieuse du terrain auprès des professionnels. Tout en essayant de défendre son bilan à la tête de ce département, il avance les dates d’entrée en vigueur de plusieurs projets structurants.

La Vie éco : Beaucoup de professionnels se disent aujourd’hui déçus par le bilan de Mohand Laenser…
Mohand Laenser : Depuis l’arrêt de l’accord de pêche avec l’Union européenne en 1999, nous sommes passés d’une période d’euphorie en 2000 et 2001 à une autre de crise due à la multiplication de l’effort de pêche, notamment artisanal. Conjuguée avec d’autres facteurs, cette situation a conduit à un effondrement de certaines pêcheries notamment le poulpe. Dans une conjoncture caractérisée par la rareté de la ressource, il est normal que nous n’ayons pas les meilleurs rapports avec les professionnels. Il a fallu entamer un processus d’explication et les professionnels, dans leur grande majorité, ont joué le jeu. Pour preuve, je donnerai un seul élément, celui de la réduction de l’effort de pêche artisanale de 7 000 à 3 500 barques, avec la contribution financière des opérateurs de tous les segments. Par ailleurs, je signale que nous allons sortir bientôt le plan pélagique. Les gens sont un peu déçus et se demandent pourquoi on n’a pas encore ouvert la pêche dans le stock C….

Pourquoi justement, sachant que le plan pélagique a été présenté, il y a plus d’un an, et que son adoption avait été annoncée comme imminente…
C’est une démarche nouvelle. Avant, nous étions dans une situation d’abondance de la ressource. Aujourd’hui, tout le monde a appris que le stock de poisson n’est pas inépuisable. La tendance mondiale montre un effondrement des capacités de pêche.
Nous sommes en train de préparer d’autres plans, notamment pour les crevettes et le thon. C’est pour vous dire qu’en quatre ans, le gouvernement s’est employé à mobiliser les professionnels et leur expliquer l’importance d’une pêche responsable. Les quotas de la pêche céphalopodière en est un bon exemple, même si les hauturiers et les côtiers n’ont pas atteint leur volume de pêche.

Mais que faites-vous du manque à gagner dont parlent les professionnels, estimé à 1,3 milliard de DH, l’équivalent du chiffre d’affaires non réalisé au niveau du stock C du pélagique !
Tout le monde parle aujourd’hui d’une capacité supplémentaire d’un million de tonnes à rajouter. Mais savez-vous que la capacité de débarquement des ports marocains ne dépasse pas un million de tonnes ? Nous pêchons déjà 800 000 tonnes. Comment allons-nous faire pour débarquer, en plus, le million de tonnes du stock C ?
Les gens se trompent. Les ports du Maroc sont incapables d’accueillir un volume de pêche aussi important. C’est pourquoi nous avons procédé à la répartition de ce stock C pour que les conserveurs puissent avoir la pleine utilisation de leurs unités.

Mais que répondez-vous aux professionnels qui critiquent le quota que vous avez accordé à la congélation à bord des bateaux affrétés ?
Avec cette répartition, vous avez un exemple type d’intérêts contradictoires. Le réflexe normal du professionnel est de s’insurger contre la congélation à bord. Mais il faut savoir que le stock de pélagique n’est pas stable. Rappelez-vous comment étaient Safi et El Jadida et ce qu’elles sont devenues aujourd’hui. L’affrètement constitue une ouverture pour que l’Etat demain puisse éviter d’avoir sur les bras des problèmes liés à l’effondrement des stocks et une immobilisation aux ports des navires marocains.

Pour en revenir aux débarquements, pourquoi votre ministère n’a-t-il pas mené des actions pour renforcer la capacité des ports, sachant que l’effort de pêche est appelé à s’accroître ?
Nous avons des priorités. La pêche artisanale qui crée le plus de main-d’œuvre et réalise le plus de chiffre d’affaires en fait partie. Aujourd’hui, une soixantaine de points de débarquement et de villages de pêcheurs sont programmés, dont plus de 20 sont déjà en activité.

Il y a aussi le projet de modernisation de la flotte côtière qui est passé à la trappe, alors qu’il y a un an, vous aviez mis en place une commission pour le suivi de ce dossier. Mais, depuis, rien…
La mise à niveau est une priorité car elle est liée à l’aspect qualitatif et conditionne l’accès aux marchés étrangers.
Cette opération de mise à niveau avait démarré lors du premier accord de pêche avec l’UE. Par la suite, avec la crise qu’a connue la pêche côtière et qui l’a rendue inéligible au crédit bancaire, nous avons pensé au Fonds de garantie mutuelle, en demandant à l’ONP d’y contribuer ainsi qu’aux banques intéressées. C’est en train d’être fait. Entretemps, nous avons eu le problème de la restructuration de la pêche.
Le nouvel accord réserve plus de 13 millions d’euros (plus de 140 MDH) par an à la mise à niveau du secteur….

Le secteur va-t-il rester tributaire de l’entrée en vigueur de cet accord pour sa mise à niveau ?
Non. Le fonds est une simple structure de garantie et non pas de financement. Si le secteur n’est pas assaini, les banques n’iront pas au-delà des possibilités de garantie du fonds. Or, les besoins aujourd’hui sont énormes.

Autrement dit, on reconnaît que la situation financière du secteur est inquiétante…
Il ne faut pas regarder ce secteur comme un bloc homogène. Sur le plan global, le secteur a connu des moments difficiles. Mais il remonte actuellement la pente et réalise un milliard de dollars à l’exportation.

L’une des filières les plus dynamiques, celle de la conserve, a été désignée comme huitième métier mondial du Maroc par le plan Emergence. Or elle se trouve piégée en amont, à cause des approvisionnements, et réclame un accès direct à la ressource. Pourquoi continuez-vous à leur refuser cette requête ?
C’est plus complexe que cela. Il y a deux doctrines en compétition. La première appelle à une séparation complète des métiers du pêcheur et du conserveur, où le premier vend au second. La deuxième, elle, demande une intégration verticale permettant un accès à la ressource.
Il faut tenir compte de la réalité du terrain : les bateaux ne sont pas tous mis à niveau, une partie des débarquements doit aller inévitablement à la farine, les approvisionnements sont irréguliers… C’est pourquoi le nouveau plan d’aménagement pélagique a essayé de répartir le stock en réservant une partie aux conserveurs, dont la capacité de production n’est pas utilisée à 100 %, en accédant directement à la mer, mais juste pour une partie des captures, tout en continuant à séparer les métiers.

Mais dans tout cela, vous n’annoncez pas de dates, de délais…
Pour le plan pélagique, nous travaillons sur la finalisation des cahiers des charges. Les Chambres maritimes nous ont déjà adressé leurs remarques et le plan verra le jour avant la fin de l’année.
Pour la modernisation, le texte de l’accord avec l’UE est en examen au niveau du Parlement. Il entrera aussi en vigueur en 2007.

A propos de l’accord, beaucoup pensent que son apport économique est très limité alors que le gain politique est pratiquement nul…
Prenons l’exemple des débarquements. Même si les Européens voulaient débarquer la totalité de leurs prises dans nos ports, les capacités de ces dernières sont insuffisantes. Dans le cadre de cet accord, nous avons réduit la flotte européenne autorisée à pêcher dans nos eaux, écarté les espèces sensibles et la pêche en Méditerranée.
En plus de cela, nous n’avons pas considéré cet accord uniquement à l’aune de la compensation financière. Il est anormal de dire à l’UE, notre premier client et premier fournisseur, que nous sommes ouverts à toute forme de coopération sauf dans le domaine de la pêche, sachant que, depuis 1999, nous avons connu une mauvaise coopération avec l’UE : tous les bateaux qui ont quitté le Maroc à la fin de l’ancien accord sont revenus dans le cadre de sociétés mixtes.
L’avantage de ce nouvel accord est aussi politique puisqu’il concerne l’ensemble du territoire marocain