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Culture

La web-série : nouvelle fenêtre artistique au Maroc ?

On ne parle plus que des mini-séries du réalisateur Hicham Lasri publiées sur le web. Avec des centaines de milliers de vues et des vagues de réactions, le genre a de quoi susciter la curiosité, voire l’appétit, d’autres artistes marocains.

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La web serie maroc

Depuis sa web-série expérimentale «No Vaseline Fatwa», avec le comédien Salah Bensalah, le réalisateur Hicham Lasri a récidivé avec deux mini-séries portées par les comédiennes Fadoua Taleb et Badia Senhaji. «Bissara Overdose» et «Caca Mind» suscitent tout plein de réactions de la part du public et des professionnels, mettant les comédiens face à de nouveaux challenges, entre méprise sur la nature des vidéos, critique du contenu ou du langage et exigence d’une interactivité. Pourtant, les centaines de milliers de vues engrangées sur Youtube, pour chaque vidéo, valent bien le coup.

Si, de par le monde, internet regorge de milliers de vidéos au contenu créatif, le web marocain reste un domaine presque vierge. Dans un pays où les opportunités de création entre télévision et cinéma sont très limitées, le web peut-il offrir une plateforme alternative pour les artistes marocains ?

Le web, un monde nouveau

De 2011 à 2016, Hicham Lasri n’était connecté que via son adresse mail qui lui permettait un minimum de contact avec son réseau personnel et professionnel. A son arrivée sur les réseaux sociaux, il ne pouvait que s’imprégner de la densité humaine qui occupait ce Maroc virtuel. Paradoxe d’un espace d’expression, le rejet violent de la divergence d’opinion a vite interpellé le réalisateur. «Moi qui dans tous mes films lutte pour ce droit à l’expression, je me suis confronté à une sorte de fascisme, intolérant à tout changement. N’étant pas un militant, j’ai choisi d’en parler artistiquement. Comme dans «Vaseline No Fatwa», qui dénonce ces «haramistes» qui vivent parmi nous», explique le réalisateur.

Quelques mois après, c’est l’actrice Fadoua Taleb qui, dans le rôle de la célibataire Khadija Manqadrouch, tire à boulets rouges sur les hommes et leurs exigences démesurées en ce qui concerne les relations hommes-femmes, dans «Bissara overdose». La semaine dernière, l’actrice Badiâa Senhaji s’est jointe à la team de Lasri pour interpréter le rôle de Zoubida, recruteuse, pour le compte d’un conseil scientifique marocain, de mentalités fétides : «Caca Mind» que ça s’appelle…

Le réalisateur ne compte pas s’arrêter là. «Personnellement, je considère ces séries comme une sorte d’autothérapie qui me permet d’exprimer des propos, tout en poussant le spectateur à la réflexion. D’un autre côté, n’étant pas quelqu’un qui aime s’installer dans la routine, internet me permet de redevenir ce jeune homme qui fait des courts-métrages», confie Hicham Lasri.

La prise de risque est certes de taille, pour tout artiste bien logé dans sa bulle, mais l’enjeu est grand et le succès stimulant. Et pour cause. L’interaction directe avec le public peut s’avérer difficile à gérer, voire source de polémiques violentes. Cependant, les comédiens se découvrent de nouvelles facettes et expérimentent de nouveaux concepts, dans ce laboratoire virtuel. Ils s’en sortent avec une carte de visite audacieuse et au pire, un bad buzz, pas si nocif, au final.

Ce qu’il faut savoir, quand on veut créer sur internet, c’est qu’on ne peut pas transposer les codes de la télé sur le web. Il faut réinventer le visuel «entre le théâtre, le cinéma, le stand-up et beaucoup de réalisme. On ne vient pas sur internet pour se taper une minute de générique ou s’émerveiller sur l’image. L’enjeu esthétique ne figure pas au premier plan», affirme Hicham Lasri.

Des codes différents

En effet, contrairement à la télé ou le cinéma, le web a été investi par le public avant les artistes, ce qui rend laborieuse l’adaptation de ces derniers. En France ou aux USA, les artistes professionnels ont dû apprendre les codes du Net, là où les podcasteurs régnaient en maîtres depuis une décennie. Parler vrai, écrire juste, interagir et répondre aux challenges du public. C’est au prix de grands efforts que des célébrités ont été bénies par les youtubeurs.

Au Maroc, des podcasteurs créatifs se comptent sur les doigts d’une main. Traitant d’humour politique ou potache, ces youtubeurs manquent de pratique et surtout de stimulation. Hicham Lasri ne se positionne pas par rapport à eux. «Sur le Net, je continue à faire mon travail de cinéaste. C’est-à-dire de rester dans le storytelling à travers un vrai travail d’écriture. Il est vrai que je m’adapte au Net, mais sans reprendre ces manies du découpage ou de l’illustration, chères aux podcasteurs», objecte le réalisateur.

Dans son écriture, la darija est crue, vraie et moins emballée dans une esthétique du sens ou du langage, comme c’est le cas dans les films. Des lenteurs, des redondances et des contradictions donnent ce côté réaliste aux courtes vidéos, qui font briller des personnages caricaturaux.

Le choix des comédiens est également un point important dans ce genre d’œuvres. Car tout comédien n’a pas forcément l’aptitude de se jeter dans la gueule du Net. «Pour ma part, je prends des gens avec qui j’ai travaillé et dont le potentiel reste insuffisamment exploré. C’est une manière de les rebouter. Comme c’est le cas de Salah Bensalah dont je salue le souffle, la force et la justesse dans le jeu», témoigne le jeune réalisateur.

Le nerf de la guerre

En France et aux USA, des studios professionnels et dotés de moyens financiers conséquents ont investi le web et recruté des podcasteurs pour travailler avec des comédies professionnels. Studio Bagel a commencé par de petites capsules youtube, avant de se faire racheter partiellement par Canal + et voir son contenu évoluer, grâce au brand content, ou le marketing de contenu. Ce type de partenariat avec des marques, qui préfèrent le storytelling aux capsules publicitaires, a permis aux sociétés de production web de développer des formats nouveaux et de renoncer aux rêves du petit et grand écran.

Pour Hicham Lasri, le modèle est presque impossible à appliquer au Maroc, parce que le contenu abrasif du Net est incompatible avec la rigidité des médias institutionnels, présents sur le web. D’autre part, les annonceurs restent «old school» et très directifs. «Jai reçu quelques propositions de brand content. Mais j’ai du mal avec le contenu sponsorisé. Les gens ont tendance à devenir très méfiants en apercevant un logo», explique M. Lasri qui préfère nettement s’inscrire dans une démarche volontariste. «Il faut en finir avec cette mentalité de fonctionnaire, ne travaillant que pour l’argent, et faire de l’art pour l’art, tel qu’on a voulu le faire le premier jour».

Pour le réalisateur, l’exemple à suivre est celui des artistes américains sur le site «Funny or die», où des célébrités se joignent aux amateurs pour poster des vidéos comiques et se soumettre au jugement du public, récolter la mention Funny, ou «se casser la gueule». Un courage qui ne manque pas de rebooster la popularité des artistes et dont nos artistes marocains ont grand besoin.